Une adaptation par Point de Bascule du compte-rendu d’une soirée mettant en vedette les écrivains Elie Wiesel et Salman Rushdie qui débattirent, notamment, de la liberté d’expression et de l’opportunité ou non de la restreindre. Les amis du Centre Simon Wiesenthal / WebArchive – Archive.Today
Le texte du National Post qui inspira cet article est reproduit plus bas.
Note : Point de Bascule présente cet article dans le cadre du débat sur le projet de loi 59 contre le discours haineux déposé par le gouvernement du Québec le 10 juin 2015. Des consultations publiques doivent commencer le 17 août prochain.
Le 31 mai 2010, les amis du Centre Simon Wiesenthal invitèrent à Toronto Elie Wiesel et Salman Rushdie à discuter de la liberté d’expression lors d’une soirée animée par l’ancien premier ministre Brian Mulroney. Les deux hommes reconnurent que les lois contre le blasphème sont problématiques. Par contre, distinction importante, Elie Wiesel justifia le recours à la censure contre ceux qui nient l’existence de l’Holocauste, tandis que Salman Rushdie s’y opposa fermement.
Wiesel est lui-même un rescapé des camps nazis. En 2007, il a été attaqué dans l’ascenseur d’un hôtel par un négationniste. Quant à Rushdie, il a dû vivre de nombreuses années sous intense protection policière après que l’ayatollah Khomeini ait émis une fatwa qui encourageait à le tuer après qu’un de ses livres ait été jugé injurieux à l’égard du prophète de l’islam.
Rushdie résista fortement à ‘la seule exception’ en faveur de laquelle Wiesel plaida que la censure était justifiée.
«Nous sommes en danger de perdre la bataille de la liberté d’expression», a dit M. Rushdie. La liberté d’expression est présentée comme une valeur imposée par l’Occident et non comme un droit humain universel. Des termes comme ‘respecter’ sont maintenant redéfinis pour signifier ‘donner son accord’ et la censure est déguisée comme une défense vertueuse de la diversité. Selon lui, la fatwa dont il a fait l’objet menait au rejet de la fiction comme genre littéraire et était «le début de quelque chose qui allait s’étendre à l’échelle planétaire».
La liberté d’expression et d’imagination «est remise en question et fortement attaquée par les autorités religieuses et des armées religieuses de toutes sortes, pas seulement de l’islam», a déclaré M. Rushdie.
«Il serait grandement inapproprié de penser qu’un système d’idées ne puisse pas être remis en question», a soutenu M. Rushdie. Les droits des individus doivent être protégés mais «les croyances elles-mêmes doivent pouvoir faire l’objet de débats, de critiques, de satires et de toutes sortes de remarques irrespectueuses».
À titre d’exemple, il mentionna une caricature qu’il venait de voir montrant Mahomet lisant un journal qui disait «C’est dommage car les autres prophètes ont des fidèles qui ont le sens de l’humour».
Référant à la situation qui prévaut en Allemagne, Elie Wiesel a déclaré que, dans le cas de ceux qui nient l’Holocauste, «J’accepte que la liberté d’expression dans ce cas devrait être contre la loi».
Une des critiques les plus fréquemment évoquées contre les limitations à la liberté d’expression c’est le fait qu’une personne se sente blessée et humiliée. Ça ne constitue pas une raison suffisante pour justifier ce genre de restrictions.
Selon Salman Rushdie, le fait d’interdire la négation de l’Holocauste contribue à générer «des martyrs de la libre expression» qui ne méritent pas ce statut comme David Irving, l’historien britannique poursuivi et emprisonné en Autriche. Cela a fourni une exposition et une couverture à ses idées discréditées qu’elles n’auraient jamais eues autrement.
Référence supplémentaire
Point de Bascule : Fiche Commission des droits de la personne du Québec (CDPDJ)
Auteur : Joseph Brean
Référence : National Post, 1 juin 2010, p. A3