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Poster d’une conférence d’Adil Charkaoui sur Sayyid Qutb (1906-1966) au Centre islamique de l’est de Montréal
Lise Ravary s’est intéressée au cas de l’idéologue islamiste Sayyid Qutb (1906-1966) pour réfuter la remarque du premier ministre Couillard selon laquelle l’attaque du djihadiste à Nice le 14 juillet était ‘insensée’ et ‘incompréhensible’.
Ce n’est pas parce qu’une action est répugnante qu’elle n’a pas de sens et qu’elle ne peut pas être comprise, explique Lise Ravary. Et le sens que l’auteur de l’attentat de Nice accordait à son geste, ce qui l’a amené à crier ‘Allahu Akbar’ (Allah est le plus grand) pendant qu’il zigzaguait pour faucher des piétons avec son camion peut être retrouvé dans les écrits d’idéologues comme Qutb et dans son aversion complète envers la civilisation occidentale, envers ce que Nice représente.
Le 17 juillet 2016, le Centre islamique de l’est de Montréal (CIEM / Assahaba) a présenté une conférence d’Adil Charkaoui consacré à l’islamiste ‘réformateur’ Sayyid Qutb. Il y a eu effectivement des cas de ‘réformateurs’ musulmans, comme Mahmoud Taha par exemple, qui proposèrent de réformer certains principes de l’islam pour les rendre conformes à notre époque et à une vision du monde respectueuse des libertés individuelles. Ce n’est pas le sens que les islamistes donnent au terme ‘réformateur’ cependant. Taha a été exécuté en 1985 pour apostasie par le gouvernement soudanais. Le rôle de l’islamiste Hassan Tourabi, alors solliciteur-général du régime soudanais, dans la décision d’exécuter Taha a été examiné par le New-Yorker en 2006.
Point de Bascule (28 mars 2016) : Houda-Pepin : Les islamistes se proclament ‘musulmans modérés’ pour s’infiltrer dans nos institutions / Trois cas de musulmans promus comme ‘modérés’ : Ghannouchi, Tourabi et Hamdani
Quand les islamistes utilisent le terme ‘réformateur’, ils ne désignent pas une personne comme Taha qui voulait réformer l’islam pour l’adapter à une nouvelle réalité mais plutôt une personne qui veut réformer l’approche utilisée à une époque donnée pour faire appliquer les principes de l’islam qu’ils jugent éternels.
En 2015, au Niger, Tariq Ramadan a affirmé : «Ce que je veux réformer c’est ta tête, pas l’Islam! L’Islam n’a pas besoin de réformes.» Sayyid Qutb, que Ramadan a décrit comme un des principaux représentants du courant ‘réformiste salafiste’ de l’islam auquel il appartient, aurait pu en dire autant (voir Western Muslims and the Future of Islam, p.26).
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Auteure : Lise Ravary
Référence : Journal de Montréal, 17 juillet 2016
Titre original : C’est la faute à Sayyid / Archive.Today
[EXTRAITS] «Un geste insensé, incompréhensible.» Voilà les mots choisis par Philippe Couillard pour décrire le massacre de Nice. Pour quelqu’un qui connaît intimement l’Arabie saoudite, ces paroles étonnent. Détonnent.Insensé et incompréhensible vu par la lorgnette du rationnel occidental qui a congédié Dieu quelque part au milieu du XXe siècle. Sauf qu’au même moment Allah effectuait un retour triomphal sur les ailes de la décolonisation arabe, porté par les écrits de l’Égyptien Sayyid Qutb, l’inventeur de l’islam politique et du djihadisme moderne.
Professeur et écrivain, épris de justice sociale et ouvert à la modernité, son pays l’envoie, en 1948, étudier le système d’éducation américain. Là, tout bascule. Deux années à parcourir les États-Unis lui donnent un haut-le-cœur existentiel. Il est dégoûté par tout ce qu’il voit: les femmes, les mœurs, les arts. Les femmes surtout.
Un soir, il sort d’une soirée de danse dans une église du Colorado ébranlé par tant de permissivité.
Pour comprendre l’incompréhensible
Sa Lettre d’Amérique est cent fois plus éclairante pour comprendre la haine des islamistes que les niaiseries d’intellectuels à la mode, comme la féministe américaine Judith Butler, pour qui le Hamas et le Hezbollah sont des mouvements anti-impérialisme progressistes de gauche.
De retour en Égypte, Qutb rejoint les Frères musulmans. Arrêté pour tentative d’assassinat contre le président Nasser, un socialiste laïque, il est condamné à la réclusion.
En prison, il écrit ce qu’on pourrait appeler la déclaration de guerre islamiste à l’Occident, aux Juifs, à la modernité, à la laïcité, appelant les musulmans à une nouvelle guerre sainte. Il sera pendu en 1966.
Depuis, de Ben Laden à Daesh, en passant par les talibans, tous les islamistes boivent ses paroles comme du petit lait halal.
Nice, c’est nous.
Plusieurs voient dans le carnage de Nice la main de l’Occident. La pauvreté, l’exclusion, le colonialisme, les frappes contre Daesh: les salauds, c’est nous. Exactement ce qu’aurait pensé Sayyid Qutb.
Toujours au sujet de Qutb, le cheikh Abou Abd’Allah Charkaoui, Adil pour les intimes, avait programmé hier soir une conférence intitulée Sayyid Qutb, l’imam réformateur à son centre de la rue Bélanger. Je n’y suis pas allée – le cheikh tolère mal les journalistes –, mais je doute qu’il se soit appliqué à démolir le qutbisme.
Ni à promouvoir le djihad. L’homme n’est pas un imbécile, au contraire.
Mais si l’intégrisme religieux mène rarement à la violence – les djihadistes constituent une infime minorité parmi les musulmans –, quand une personne instable est exposée, même brièvement, à la pensée mortifère d’intégristes comme Sayyid Qutb, le danger de radicalisation s’installe.
Références supplémentaires
Point de Bascule : FICHE Sayyid Qutb
Point de Bascule : FICHE Adil Charkaoui
Point de Bascule (7 juin 2012) : Le verset 2:256 ‘Nulle de contrainte en religion’ : l’arme favorite des Frères Musulmans pour berner les élites occidentales (L’article aborde, entre autres, le commentaire coranique de Qutb sur le verset 2:256.)