La Commission canadienne des droits a publié aujourd’hui le Rapport concernant l’article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et la réglementation de la propagande haineuse sur Internet. Le rapport a été rédigé par Richard Moon, éminent spécialiste en droit constitutionnel. Moon recommande d’abroger l’art. 13 de sorte que la Commission et le Tribunal canadien des droits n’aient plus à traiter de propagande haineuse. Celle-ci doit continuer d’être interdite en vertu du Code criminel, mais cette interdiction doit se limiter aux formes d’expression qui préconisent ou justifient la violence, ou qui contiennent des menaces de violence.
Le professeur Moon avait été retenu par Jennifer Lynch, présidente de la Commission canadienne des droits de la personne, pour examiner l’article 13 de la Loi, vu les nombreuses critiques voulant qu’il serve à limiter indûment la liberté d’expression. À notre grande surprise, la première recommandation du professeur Moon est d’abroger l’article 13. Mme Lynch ne s’attendait sûrement pas à cela!
Il s’agit d’une victoire dans la guerre contre les pouvoirs de censure des commissions des droits. On peut remercier Maclean’s, Mark Steyn et Ezra Levant pour ce qu’Ezra appelle la campagne pour la «dénormalisation» du racket orwellien des commissions des droits de la personne au pays. On doit constater avec tristesse que, sauf quelques exceptions, les grands médias sont restés hors du débat et n’ont pas défendu avec vigueur la liberté dans leur propre industrie.
Une recommandation subsidiaire vise à limiter la portée de l’article 13, au cas où il ne serait pas abrogé, pour faire en sorte qu’il ne soit utilisé que dans les cas de formes d’expression qui préconisent ou justifient la violence. Ici, on ne voit pas ce qui justifierait que la Commission des droits ait une autorité concurrente à celle du Ministère public, sauf à vouloir préserver la bureaucratie en place.
La première recommandation du rapport Moon est une victoire. Mais la guerre n’est pas gagnée. D’autres recommandations vont dans le sens de la censure, mais par d’autres moyens. Par exemple, Moon recommande que des conseils s’assurent que les grands médias privés demeurent politiquement corrects. Moon veut des médias drabes, insignifiants, au service du Bien, tel que défini par des comités. Ces types de conseils ou comités auraient sûrement blâmé Ezra Levant pour la publication des caricatures de Mahomet dans son ancien magazine Western Standard. L’avenir s’annonce plus radieux pour les blogues.
Moon recommande aussi que les principaux fournisseurs d’accès Internet créent un service téléphonique et un conseil consultatif pour recevoir et examiner les plaintes de propagande haineuse. Si cet organisme arrivait à la conclusion que la plainte est fondée, le fournisseur d’accès retirerait le site en invoquant l’entente de service signée avec ses clients. Cette recommandation méconnaît le phénomène des trolls™ qui s’empresseront de déposer en masse des plaintes malveillantes™ contre leurs adversaires pour crimes de blasphème™. Les fournisseurs de services ISP seraient vite empêtrés dans des plaintes contre de petits blogues qui, aussitôt fermés, referont surface sous un autre nom et sur un autre serveur. L’avenir appartient aux blogues hébergés sur des serveurs américains, car ils bénéficient d’une protection inégalée dans le monde, celle du 1er amendement.
Nous présentons le résumé des recommandations. L’intégralité du rapport est accessible ICI.
Nous n’avons pas pris connaissance du rapport au complet, mais croyons certainement que le gouvernement devrait s’empresser d’adopter une loi abrogeant l’article 13. Le reste, c’est du Rube Goldberg.
Rapport Moon sur l’article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne
Propos discriminatoires – généralités
-*Le gouvernement ne devrait recourir à la censure que pour une étroite catégorie de propos extrêmes – ceux qui contiennent des menaces, ou qui préconisent ou justifient la violence contre les membres d’ un groupe identifiable, même si cette violence n’est pas imminente.
-*Il y a trop de risques à ne pas interdire les propos discriminatoires extrêmes ou radicaux, surtout lorsqu’ils circulent dans la subculture qui existe sur Internet. Cependant, on ne peut pas simplement utiliser la censure pour contrer les formes moins extrêmes de propos discriminatoires, même si elles sont préjudiciables.
-*Pour exclure du discours public les propos stéréotypés visant les membres d’un groupe identifiable, il faudrait une intervention extraordinaire de la part de l’État qui compromettrait sérieusement notre engagement envers la liberté d’expression. Étant donné que ces formes moins extrêmes de propos discriminatoires sont très répandues, il est impossible d’établir des règles claires et efficaces pour les cerner et les bannir. Mais parce qu’ils sont omniprésents, il est aussi essentiel de s’y attaquer.
-*Il faut trouver d’autres moyens que la censure pour contrer ces propos stéréotypés ou diffamatoires visant les membres d’un groupe identifiable et obliger les institutions comme les médias à rendre des comptes lorsqu’elles diffusent de telles formes de propos discriminatoires.
-*Cette conception du but visé par les lois interdisant la propagande haineuse, à savoir la protection des groupes identifiables contre les risques de violence, est plus étroite que la justification plus traditionnelle qui insiste sur la protection de la dignité de l’individu et sur son droit au respect dans la société. Cependant, elle correspond peut-être davantage aux pratiques actuelles de la justice canadienne en matière de propagande haineuse, qui visent essentiellement les cas les plus extrêmes de propos haineux. Les quelques dossiers mettant en cause l’article 13 qui ont été renvoyés devant le Tribunal des droits de la personne et où le Tribunal a conclu qu’il y avait bel et bien eu violation de la disposition mettaient presque tous en cause des propos si extrêmes et si haineux qu’on peut considérer qu’ils préconisaient ou justifiaient la violence contre les membres d’un groupe identifiable.
-*Toutefois, il est difficile de rattacher une interdiction étroitement définie de la propagande haineuse qui met l’accent sur des propos associés à la violence à une loi sur les droits de la personne qui donne une définition large à la discrimination, qui met l’accent sur les conséquences de l’acte discriminatoire pour la victime plutôt que sur l’intention ou l’inconduite de son auteur, et qui a recours à une procédure visant à réconcilier les parties et à faciliter un règlement à l’amiable de leur « différend ».
Recommandations de M. Moon
Les recommandations de M. Moon, qui sont élaborées dans les sections 4 et 5 du rapport, peuvent être regroupées en trois parties :
1. La première recommandation est d’abroger l’article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP), de sorte que la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) et le Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) n’aient plus à traiter de propagande haineuse, notamment celle qui se trouve sur Internet.
La propagande haineuse doit toutefois continuer d’être interdite en vertu du Code criminel, mais cette interdiction doit se limiter aux formes d’expression qui préconisent ou justifient la violence, ou qui contiennent des menaces de violence. Dans leur lutte contre les propos haineux sur Internet, la police et les poursuivants doivent recourir davantage à l’article 320.1 du Code criminel, qui confère au juge le pouvoir d’ordonner à un fournisseur d’accès Internet de retirer la « propagande haineuse » de son système.
Chaque province devrait mettre sur pied une équipe « anti-haine » composée de policiers et de procureurs expérimentés pour s’occuper des enquêtes et des poursuites relatives aux crimes haineux, y compris la propagande haineuse, en appliquant le Code criminel.
2. La deuxième partie des recommandations a trait aux changements qui devraient être apportés à l’article 13 de la LCDP s’il n’est pas abrogé.
Ces changements feraient en sorte que l’article 13 ressemblerait davantage à une interdiction criminelle de la propagande haineuse.
Il faudrait :
-*modifier le libellé pour préciser que l’interdiction vise seulement les formes d’expression discriminatoire les plus extrêmes, notamment celles qui contiennent des menaces, ou qui préconisent ou justifient la violence contre les membres d’un groupe identifiable;
-*modifier le paragraphe 13(1) pour y ajouter un élément d’intention;
-*modifier la LCDP pour créer une procédure distincte pour les enquêtes relatives aux plaintes invoquant l’article 13 menées par la CCDP. Selon cette nouvelle procédure, la CCDP recevrait des demandes d’information de la part de particuliers ou de groupes communautaires, mais ne procéderait plus aux évaluations et aux enquêtes relatives aux plaintes formelles.
Elle aurait plutôt le pouvoir exclusif d’ouvrir une enquête concernant les plaintes invoquant l’article 13. Si, à la suite de l’enquête, la CCDP recommandait de saisir le TCDP du dossier, c’est la CCDP qui serait chargée de le défendre devant le Tribunal.
On éliminerait ainsi le lourd fardeau placé sur l’intimé et permettrait à la CCDP de rejeter la « plainte » plus tôt dans le processus lorsqu’elle conclut que la communication en question ne viole pas le paragraphe 13(1) et qu’elle risque de ne pas être accueillie par le Tribunal.
3. Le troisième groupe de recommandations a trait au rôle des acteurs non étatiques dans la prévention des formes d’expression de nature haineuse ou discriminatoire.
Les principaux fournisseurs d’accès Internet devraient envisager la création d’un service téléphonique et d’un conseil consultatif pour recevoir et examiner les plaintes de propagande haineuse. Ce conseil consultatif serait formé de personnes connaissant bien les lois sur le sujet et qui indiqueraient si, à leur avis, un site Web en particulier a violé l’article 13 de la LCDP ou les dispositions du Code criminel relatives à la « propagande haineuse ».
Si cet organisme arrivait à la conclusion que la plainte est fondée, le fournisseur d’accès retirerait le site en invoquant l’entente de service qu’il aurait signée avec ses clients.
Les journaux et les magazines d’actualité devraient chercher à revitaliser leurs conseils de presse provinciaux ou régionaux et s’assurer que les groupes identifiables puissent porter plainte lorsqu’ils estiment avoir été mal représentés dans les grands médias.
S’ils n’y parviennent pas, on devrait songer à légiférer pour créer un conseil de presse national à adhésion obligatoire qui aurait le pouvoir de déterminer si un journal ou un magazine a violé les normes professionnelles et de lui ordonner de publier la décision du conseil.
Les journaux ne sont pas simplement des acteurs privés dans le discours public : ils sont un élément important de la sphère publique. Ils ont donc la responsabilité de décrire les différents groupes qui composent la société canadienne de manière équitable et dénuée de toute discrimination.
Voir aussi:
L’autoroute de la censure vers l’Utopie, par Paul Schneidereit