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«L’existence même de commissions des droits qui combattent la discrimination dans le secteur privé est un abus. Elles ont peu à voir avec les véritables droits de l’homme comme la liberté d’expression, la liberté de culte et la sécurité de la personne. Historiquement, les violations graves des droits humains au Canada ont été commises par le gouvernement plutôt que par de simples citoyens. La législation anti-discrimination ne devrait s’appliquer qu’au secteur public, quitte à préciser et à renforcer les dispositions contenues dans la constitution.»
Tom Flanagan est professeur de sciences politiques à l’Université de Calgary et un ancien directeur de campagne pour le parti conservateur. Nous publions son analyse comme contribution au débat sur les pouvoirs des commissions des droits de la personne au Canada, particulièrement sur le discours de haine. Ces questions sont aussi discutées en Grande-Bretagne (voir ici) et en Australie (voir ici).
Au Québec, la Commission des droits a fait preuve de retenue en matière de censure. Elle a même publié, en mars 2008, un Communiqué sur les poursuites-bâillons (poursuites abusives visant à museler la critique) faisant état de sa recommandation que le droit à la liberté d’opinion et à la liberté d’expression, ainsi que le droit du public à l’information, soient renforcés, notamment par l’ajout du droit à la participation politique parmi les droits politiques contenus dans la Charte québécoise.
C’est dans le rapport de recherche commandé par la commission Bouchard-Taylor, dont les commissaires n’ont pas désavoué les recommandations sur le contrôle des médias dignes d’un État totalitaire, que la menace à la liberté d’expression s’est manifestée. Heureusement, personne ne semble empressé d’y donner suite.
Comme nous l’expliquions dans notre édito sur la commission canadienne des droits (voir ici), transposable à ses contreparties provinciales, les commissions des droits au pays sont idéologiquement orientées, elles ont beaucoup plus à voir avec l’activisme politique qu’avec l’impartialité du juge. Elles agissent avec la logique du deux poids deux mesures, selon les intérêts de leur vision du monde absolument tordue inspirée à la fois de Cuba et de l’Arabie saoudite.
Nous n’endossons pas nécessairement l’ensemble du raisonnement de Tom Flanagan. Mais son analyse du rôle historique du gouvernement dans les violations massives de droits humains est très pertinente. Nous le rejoignons dans sa conclusion que c’est l’État qu’il faut contenir, par les citoyens. Aujourd’hui, c’est l’ingénierie sociale mise en œuvre par les commissions des droits qui porte gravement atteinte aux droits et libertés des citoyens.
Sur son blog, Ezra Levant commente l’article de Flanagan en faisant référence au génocide rwandais, qui avait été précédé d’une campagne de propagande haineuse diffusée sur la radio:
«Ce n’est pas seulement au Canada, mais partout dans le monde, que les massacres de masse sont l’œuvre de gouvernements plutôt que de simples citoyens. Je me souviens d’une discussion que j’ai eue avec un exilé rwandais à Ottawa. Il a déclaré qu’il aurait souhaité qu’il y ait eu une commission des droits appliquant des lois contre la propagande haineuse lorsqu’il était gamin. Je lui ai demandé: si un gouvernement est prêt à assassiner votre famille, pensez-vous vraiment que ses propres lois contre le « discours de haine » l’arrêteront? Loin de là. En fait, s’il y avait eu une telle loi au Rwanda, elle aurait été utilisée contre les adversaires du gouvernement, pour taire ceux qui auraient tenté de le critiquer.»
Time to right some wrongs, par Tom Flanagan, Globe and Mail, 19 mai 2009
Pour la première fois depuis longtemps, les commissions des droits de la personne sont sur la défensive. Le gouvernement Harper est en train de retirer à la Commission canadienne des droits sa compétence en matière d’équité salariale, et le rapport du professeur Richard Moon de l’Université de Windsor a recommandé l’abrogation du pouvoir de la commission d’interférer avec la liberté d’expression.
Les commissions fédérale et provinciales subissent les contrecoups de leurs vaines tentatives de museler les casse-pieds Mark Steyn et Ezra Levant. M. Levant, en particulier, a déclaré un djihad contre les commissions, soulignant le caractère unilatéral des lois qui les encadrent. Ainsi, les commissions assument les frais du plaignant, mais pas ceux du défendeur. Le défendeur qui a eu gain de cause ne peut poursuivre le plaignant pour recouvrer ses frais. Des enquêtes sont menées concurremment par plusieurs commissions sur des plaintes alléguant le même délit, ce qui revient à une double incrimination.
Avec un peu de chance, les législatures corrigeront certains de ces abus. Mais même s’il y a des améliorations, il serait bon de se rappeler que l’existence même de ces commissions est un abus. Elles ont peu à voir avec les véritables droits de l’homme comme la liberté d’expression et de culte, la sécurité de la personne et la propriété privée. Ces agences sont spécialisées dans l’application des lois contre la discrimination, et les questions de préjugés et de discrimination sont beaucoup trop complexes pour être résolues par des slogans de campagnes.
Bien sûr, les préjugés irrationnels et la discrimination, qui amènent à évaluer les gens et à les traiter en tant que membres de catégories plutôt que comme des individus, sont des réalités omniprésentes. Nous ne naissons peut-être pas xénophobes, mais nous apprenons très facilement à le devenir. La véritable question est : le gouvernement devrait-il s’en mêler?
Dans un marché concurrentiel, la discrimination pénalise celui qui la pratique. Un employeur qui refuse d’embaucher des travailleurs en raison de leur race, de leur religion ou de leur origine ethnique restreint ses choix et pénalise son entreprise. Pendant ce temps, ses concurrents gagnent en élargissant leur bassin de recrutement. La même logique s’applique au restaurateur qui refuse des clients potentiels, ou au propriétaire qui refuse de louer à des catégories particulières de personnes. (Je n’oublierai jamais mon expérience comme propriétaire d’un logement locatif durant la récession des années 1980. Je l’aurais loué à des Martiens s’ils s’étaient présentés avec une caution).
Ces arguments sont valables même en présence de préjugés et de discrimination rampants. Ceux qui pratiquent la discrimination s’imposent un fardeau et confèrent un avantage à leurs concurrents. Les marchés concurrentiels n’abolissent pas instantanément les pratiques discriminatoires, mais ils tendent à les saper en les rendant non rentables plutôt qu’en tentant d’ouvrir l’esprit des bigots.
Le gouvernement peut cependant se servir de ses pouvoirs de coercition dans le but d’empêcher que des pratiques discriminatoires dans le secteur privé ne soient compromises par la concurrence.
Le secteur privé traîne un long et honteux passé de pratiques discriminatoires; le refus d’appliquer les lois contre la violence (le lynchage), l’adoption de lois discriminatoires (les lois Jim Crow dans le Sud des États-Unis), l’autorisation de créer des cartels d’affaires (les ligues de sport) et des cartels ouvriers (les syndicats). Satchel Paige aurait été lanceur contre Babe Ruth si le baseball professionnel avait été une industrie compétitive.
En se prévalant de son monopole de la contrainte, le gouvernement fait porter les coûts de la discrimination par ses malheureuses victimes. Pensez aux épisodes de notre histoire qui font honte aux Canadiens et à l’égard desquels le gouvernement a présenté des excuses: le mépris des droits de propriété des Premières nations, l’envoi d’enfants indiens dans des pensionnats, le refus d’admettre des réfugiés juifs, l’exclusion des immigrants chinois et sikh, le déplacement des Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale, l’internement des Ukrainiens pendant la Première Guerre mondiale et des Italiens pendant la Seconde Guerre mondiale, et la stérilisation eugénique des handicapés physiques et mentaux.
Chacun de ces cas était un exercice de la puissance publique. Les majorités politiques les ont sans aucun doute approuvées à l’époque, mais ce n’est pas l’opinion publique qui a déplacé les Japonais ou envoyé les enfants indiens dans des pensionnats. Les autorités publiques l’ont fait, en s’appuyant sur le monopole de la contrainte de l’État. Confier à une agence du gouvernement le mandat d’éradiquer la discrimination dans le secteur privé revient à confier la garde du poulailler au renard.
La législation anti-discrimination, comme la Charte canadienne des droits et libertés, ne devrait s’appliquer qu’au secteur public, quitte à préciser et à renforcer les dispositions anti-discrimination de l’article 15 de la Charte.
Il y a de la discrimination dans le secteur privé, mais elle se résorbe avec le temps en raison des coûts qu’elle impose à ceux qui la pratiquent. La discrimination par le gouvernement, en revanche, se perpétue, car elle s’appuie sur le pouvoir de coercition de l’État.
L’analyse économique et l’histoire démontrent que la discrimination contre les minorités par le gouvernement est une véritable menace à l’égalité devant la loi, et doit être contenue par tous les moyens possibles.
Voir aussi:
Débat en Australie sur l’opportunité d’adopter une Charte fédérale des droits et libertés
La Loi sur les droits de la personne de Grande-Bretagne a dévalué la notion de droits fondamentaux