La Presse (27 septembre 2007) / WebArchive – Archive.Today
En marge du dixième anniversaire de la Commission Bouchard-Taylor
Le post-mortem des récents attentats terroristes de Bruxelles a bien fait ressortir que, depuis plusieurs décennies, de nombreux observateurs avaient signalé des manifestations d’islamisation en Belgique et avaient mis en garde contre la promotion locale d’idéologues islamistes justifiant le recours à la violence et d’autres aspects de leur programme totalitaire. Cependant, comme l’ont rapporté La Presse et d’autres médias, au fil des ans les responsables de la sécurité qui ont cherché à enquêter sur la menace se sont fait rappeler à l’ordre par des politiciens qui ne voulaient pas mettre en péril leur base électorale dans des quartiers musulmans comme Molenbeek. Les élites ont également tenté de discréditer les journalistes qui enquêtaient sur la menace en les traitant d’islamophobes, etc.
Au Québec, en 2007-2008, la Commission Bouchard-Taylor a joué un rôle semblable à celui de ces élites belges pour délégitimer ceux qui mentionnaient des symptômes d’islamisation au Québec. À l’approche du dixième anniversaire de la Commission Bouchard-Taylor (créée par le premier ministre Jean Charest le 8 février 2007), Point de Bascule entend publier quelques articles pour faire ressortir l’aveuglement volontaire de la Commission face à la menace islamiste lorsqu’elle mena ses travaux en 2007-2008.
Ce second article de notre série sur la Commission Bouchard-Taylor s’attarde à une déclaration faite par Charles Taylor en 2007 selon laquelle l’excision (mutilations génitales féminines) n’a rien à voir avec l’islam. Sa prise de position démontre comment des sommités intellectuelles peuvent écarter des réalités criantes plutôt que de mettre en péril les utopies qu’ils se sont bâtis.
Le premier article, publié il y a quelques jours, sur la Commission Bouchard-Taylor a mis en évidence que la Commission a non seulement ignoré mais combattu les conclusions sur la menace islamiste tirées par l’Assemblée nationale du Québec lorsqu’elle adopta sa motion anti-charia en 2005. Une des premières actions de la Commission avait d’ailleurs été de rencontrer privément pour consultation les islamistes de l’organisation Présence Musulmane de Tariq Ramadan qui avaient été aux premiers rangs pour combattre la motion de 2005. À l’époque, son leader au Canada qualifiait l’initiatrice de la motion anti-charia, la députée Fatima Houda-Pepin, de «pourfendeuse des islamistes imaginaires».
Le 26 septembre 2007, alors qu’il dirigeait une consultation publique de la Commission Bouchard-Taylor à Joliette, Charles Taylor a rabroué un participant qui avait associé l’excision à l’islam.
Charles Taylor (La Presse / 27 septembre 2007) : «[L’excision,] ce n’est pas dans le Coran. Ce n’est pas dans la religion musulmane. Il ne faut pas attribuer toutes les choses que l’on considère horribles à l’islam. Respectons les faits, SVP».
Le Coran n’est, évidemment, qu’une des sources du droit islamique. Plusieurs règles de charia sont basées sur les hadiths (ahadith au pluriel en arabe). Il s’agit de paroles et d’actions attribuées à Muhammad, le fondateur de l’islam.
C’est précisément sur quoi s’appuie le guide spirituel des Frères Musulmans, Youssef Qaradawi, pour justifier l’excision du clitoris. En février 2004 sur islamonline.net, il affirma que le fondateur de l’islam avait déclaré à une sage-femme: «Réduisez la taille du clitoris mais n’excédez pas la limite car ceci est meilleur pour la santé des femmes et préféré par les maris».
En 2015, le Daily Mail britannique / Archive.Today établissait à 92% le pourcentage de femmes mariées qui ont subi l’excision en Égypte, le pays d’origine des Frères Musulmans où leur influence est considérable.
Un article du Telegraph / Archive.Today publié au début de 2016 indiquait qu’entre octobre 2014 et septembre 2015, 5484 cas de mutilations génitales ont été rapportés uniquement au Royaume-Uni.
Un autre exégète très populaire dans les rangs islamistes, Ibn Taymiyya (1263-1328), a affirmé que le but de la procédure «vise à réduire le désir sexuel de la femme : si elle n’est pas excisée la femme devient encline à l’activité sexuelle et elle recherche davantage la compagnie des hommes». Les propos d’Ibn Taymiyya ont été rapportés par la fondatrice de CAIR-Canada, Sheema Khan, dans le Globe and Mail en 2010.
Charles Taylor aurait pu plaider que certains exégètes musulmans considèrent l’excision comme facultative mais, en la présentant comme étant complètement étrangère à l’islam, il embellissait la réalité à la façon des apologistes qui déclarent que le crime d’honneur n’a pas de justifications dans la charia.
Dans le passé, Gérard Bouchard, l’autre coprésident de la Commission Bouchard-Taylor, a eu recours à la doublepensée avec les facettes de l’islam qui le rendent inconfortable pour ne pas ébranler l’édifice intellectuel qu’il s’est construit. C’est ce qui l’a amené à affirmer que la justification du recours à la violence, était «très largement rejetée» par l’islam. Dans le cas de l’endossement de l’excision par Youssef Qaradawi, Gérard Bouchard serait bien malvenu de l’écarter comme une quantité négligeable puisque Qaradawi est non seulement l’un des idéologues les plus influents du monde sunnite mais un exégète endossé par plusieurs des organisations islamistes que lui-même et Charles Taylor ont recommandées au gouvernement d’appuyer dans leur rapport final (p.236). L’article de La Presse et la liste des 23 organisations signataires évoquées à la note 91 du rapport Bouchard-Taylor sont disponibles sur Point de Bascule.
En 2007, Salah Basalamah, le fondateur de Présence Musulmane (consultée et recommandée par Bouchard-Taylor au gouvernement), a présenté Youssef Qaradawi comme «un des exégètes musulmans les plus fameux dans le monde» dans un exposé qu’il présenta sur l’éducation islamique au Canada. En 2008, l’autre fondateur de Présence Musulmane, Tariq Ramadan, a décrit Qaradawi dans son livre La réforme radicale comme un ‘savant’ musulman dont les écrits répondent aux questions que se posent les musulmans qui vivent en situation minoritaire en Occident. L’endossement des écrits de Qaradawi pour les musulmans qui vivent au Canada et ailleurs en Occident est particulièrement troublant puisque Qaradawi a plaidé, entre autres, pour la conquête musulmane de l’Occident, il a écrit que «le véritable islam est essentiellement politique», il a justifié les attentats suicide, il a présenté Hitler comme un envoyé d’Allah venu punir les juifs, etc.
En septembre et décembre 2004, le leader du Conseil musulman de Montréal (également recommandé par Bouchard-Taylor au gouvernement) endossa Youssef Qaradawi. En décembre 2004, Salam Elmenyawi déclara au Devoir que le Conseil de la charia qu’il travaillait à établir comptait consulter Qaradawi (al Kardaoui) dans le futur pour trancher des questions de jurisprudence islamique.
En 2002 dans le Globe and Mail, à titre de présidente de CAIR-Canada (également recommandé par Bouchard-Taylor au gouvernement), Sheema Khan a décrit Youssef Qaradawi comme un «exégète musulman renommé», sans énoncer aucune réserve à son endroit.
En avril 2007, la Muslim Association of Canada (également recommandée par Bouchard-Taylor au gouvernement) présentait le livre Le licite et l’illicite en Islam de Youssef Qaradawi comme «un ouvrage d’une extraordinaire finesse [qui] doit se retrouver dans la bibliothèque de tout musulman». C’est dans ce livre, notamment, que Youssef Qaradawi déclare que les musulmanes doivent porter le hijab comme une sorte d’étendard, pour se distinguer des non-musulmanes et pour prévenir les agressions (Voir les sections How a Muslim Woman Should Conduct Herself et Women’s ‘Awrah). Point de Bascule a eu l’occasion de citer ces extraits pour réfuter Gérard Bouchard sur la signification que les islamistes accordent au hijab dans un article en 2013.
Le manuel de charia Umdat Al-Salik
Une autre importante justification islamique de l’excision est fournie par le manuel de charia Umdat Al-Salik. Ce manuel est un recueil de jurisprudence de l’école shafiiste, l’une des quatre écoles d’interprétation de l’islam sunnite (les autres écoles étant la malékiste, l’hanbaliste et l’hanafiste). Le site de l’Université de la Caroline du Nord présente une carte géographique / Archive.Today qui identifie les principales zones d’influence de chaque école dans le monde. Selon l’article e4.3 du manuel de charia, l’excision du clitoris est obligatoire pour l’école d’interprétation shafiiste alors qu’elle n’est que ‘recommandée’ pour l’école hanbaliste et considérée comme une ‘simple courtoisie’ à l’égard du mari par l’école hanafiste
Reliance of the Traveller (Traduction anglaise de l’Umdat Al-Salik) / WebArchive
L’Umdat al-Salik a été traduit de l’arabe vers l’anglais en 1991. Des certificats de conformité du texte anglais aux préceptes de la jurisprudence islamique ont été émis notamment par l’Université Al-Azhar d’Égypte et par l’International Institute of Islamic Thought (IIIT). Ils apparaissent dans les premières pages de la traduction anglaise.
L’Université Al-Azhar est considérée comme le principal centre intellectuel de l’islam sunnite dans le monde. En 2008, ses responsables réitérèrent leur appui à l’excision / Archive.Today et s’opposèrent aux autorités égyptiennes quand celles-ci annoncèrent leur intention de criminaliser les mutilations génitales féminines.
L’IIIT est le principal centre de recherche des Frères Musulmans en Amérique du Nord. Il a été fondé en 1981 et il est basé à Herndon (Virginie). Dans son livre A mosque in Munich, consacré aux débuts des Frères Musulmans en Europe, l’auteur Ian Johnson décrit «le rôle véritable» de l’IIIT comme étant de «fournir les bases théoriques qui permettent l’expansion de l’islamisme en Occident». Cherchez le terme ‘underpinnings’ dans la version originale anglaise pour retrouver le passage.
À l’instar de l’endossement de l’excision par Youssef Qaradawi, l’appui qu’accordent, aujourd’hui, des organismes musulmans de premier plan à un manuel de charia du XIVe siècle qui déclare l’excision ‘obligatoire’ démontre que, bien que cette pratique ait précédé l’arrivée de l’islam, elle n’en a pas moins été intégrée au droit islamique depuis des siècles. Cela démontre également que l’excision ne résulte pas d’une interprétation de l’islam qui serait «très largement rejetée» comme l’affirma Gérard Bouchard au sujet d’une autre facette de l’islam dominant (mainstream) qui l’embarrasse.
Plusieurs acteurs musulmans de premier plan ont également endossé et popularisé l’Umdat Al-Salik au Canada.
MOHAMMAD FADEL – En 2010, quand le procureur-général de la Colombie-Britannique a demandé à Mohammad Fadel son opinion d’expert sur la relation entre la polygamie et l’islam, ce dernier a cité ce qu’il a décrit comme «le fameux Umdat Al-Salik» pour étayer sa position (page 52). Mohammad Fadel est titulaire d’une Chaire de recherche en droit islamique à l’Université de Toronto. En 2009, Fadel s’est fait remarquer quand, à titre de témoin de la défense pour Saad Khalid, un des 18 accusés de terrorisme à Toronto, il avait affirmé que les appels à la violence contenus dans des textes islamiques en possession de l’accusé ne s’appliquaient pas au Canada. Le tribunal avait écarté son avis et condamné Khalid à 14 ans de prison.
Point de Bascule : FICHE Mohammad Fadel
HUSSEIN HAMDANI – Avant d’être nommé conseiller du gouvernement fédéral en matière de sécurité nationale en 2005, l’islamiste Hussein Hamdani a dirigé Ihya Productions, une organisation qui se spécialisait dans la distribution d’ouvrages musulmans d’importance. L’Umdat Al-Salik comptait parmi les publications distribuées par son organisation. En avril 2015, Hamdani a été suspendu et éventuellement remplacé à son poste de conseiller de Sécurité publique Canada après que TVA et Point de Bascule aient révélé son association avec des organisations musulmanes impliquées dans le financement d’entités liées au terrorisme.
Point de Bascule : FICHE Hussein Hamdani
TARIQ RAMADAN – Tariq Ramadan jouit d’une grande influence au Canada, y compris auprès de Charles Taylor. Il a référé positivement à l’Umdat Al-Salik et qualifié son auteur Ahmad ibn Naqib al-Misri (1302-1367) de «grand juriste de l’islam» dans son livre Radical Reform. Dans une interview accordée à Egypt Today en 2004, Tariq Ramadan a incité les islamistes opérant spécifiquement au Canada à utiliser le cadre légal canadien («un des plus ouverts dans le monde», avait-il souligné) pour faire passer discrètement les principes de charia un à un. À l’époque, Tariq Ramadan avait fortement enjoint ses partisans de ne pas mentionner ouvertement leur appui à la charia : «Le terme charia est mal vu dans l’esprit des Occidentaux», avait déclaré Ramadan. «Ce n’est pas nécessaire de mettre l’accent là-dessus. […] Pour le moment, ce n’est pas comme ça qu’on veut être perçus», avait-il ajouté.
Point de Bascule : FICHE Tariq Ramadan
En niant l’évidence sur une question aussi circonscrite et facile à vérifier que l’excision dans l’islam, Charles Taylor a défendu non seulement l’édifice intellectuel qu’il s’est bâti durant sa carrière mais une doctrine totalitaire qui nous menace chaque jour davantage. En déformant la réalité pour la rendre conforme à ses souhaits, Charles Taylor a violé la première règle de l’intégrité académique. Quand Charles Taylor applique la même méthode aprioriste en s’aventurant sur le terrain de la sécurité nationale et en minimisant les risques de la menace islamiste au Québec comme il l’a fait dans le rapport de la Commission qu’il a coprésidée en 2007-2008 / WebArchive, il pave la voie aux conséquences les plus dramatiques.
Références supplémentaires
Point de Bascule : FICHE Commission Bouchard-Taylor
Point de Bascule : FICHE Mutilations génitales féminines
Point de Bascule (17 juin 2016) : De la motion anti-charia adoptée par l’Assemblée nationale du Québec en 2005 à la Commission Bouchard-Taylor