Jacques Frémont a quitté la présidence de la CDPDJ en cours de mandat. Il deviendra recteur de l’Université d’Ottawa le 1er juillet 2016. (Le Droit)
VIDÉO 03:57 JACQUES FRÉMONT (25 mars 2015) : «Lorsque j’ai été nommé [à la tête de la CDPDJ], dans la première semaine il y a quelqu’un qui, à la Commission, m’a posé la question, parce que, bien sûr les fonctionnaires, eux restent, et les présidents passent, les vice-présidents, les commissaires passent mais comment dire les fonctionnaires restent… Ce fonctionnaire m’a dit : ‘Monsieur Frémont, à la fin de votre mandat dans cinq ans, qu’est-ce que vous voulez que les gens disent de vous?’ Et, immédiatement, j’ai ‘snappé’ … J’ai dit : Écoutez, ce que j’aimerais qu’ils disent de moi c’est que ‘C’était vraiment un emmerdeur.’»
La Commission des droits de la personne indique sur son site internet que «Monsieur [Camil] Picard a été désigné président [par intérim] de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse par l’Assemblée nationale le 13 avril 2016 pour remplacer le président Jacques Frémont qui a quitté ses fonctions en cours de mandat.» M. Picard était le responsable du mandat jeunesse de la Commission depuis le 12 septembre 2013. CDPDJ / WebArchive – Archive.Today
M. Frémont avait été désigné président de la CDPDJ par le gouvernement du Parti québécois le 12 juin 2013 après une carrière à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, puis dans l’administration de l’Université et comme directeur d’un des programmes de l’Open Society, l’organisation soutenue par le milliardaire George Soros. CDPDJ WebArchive – Archive.Today
En décembre 2015, l’Université d’Ottawa a choisi Jacques Frémont pour remplacer Allan Rock comme recteur de l’institution à la fin de son mandat qui se termine en juin 2016. Le Droit / WebArchive – Archive.Today
La columnist Lysiane Gagnon a récemment écrit du #PL59 (qu’elle qualifie ‘d‘entreprise ignoble’, au demeurant) que s’il devait être adopté, il «ferait des fonctionnaires politiquement corrects de la Commission des droits de la personne les arbitres de la liberté d’expression au Québec». Le départ de Jacques Frémont de la CDPDJ ne change évidemment rien à cette situation.
L’énoncé du projet de loi 59 sur le discours haineux est disponible sur le site de l’Assemblée nationale : PDF accessible – Cache HTML / Archive.Today.
Le #PL59 a été déposé par le gouvernement Couillard en juin 2015 pour répondre à une recommandation faite par la CDPDJ en novembre 2014. Invité à commenter cette recommandation à Radio-Canada en décembre 2014, M. Frémont avait indiqué que l’intention de la CDPDJ était d’utiliser les nouvelles mesures pour initier notamment des poursuites contre «des gens qui écriraient contre […] la religion islamique».
Le 19 mai dernier, lors de l’étude détaillée du projet de loi à l’Assemblée nationale, la ministre Vallée a voulu se faire rassurante et a affirmé que la critique de la religion (et donc, de la religion islamique en particulier) serait toujours permise après l’adoption du #PL59.
VIDÉO 00:13:13 (19 mai 2016) – MINISTRE STÉPHANIE VALLÉE [Transcription de Point de Bascule] : Je souscris à cette volonté de lancer un signal à ceux qui croient qu’on ne peut critiquer leur religion. Oui, on peut la critiquer la religion.
NOTE : Le Journal des débats de l’Assemblée nationale indique que la transcription officielle des échanges de la séance du 19 mai 2016 sera disponible le 8 juillet prochain. Par contre, la vidéo de la séance est disponible dès maintenant.
Malgré les assurances de la ministre, on doit faire remarquer que les personnes qui partagent une religion constituent un des groupes protégés par le projet de loi 59. Donc, il est tout à fait plausible d’envisager une situation où des lobbies islamistes et la CDPDJ puissent considérer ‘haineux’ ce que la ministre pourrait décrire, aujourd’hui, comme une critique légitime. Et c’est là, tout le problème.
En ce qui concerne l’interprétation des lois devant les tribunaux, la jurisprudence retient la portée limitée des assurances et des déclarations de ministres parrainant des projets de loi lors des travaux préparatoires. Dans l’arrêt Doré c. Verdun (Ville) [1997] 2 RCS 862, le juge Gonthier déclare que «[36] Les travaux préparatoires ‘sont à lire avec réserve puisqu’ils ne constituent pas toujours une source fidèle de l’intention du législateur’».
Le 18 août 2015, lorsque le directeur de Point de Bascule avait manifesté son opposition au #PL59 en commission parlementaire en faisant ressortir ce que la CDPDJ voulait en faire, la ministre Vallée s’était objectée en faisant valoir que c’était son projet de loi et non celui de Jacques Frémont ou de la CDPDJ. («C’est quand même moi qui porte ce dossier-là.») Pourtant, une fois la loi adoptée, les assurances de la ministre auront bien peu de poids face à la lettre de la loi. Tout ce que la CDPDJ aura à démontrer devant le Tribunal des droits de la personne pour justifier l’initiation de poursuites contre «des gens qui écriraient contre […] la religion islamique», c’est que les propos reprochés ciblent un des groupes visés par la loi.
Il convient également de souligner que le mandat activiste et politique que s’est donné la CDPDJ de «changer les mentalités» est incompatible avec son autre mandat d’initiation de poursuites. Ce double mandat laisse la porte toute grande ouverte pour que la Commission règle ses comptes en initiant des poursuites contre ceux qui contestent sa façon de voir au sujet de la menace islamiste ou d’autres enjeux en les accusant de tenir un ‘discours haineux’ contre un des groupes ciblés par la loi. Point de Bascule et le juriste Guillaume Rousseau ont évoqué cette situation lors des consultations publiques sur le #PL59 en août-septembre 2015.
Guillaume Rousseau (16 septembre 2015) : [L]a question, c’est que la commission des droits de la personne prend des positions politiques controversées, surtout depuis quelques années, c’est un fait, contre la loi spéciale dans le conflit étudiant, au sujet de la laïcité et tout. Donc, elle prend position de manière controversée puis, ensuite, elle peut lancer des poursuites pénales ou quasi pénales — quasi pénales ou pénales, il y a même un article qui parle carrément de poursuites pénales – contre des gens qui pourraient défendre le point de vue adverse. Donc, ça, c’est problématique. On sait par exemple que la police, le Directeur des poursuites criminelles et pénales, ce n’est pas des gens qui prennent des positions politiques. De par leur rôle de coercition, ils s’abstiennent d’avoir des positions politiques. La commission des droits de la personne n’a pas cette prudence, et je le déplore.
Marc Lebuis / Point de Bascule (18 août 2015) : Dans un discours qu’il a prononcé à l’Université de Montréal le 25 mars 2015, le président de la CDPDJ, M. Frémont, a décrit le rôle activiste de la CDPDJ de la façon suivante. Il a déclaré que le mandat de la CDPDJ est de «faire changer les mentalités, d’induire le changement social et de faire le droit». Quand M. Frémont a expliqué ce qu’il entendait faire par faire le droit, il a indiqué que la CDPDJ devait initier des poursuites sans avoir la certitude absolue de les gagner devant les tribunaux, que la CDPDJ devait «prendre des risques» pour voir jusqu’où les juges sont prêts à aller dans le sens des changements que la CDPDJ veut amener dans la société. Dans une société de droit, le mandat des organismes de l’État n’est pas d’essayer de faire indirectement ce qu’ils n’ont pas le mandat de faire directement.
Références supplémentaires
2009 – Point de Bascule (12 novembre 2015): Participation de Jacques Frémont aux activités de la Qatar Fondation en 2009 – Rappel des positions totalitaires de Youssef Qaradawi, le principal idéologue islamiste soutenu par cette fondation
2013 – Journal des débats (28 novembre 2013) : Jacques Frémont a été recommandé pour le poste de président de la CDPDJ à la PM Marois par le ministre de la Justice Bertrand St-Arnaud
NOVEMBRE 2014 – Point de Bascule (23 janvier 2015) : En novembre 2014, Jacques Frémont participa à un forum qu’inaugura le roi du Maroc en déclarant que l’universalité des droits de l’homme n’est pas ‘l’expression d’une pensée et d’un modèle unique’
DÉCEMBRE 2014 – Point de Bascule (12 décembre 2014) : La Commission des droits de la personne du Québec désire une modification des lois pour faciliter les plaintes, notamment, contre les sites internet qu’elle juge ‘islamophobes’
DÉCEMBRE 2014 – Point de Bascule (19 décembre 2014) : Le président de la Commission des droits de la personne a confirmé à Radio-Canada qu’il désire s’en prendre à ceux qui critiquent des idées, à ceux qui critiquent la religion islamique en particulier
MARS 2015 – Point de Bascule (30 juin 2015) : 25 mars 2015 – Extraits d’une allocution de Jacques Frémont sur le rôle de la CDPDJ (L’exposé de M. Frémont fait ressortir que la CDPDJ a , à la fois un rôle d’activiste [faire changer les mentalités] et un rôle d’initiateur de poursuites judiciaires contre ceux qui refusent les idées que la Commission veut promouvoir / imposer.)
Point de Bascule : FICHE Commission des droits de la personne du Québec / Plusieurs articles de Point de Bascule sur diverses facettes du projet de loi 59
Point de Bascule : FICHE Commission des droits de la personne du Québec / Références générales sur le projet de loi 59