http://www.journaldemontreal.com/2015/08/03/salman-rushdie-frappe-fort / Archive.Today
Dans sa chronique de lundi dernier publiée dans le Journal de Montréal, Sophie Durocher est revenue sur une interview accordée par Salman Rushdie au magazine français L’Express plus de 25 ans après la fatwa de l’ayatollah Khomeini qui commandait aux musulmans du monde entier de l’assassiner. Les autorités musulmanes, autant chiites que sunnites, avaient jugé, à l’époque, que son livre les Versets sataniques insultait le prophète de l’islam.
Dans son interview à L’Express, Rushdie déclare, notamment : «Il faut en finir avec ce tabou de la prétendue ‘islamophobie’. Pourquoi ne pourrait-on pas débattre de l’islam? Il est possible de respecter des individus, de les préserver de l’intolérance tout en affichant son scepticisme envers leurs idées, voire en les critiquant farouchement.»
En 2003, Salam Elmenyawi, un des principaux leaders musulmans de Montréal et l’aumônier des universités McGill et Concordia a justifié l’appel de Khomeini à tuer Salman Rushdie dans une interview qu’il avait accordée à La Presse.
Salam Elmenyawi dirige le Conseil musulman de Montréal (Muslim Council of Montreal). Sur sa page Facebook, l’organisation déclare représenter plus de 70 institutions musulmanes de la région de Montréal. Le nom de cette organisation vient d’être ajouté à la liste des intervenants qui seront entendus lors des consultations publiques sur le projet de loi 59 (20 août). #PL59 prévoit accroitre les pouvoirs de la Commission des droits de la personne pour faciliter, notamment, les poursuites contre ceux qui critiquent des organisations islamistes ou des facettes de l’islam.
L’interview complète accordée par Salman Rushdie est disponible sur le site du magazine L’Express / WebArchive – Archive.Today.
Titre original: Salman Rushdie frappe fort / Archive.Today
Auteure : Sophie Durocher
Référence : Journal de Montréal, 3 août 2015, p.34On savait déjà que Salman Rushdie, le célèbre auteur des Versets sataniques, n’a pas la langue dans sa poche. Il a toujours dénoncé la montée de l’islamisme et l’aveuglement de l’Occident face à l’intégrisme.
Mais dans une récente entrevue dans le magazine L’Express, il s’en prend carrément à la gauche, à certains intellectuels, et il assène deux ou trois vérités à ceux qui n’ont rien compris après les assassinats à Charlie Hebdo.
Qui est Charlie ?
Salman Rushdie vit dans la clandestinité sous protection policière depuis 1989, quand une fatwa a été lancée contre lui.
Qu’est-ce qui a changé dans les mentalités un quart de siècle plus tard? lui demande le journaliste de L’Express. «Plus de 25 ans après les Versets sataniques, il semble qu’on en ait tiré de mauvaises leçons. Au lieu d’en déduire qu’il faut s’opposer à ces attaques contre la liberté de s’exprimer, on a cru qu’il fallait les calmer par des compromis et des renoncements.»
Vous avez bien lu. Rushdie n’en revient pas: on se met à genoux devant les intégristes au lieu de se tenir debout devant eux.
Comment en est-on arrivé là? «On peut déplorer un retour du politiquement correct dans les milieux intellectuels», répond l’auteur.
En fait, ce que déplore Rushdie, c’est qu’aujourd’hui ce soit la gauche qui refuse de se battre pour la liberté d’expression. On en a eu un bel exemple plus tôt cette année quand de grands auteurs (dont le Canadien Michael Ondaatje et l’Américaine Joyce Carol Oates) ont refusé de participer à une remise de prix du courage à Charlie Hebdo lors du congrès de l’association de défense de la liberté d’expression PEN.
«J’ai alors eu la sensation que si les attaques contre Les Versets sataniques avaient lieu aujourd’hui, ces gens ne prendraient pas ma défense et useraient de ces mêmes arguments contre moi, en m’accusant d’insulter une minorité ethnique et culturelle.»
C’est quand même le monde à l’envers! Alors qu’en 1989 c’étaient les gens de droite (dont l’entourage de Margaret Thatcher) qui avaient critiqué Rushdie en lui lançant qu’il avait fait de la provocation, aujourd’hui c’est la gauche qui refuse de défendre la liberté d’expression de Charlie Hebdo. La raison invoquée par ces grands intellectuels, supposément progressistes et tolérants, pour snober Charlie Hebdo? Ils trouvaient le magazine islamophobe.
Un argument que réfute Rushdie de façon cinglante. Charlie est tout sauf raciste. «En vérité, ce point, le contenu même du magazine, est sans importance, car la liberté de parole implique de défendre l’expression d’opinions que vous ne partagez pas. Ces personnes, rappelons-le, ont été assassinées parce qu’elles faisaient des dessins.»
Les islamophobes
Rushdie, qui est lui-même issu d’une famille musulmane, lance une affirmation qui va faire frémir certains intellectuels québécois. «Il faut en finir avec ce tabou de la prétendue “islamophobie”. Pourquoi ne pourrait-on pas débattre de l’islam? Il est possible de respecter des individus, de les préserver de l’intolérance tout en affichant son scepticisme envers leurs idées, voire en les critiquant farouchement. Combattre l’extrémisme, je le répète, n’est pas combattre l’islam. Au contraire. C’est le défendre.»
Vous ne trouvez pas que ça fait bien d’entendre ça de la bouche d’un grand penseur comme Salman Rushdie?
Références supplémentaires
Point de Bascule (21 juillet 2015) : En marge de #PL59 – En 2010 à Toronto, Elie Wiesel et Salman Rushdie ont participé à un débat sur la liberté d’expression dans lequel ils se sont opposés sur le droit de nier l’existence de l’Holocauste
Point de Bascule (13 juillet 2015) : De la notion de ‘blasphème’ de l’OCI à celle de ‘discours haineux’ de la CDPDJ : L’origine des mesures de censure incluses dans le projet de loi 59 au Québec
Point de Bascule (23 juillet 2015) : En marge de #PL59 – Neuf citations en faveur de la liberté d’expression et neuf citations justifiant sa restriction
Point de Bascule (5 août 2015) : En marge de #PL59 – Le projet de la CDPDJ de poursuivre des sites internet appartenant au secteur des télécommunications de compétence fédérale