http://www.journaldemontreal.com/2016/03/02/le-discours-haineux-defini-dans-le-pl-59
Auteur : Pierre Trudel
Référence : Journal de Montréal / Blogue, 2 mars 2016
Titre original : Le discours haineux défini dans le PL 59 / Archive.Today
Pratiquement tous ceux qui se sont exprimés lors de la commission parlementaire ont mis en garde contre les graves violations de la liberté d’expression qu’on retrouve dans le projet de loi 59 sur la prévention du discours haineux.
Devant pareil tollé, la persistance du gouvernement à vouloir le faire adopter surprend.
Certes, la ministre y a apporté des modifications. Pour l’essentiel, la principale modification a été d’inclure dans le texte du projet de loi une définition de ce qui constitue du discours haineux. La définition proposée se lit comme suit:
«Est un discours haineux le discours (…) qui aux yeux d’une personne raisonnable est d’une virulence et d’un extrême tel qu’il est susceptible d’exposer ce groupe à la marginalisation ou au rejet, à la détestation, au dénigrement ou à l’aversion notamment pour que ce groupe soit perçu comme étant illégitime dangereux ou ignoble.»
Cette définition est inspirée de la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Whatcott.
La simple lecture de cette définition permet de constater que ce qui est considéré comme du discours haineux en droit canadien, ce n’est pas n’importe quel propos critique qui hérisse les gens.
Ce n’est pas n’importe quel discours ou éditorial critiquant un groupe protégé contre la discrimination qui est un propos haineux.
Il faut que le propos atteigne à un seuil élevé de gravité dans l’esprit d’une personne raisonnable.
Sauf que dans la société québécoise actuelle, il s’en trouve plusieurs pour crier au discours haineux dès qu’un commentaire les choque.
Dans un tel contexte, il paraît irresponsable de mettre à la disposition de ceux qui ont du mal à tolérer des propos avec lesquels ils sont en désaccord, un mécanisme de plaintes aussi commodément disponible pour faire taire les opinions qui leur déplaisent.
Par exemple, il y a quelques jours, certains qualifiaient de discours haineux un commentaire publié dans ce journal par Denise Bombardier [Archive.Today] et portant sur des événements survenus au Cégep de Maisonneuve.
On aura beau lire et relire cent fois le propos de Mme Bombardier, il est difficile d’imaginer comment une personne raisonnable pourrait y voir quelque chose qui se rapproche de la définition de propos haineux que nous avons reproduit plus haut.
Mais si le projet de loi 59 était devenu loi, rien n’empêcherait une personne de traîner la commentatrice devant la Commission des droits de la personne.
Le PL 59 garantit même l’anonymat aux «dénonciateurs» de propos qu’ils imaginent haineux.
Il leur suffit de se mettre dans la tête que le propos est haineux, de loger une plainte sous l’anonymat et le tour de bâillon est joué!
Ce sera à celle qui a exprimé une opinion sur un sujet d’intérêt public de se justifier.
La liberté d’expression bénéficie d’une protection constitutionnelle: il est dangereux de mettre dans une loi des dispositions présentant un potentiel inhibiteur aussi élevé.
On ne peut prétendre respecter la liberté d’expression et mettre en place des lois qui mettent à risque toute personne qui s’exprime sur un sujet controversé de devoir se justifier.
Compte tenu de la propension prévalant dans certains milieux à ravaler la liberté d’expression à un privilège s’appliquant uniquement lorsque le propos ne dérange pas, ou lorsqu’on a pris soin de ne pas «froisser les sensibilités» ou les croyances des uns et des autres, l’approche du projet de loi 59 n’a rien de rassurant.
Il existe déjà des approches moins liberticides pour lutter contre la radicalisation et les comportements haineux.
Le Code criminel prévoit déjà des sanctions pour les propos qui sont vraiment haineux. Ces dispositions sont assorties de garanties.
Des garanties qui balisent les risques de chasses aux sorcières qui sont hélas toujours bien présents dans le projet de loi 59.
Références supplémentaires
Pierre Trudel (Journal de Montréal – 19 août 2015) : Le projet de loi 59 : une très grave menace à la liberté d’expression / Archive.Today
Journal de Montréal / Blogue (17 septembre 2015) : Le professeur de droit Pierre Trudel revient à la charge : Il compare le régime qu’instituerait #PL59 / #Bill59 à l’Inquisition
Point de Bascule (5 août 2015) : En marge de #PL59 – Le projet de la CDPDJ de poursuivre des sites internet appartenant au secteur des télécommunications de compétence fédérale
Point de Bascule (23 janvier 2015) : En novembre 2014, Jacques Frémont participa à un forum qu’inaugura le roi du Maroc en déclarant que l’universalité des droits de l’homme n’est pas ‘l’expression d’une pensée et d’un modèle unique’
Point de Bascule : FICHE Commission des droits de la personne du Québec / Plusieurs articles de Point de Bascule sur diverses facettes du projet de loi 59
Point de Bascule : FICHE Commission des droits de la personne du Québec / Références générales sur le projet de loi 59