Khashoggi, Ben Laden et les Mujahedeen en Afghanistan
L’affaire Khashoggi, encore ce weekend, continue de faire la une des médias québécois. Pour ceux et celles qui ne suivent l’affaire qu’en surface, Khashoggi, qualifié de journaliste, a été assassiné d’une façon inhumaine et macabre. Pour ceux qui ont tenté de mieux comprendre le sujet, c’est la nature répressive et la continuité mafieuse du nouveau régime saoudien où liberté de presse jumelée au danger de critiquer le régime du prince héritier Ben Salman qui sont mise en évidence. Est-ce nouveau ?
Liberté de presse?
Cette affaire a le mérite de nous rappeler le danger que doivent faire face ces journalistes lorsqu’ils enquêtent en terrain hostile. Là où l’affaire s’embrouille s’avère être entre les mains de ceux qui décident de la ligne éditoriale et cette tendance à mettre l’accent sur la façon macabre dont Khashoggi a été tué. Les détails sur la possible mutilation semblent alimenter voire amplifier la couverture médiatique quotidienne. Certains répètent un scénario horrible, dans lequel est décrit la scène de mutilation en précisant l’outil de choix: la scie à os. On spécifie qu’un spécialiste saoudien s’est joint au groupe de tueurs pour pratiquer son art de démembrement. Pour les initiés du Moyen-Orient, ce n’est probablement pas une nouvelle surprenante. En ce qui a trait à la liberté de presse, on a affaire à une chicane de clocher entre deux pays qui remporteraient la palme d’or dans le domaine de la censure et de la propagande: Le royaume saoudien (seul pays au monde nommé en l’honneur d’une famille) et la Turquie.
Des informations crédibles et fiables?
L’affaire se passe en Turquie, un pays qui, selon Reporters sans frontières :
Fait « la chasse aux médias critiques menée par le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan » et qui a « permis aux autorités de liquider d’un trait de plume des dizaines de médias… La Turquie est de nouveau la plus grande prison du monde pour les professionnels des médias. »
En ce qui a trait à l’Arabie saoudite, le changement de régime n’a pas réellement changé son attitude face au journalisme et la liberté de presse.
Démembrements, décapitations, pendaisons et mutilations…de journalistes
Si les journalistes et les médias québécois (et canadiens) sont si investis par la liberté de presse et la sécurité des journalistes (et blogueurs), on se demande pourquoi, l’un des pires pays au monde, en ce qui concerne la sécurité des journalistes, le Mexique, ne mérite pas une attention médiatique aussi importante et un temps d’antenne des chaînes d’information en continue ?
Les exécutions annuelles de journalistes mexicains se comptent à plus d’une dizaine (un total qui dépasse la centaine si on recule de quelques années), et pourtant, ‘la façon de faire’ est tout aussi horrible que l’affaire Khashoggi : décapitations, démembrements et scènes spectaculaires de corps mutilés avant d’être exposés et finalement suspendus sous des viaducs au vu et au su de tous. Bien que de tels châtiments ne soient pas le lot exclusif des journalistes, chose certaine, bon nombre ont vécu l’enfer de la torture et des mutilations. De plus, malgré les menaces, un nombre important de journalistes (et blogueurs) courageux continuent de pratiquer leur métier, honnêtement, par conviction et par principe.
Deux longues semaines sur Khashoggi et on ne connait toujours rien sur lui. De plus, on lui attribue soudainement le symbole de la liberté de presse et le titre de journaliste. D’autre part, les manchettes sur les atrocités aussi macabres alors que la situation pitoyable de journalistes mexicains n’attire pas l’attention des médias.
Trois analyses sur l’affaire Khashoggi
Point de Bascule vous présente une entrevue avec As’ad Abukhalil, ancien communiste, professeur de la California State University et spécialiste du Moyen-Orient. Il a la particularité d’avoir suivi, en arabe, la feuille de route, les actions, les écrits, les déclarations et le rôle que Khashoggi a joué comme acteur politique. Son entrevue est disponible en anglais et diffusée sur le canal TheRealNews.com.
Abukhalil indique qu’à l’époque ou Khashoggi travaillait pour le régime saoudien :
«il n’y a pas de journalisme sous un régime saoudien; il n’y a que de la propagande»
As’ad Abukhalil est interviewé par Sharmini Peries (TheRealNews.com – 15 octobre 2018) : Kashoggi a choisi le mauvais prince (l’interview est en anglais).
Titre original : Khashoggi Picked the Wrong Prince
Cliquez sur l’image pour accéder à l’interview
https://www.youtube.com/watch?v=zRG8lA3v0sg&t=7s
Nous avons traduit la lettre ouverte du Sénateur Rand Paul. Paul a le mérite de nous rappeler l’importance de changer les relations avec le royaume et ce, qu’importe le régime d’Arabie saoudite qui est en place . Paul a toujours défendu l’idée qu’il faut cesser de s’enliser dans des conflits que ne concernent pas les États-Unis et de développer des relations qui reflètent mieux les intérêts américains.
Sénateur Rand Paul (Fox News – 17 octobre 2018) Sen. Rand Paul : Repenser la relation entre les États-Unis et le Royaume d’Arabie saoudite (Traduction vers le français par Point de Bascule)

Khashoggi-Ikwan-via-rushlimbaugh.com
Et finalement, Point de Bascule a aussi traduit l’analyse de John R. Bradley et son excellent portrait de Khashoggi. Bradley fait ressortir la carrière de cet ‘acteur’ politique au sein de la famille royale, ses relations avec les proches d’Erdogan et sa loyauté, jusqu’aux derniers jours du Washington Post, aux idéaux théocratiques (et non pas démocratique) des Frères Musulmans. Bradley est un initié de l’Arabie saoudite, un spécialiste du Moyen-Orient et surtout, il était aux côtés de Khashoggi lorsqu’ils travaillaient pour le journal saoudien Arab News. Bradley est l’auteur de plusieurs livres dont : Saudi Arabia Exposed: Inside a Kingdom in Crisis (L’Arabie saoudite exposée ; la crise du royaume vue de l’intérieur) Martin’s Press.
Quatre extraits tirés de l’article traduit par Point de Bascule donnent le ton sur la nature réelle du rôle de Khashoggi :
« Avant d’être à l’emploi d’une succession de princes, il était éditeur de journaux saoudiens. Le pouvoir exclusif que l’éditeur d’un journal, lorsque promu par un gouvernement saoudien comme le sien, est de s’assurer que rien de tel que du journalisme honnête ne puisse être publié. »
« En vérité, Khashoggi n’avait pas réellement la tête à s’investir dans les idées d’une démocratie pluraliste à l’occidentale. Vers la fin des années 1970, il s’est joint à l’organisation des Frères Musulmans dont la mission est de se débarrasser de l’influence occidentale du monde islamique. Il était un islamiste politique jusqu’à la fin, et tout récemment, il a louangé les Frères Musulmans dans le Washington Post. »
« Khashoggi était le seul acteur, dans la période précédant l’attaque du 11 septembre, qui ne faisait pas partie du cercle royal et qui était au fait du problème des liens d’affaires étroits entre les membres de la famille royale avec Ben Laden.»
« (…) son ami de confiance à l’époque était un conseiller du Président Erdogan, alors en voie d’acquérir la réputation du plus féroce procureur anti-journaliste sur terre. Khashoggi n’a jamais réellement critiqué Erdogan. Nous ne devrions donc pas conclure que nous avons affaire à l’assassinat d’un réformateur libéral. »
Ce qui n’est pas sans rappeler les propos du guide spirituel des Frères Musulmans, Youssef Qaradawi qui a déjà expliqué l’avancée de l’islam par deux facteurs :
- D’une part, le travail de terrain des Frères Musulmans et d’organisations similaires et, d’autre part,
- Les contributions en pétrodollars de milliardaires du Golfe à la cause islamiste
John R. Bradley (The Spectator – 13 octobre 2018) : John R. Bradley : Khashoggi «islamiste politique jusqu’à la fin» et «indignation globale… pour toutes les mauvaises raisons»
Lectures complémentaires
Point de Bascule : FICHE Arabie saoudite
Point de Bascule (8 mai 2017) : L’Arabie saoudite salue l’adoption de la motion M-103 contre l’islamophobie qu’elle présente comme un avant-projet de loi (‘draft bill’)
Claudia Cattaneo (Financial Post / National Post – 9 février 2016) : Des volumes considérables de pétrole saoudien sont importés au Canada pendant que le Québec et d’autres multiplient les obstacles à l’acheminement du pétrole de l’ouest canadien
Sputnik (16 avril 2016) : L’Arabie saoudite menace Washington de représailles si certains documents concernant les attentats du 11 septembre 2001 sont déclassifiés
–GMBDW (11 juillet 2016) : Youssef Qaradawi et Rachid Ghannouchi en visite privée en Arabie saoudite malgré que les Frères Musulmans aient officiellement un statut d’entité terroriste dans le pays
Point de Bascule (23 novembre 2011) : Canada – Arabie saoudite : Deux exemples de situations qui rendent inappropriée la participation du Dr. Philippe Couillard à la surveillance du SCRS