« Si la charia est appliquée, vous pourrez faire de ce pays un havre de paix, car une fois que la main d’un voleur est coupée, personne ne va plus voler. Si un adultère est lapidé, juste une fois, personne ne va plus commettre ce crime. Si la société britannique accepte la charia, c’est pour son bien. » – Dr Suhaib Hasan, porte-parole du Conseil musulman de Grande-Bretagne sur les questions de charia.
Traduction d’un reportage de Clare Dwyer Hogg et Jonathan Wynne-Jones sur les demandes de leaders musulmans pour qu’on accorde une reconnaissance légale à la charia, publié dans le quotidien britannique Daily Telegraph le 19 janvier 2008 sous le titre We want to offer sharia law to Britain.
Les tribunaux islamiques se réunissent chaque semaine en Grande-Bretagne pour se prononcer sur des divorces et des litiges financiers.
Amnah est une musulmane britannique moderne. Elle est vêtue d’une jupe en denim et sa tête est couverte d’un hijab. Posée et assurée, elle en est venue à rencontrer M. Suhaib Hasan, un cheikh à la barbe argentée qui est assis derrière son bureau, entouré de livres religieux.
« Mais pourquoi est-ce que je dois observer la période d’attente? » lui demande-t-elle. Quelles sont les raisons? Il y a une urgence à ses questions.
« Ces motifs ne s’appliquent pas à moi, c’est ce qui me rend très confuse. Si vous pouviez me donner les raisons pour lesquelles je dois attendre trois mois, alors je comprendrais. »
Amnah traverse un divorce, et est déconcertée d’apprendre qu’elle devra attendre trois mois pour se remarier, compte tenu qu’elle n’a pas vu son ex-mari depuis deux ans.
Elle tord ses orteils couverts de chaussettes dans le tapis, saisissant sa main de l’autre main sur ses genoux, et fixe le Dr Hasan avec un regard intense. Il répond simplement: «Ces décisions sont toutes dans le Coran. Ces règles s’appliquent à tous. »
Amnah n’a guère d’autre choix que de se conformer: Dr Hasan est un juge, et il s’agit d’un tribunal de la charia – dans l’est de Londres. Il siège à la fin d’une rangée de maisons en terrasse à Leyton: une boutique du coin reconvertie, avec des stores aux fenêtres, des partitions de bureaux et une aire de réception de fortune.
C’est l’un des dizaines de tribunaux de la charia – aussi connus sous le nom de conseils – qui ont été créés dans des mosquées, des centres islamiques, et même des écoles dans toute la Grande-Bretagne. Le nombre de musulmans britanniques utilisant ces tribunaux est en augmentation.
Pour plusieurs en Occident, parler de la charia évoque des images de flagellations, lapidations, amputations et décapitations effectuées dans les États islamiques durs comme l’Arabie Saoudite et l’Iran. Toutefois, la forme pratiquée en Grande-Bretagne est plus terre-à-terre, se concentrant principalement sur le mariage, le divorce et des litiges financiers.
Les jugements de ces tribunaux n’ont aucun fondement en droit britannique, et sont donc techniquement illégitimes – ils ne lient que ceux qui sont d’accord pour les respecter. Pour les musulmans britanniques qui sont désireux de suivre l’islam, ceci pose un dilemme. Un mariage islamique n’est pas reconnu par la loi britannique, et donc beaucoup de couples auront deux cérémonies – l’une civile et l’autre, religieuse.
S’ils souhaitent le divorce, ils doivent ensuite demander à la fois un divorce civil et islamique.
Dr Hasan, qui préside des tribunaux de la charia en Grande-Bretagne depuis plus de 25 ans, fait valoir que le droit britannique gagnerait à intégrer des aspects de la loi personnelle islamique dans le système civil, de sorte que le divorce pourrait être entériné de la même manière, pour exemple, que pour les couples juifs qui vont au tribunal Beth Din et obtiennent un divorce reconnu par les tribunaux laïques.
Il fait observer que le Conseil de la charia islamique, dont il est le secrétaire général, est inondé de travail. Il entend environ 50 cas de divorce chaque mois, et répond à plus de 10 demandes chaque jour par e-mail ou téléphone pour une fatwa – un verdict religieux sur une question religieuse.
Dr Hasan, qui est aussi porte-parole du Conseil musulman de Grande-Bretagne sur les questions de la charia, dit qu’il existe une grande incompréhension de la question en Occident.
«Chaque fois que les gens associent le mot« charia »avec les musulmans, ils pensent à la flagellation, la lapidation à mort et l’amputation de la main», dit-il avec un sourire.
Il fait la distinction entre les aspects de la loi que couvre la charia: le culte, le droit pénal et le droit personnel. Les dirigeants musulmans en Grande-Bretagne sont seulement intéressés par l’intégration du droit personnel, dit-il.
«Le droit pénal est du devoir de l’État musulman – il n’appartient pas à une institution publique comme la nôtre de le pratiquer. Seul un gouvernement musulman qui croit à l’islam va le mettre en place. Il n’est donc pas question de demander que le droit pénal soit introduit ici dans le Royaume-Uni – c’est hors de question ».
Malgré cela, le Dr Hasan soutient ouvertement les punitions sévères infligées dans les pays régis par la charia.
«Même si couper les mains et les pieds, la flagellation de l’ivrogne et du fornicateur semblent très odieux, une fois que ces châtiments sont mis en œuvre, ils deviennent un moyen de dissuasion pour toute la société ».
« C’est pourquoi, en Arabie saoudite, par exemple, où ces mesures sont mises en oeuvre, le taux de criminalité est très, très, bas » a-t-il déclaré au journal The Sunday Telegraph.
Dans un documentaire à être diffusé sur Channel 4 le mois prochain, intitulé Divorce: Sharia Style, le Dr Hasan va plus loin, préconisant un système de charia pour la Grande-Bretagne. « Si la charia est appliquée, alors vous pouvez faire de ce pays un havre de paix, car une fois que la main d’un voleur est coupée personne ne va plus voler », dit-il.
« Si l’adultère est lapidé, une fois, juste une seule fois, personne ne va plus commettre ce crime ».
« Nous voulons l’offrir à la société britannique. Si elle l’accepte, c’est pour son bien et si elle ne l’accepte pas, elle aura besoin de plus en plus de prisons ».
Ces sentiments, et l’immense fossé culturel qu’ils exposent, en alarment plusieurs en Occident et vont directement au coeur du débat sur le niveau d’intégration des musulmans vivant en Grande-Bretagne et leur acceptation des valeurs britanniques.
La cause du Dr Hasan n’est pas facilitée par le fait que, en décembre dernier, il a été nommé par le Think Tank Policy Exchange comme étant lié à une mosquée, la Mosquée Al-Tawhid dans Leyton, à l’est de Londres, qui était accusée de propagation de littérature extrémiste – bien que les preuves de cela ont été contestées depuis.
Beaucoup sont mal à l’aise avec l’idée de lier la charia avec le droit civil de la Grande-Bretagne. Dans The Sunday Telegraph plus tôt ce mois-ci, Michael Nazir-Ali, évêque de Rochester, a écrit: «Des tentatives ont été faites pour imposer un « caractère islamique » dans certaines régions»… Il existe déjà des pressions pour relier des aspects de la charia au droit civil en Grande-Bretagne. Dans une certaine mesure cela est déjà le cas pour des dispositions relatives aux opérations bancaires conformes à la charia, mais est-ce que les vastes répercussions de cela ont été pleinement prises en compte? »
Il y a aussi des questions autour de l’approche islamique de l’égalité et aux droits de l’homme qui rendent l’intégration au droit britannique problématique et controversée.
Les juges de la charia dans ce pays se penchent principalement sur le divorce – khula. Dans la loi islamique, le mari peut divorcer de sa femme en présence de deux témoins, sans avoir à passer par un système officiel.
Il peut même simplement prononcer le mot «talaq» – qui signifie «libération» – pour obtenir un divorce, que la femme l’accepte ou non. Elle n’a pas un tel droit et doit passer par le processus de la charia, priant les juges de lui accorder le divorce.
« L’introduction de la charia en Grande-Bretagne soulève des questions complexes, parce que certains de ses principes de base sont incompatibles avec les principes fondamentaux de notre démocratie libérale et de la Déclaration universelle des droits de l’Homme », dit la baronne Cox, une influente activiste pour les droits de l’Homme.
«Il n’y a pas d’égalité devant la loi entre les hommes et les femmes – et entre musulmans et non-musulmans, et il n’y a pas de liberté de choisir et de changer de religion. »
Ibrahim Mogra, président du comité interreligieux du Muslim Council of Britain, admet que pour certains non-musulmans, certaines lois peuvent paraître sévères envers les femmes. Par exemple, celles qui sont mariées à un homme avec un certain nombre d’épouses peuvent être mal traitées. Mais il insiste sur le fait que la charia est un système équitable.
« Ça peut signifier qu’une femme mariée en vertu de la loi islamique n’a pas de droits légaux, mais le mari est tenu de payer pour tout dans le mariage, et dans le cas d’un divorce, la femme conserve tous ses biens ».
En fait, le cheikh Mogra fait valoir que la charia en Grande-Bretagne donnerait des droits aux femmes. « Un musulman peut prendre une deuxième épouse en vertu de la charia et la traiter comme il veut, sachant qu’elle n’a pas de droits légaux en Grande-Bretagne. Cela signifie qu’elle est considérée comme rien de plus qu’une maîtresse, et il peut l’abandonner quand il veut ».
Les critiques mettent en garde, cependant, que même en donnant un statut officiel à des parties de la charia, la Grande-Bretagne s’associerait avec un système qui, à bien des égards, est intolérable selon les valeurs occidentales.
Le Professeur John Marks, auteur de The West, Islam and Islamism, souligne que des apostats de l’islam peuvent souffrir de graves châtiments, même des crimes d’honneur.
«Il y a davantage de cas de violences qui sont liés aux personnes de confession musulmane qui décident de se convertir », dit-il.
Une enquête réalisée par Pew Exchange a constaté que 36 pour cent des jeunes musulmans britanniques pensent qu’un musulman converti à une autre religion devrait être « puni de mort ».
« Cela va carrément à l’encontre des lois de notre pays. S’ils viennent vivre dans ce pays, ils devraient vivre selon nos lois », affirme le professeur Marques.
Haras Rafiq, directeur exécutif du Sufi Muslim Council, fait remarquer que de toute façon les musulmans sont divisés sur l’interprétation correcte de la charia. Il est particulièrement critique à l’égard de ceux qui soutiennent la stricte loi pénale.
« Des choses comme la lapidation sont utilisées comme un moyen de dissuasion, mais c’est réinterpréter le Coran avec une extrême rigidité qui passe outre à l’esprit de ce qui est dit. »
Peut-être le meilleur argument en faveur d’une certaine forme de reconnaissance de la charia en Grande-Bretagne est qu’elle permettrait de réguler un système qui fonctionne en dehors de la loi.
Le gouvernement a exprimé sa préoccupation au sujet des imams qui pourraient utiliser le Coran pour justifier des fatwas qui contreviennent au droit britannique.
Les dirigeants des quatre principaux groupes musulmans britanniques ont publié un rapport appuyé par le gouvernement en 2006, qui a admis que de nombreux imams ne sont pas qualifiés pour guider des jeunes marginalisés.
Ils ont convenu de créer un observatoire visant à lutter contre l’extrémisme et à assurer la surveillance des mosquées, mais Teinaz Younès, un ancien conseiller de la mosquée London Central Mosque, avertit que l’un des plus grands problèmes est celui des imams qui arrivent en Grande-Bretagne, incapables de parler anglais, et sans considération pour le droit britannique.
« L’absence de toute réglementation des mosquées et des tribunaux de la charia signifie qu’ils peuvent agir comme un système juridique en soi, émettant des fatwas qui violent les droits humains des individus parce qu’ils n’ont pas connaissance de la loi», dit-il. « Ils peuvent prendre l’argent des individus même s’ils n’ont aucune qualification, mais pire encore, ils peuvent nuire à leurs communautés. »
Zareen Roohi Ahmed, le chef de l’exécutif du British Muslim Forum – l’un des quatre groupes sur le Mosques and Imams National Advisory Body – admet que les tribunaux de la charia en Grande-Bretagne sont encore mal organisés.
«Ils ont besoin de développement – le gouvernement devrait les aider à fournir leurs services de manière plus efficace», dit-elle.
«Si les tribunaux de la charia peuvent être soutenus pour être gérés de façon plus professionnelle et avoir la participation des femmes dans les panels qui rendent des décisions, alors je pense qu’ils peuvent travailler très efficacement et répondre aux besoins des musulmans ».
Elle suggère que les systèmes existants soient soutenus et qu’un éventail plus large de chercheurs et d’universitaires participent à rendre les règles et règlements applicables à la société d’aujourd’hui.
Dr Muhammad Abdul Bari, le secrétaire général du Musulim Council of Britain, rappelle que, lors de la domination britannique en Inde, le droit personnel musulman était autorisé et il ne voit pas pourquoi cela ne fonctionnerait pas maintenant.
«La charia englobe tous les aspects de la vie musulmane, y compris le droit personnel», dit-il. « Dans les sociétés tolérantes et inclusives, tous les groupes religieux jouissent de l’acceptation de certaines de leurs règles religieuses dans les domaines de leur vie personnelle ».
« Je suis sûr qu’un jour, notre société ici sera également plus à l’aise avec sa communauté musulmane et verra le bénéfice de permettre ces lois à ceux qui les préfèrent. »
De retour au tribunal à Leyton, le sort de Amnah est typique des défis auxquels sont confrontées les femmes musulmanes en Grande-Bretagne qui cherchent à se conformer à l’enseignement islamique traditionnel, mais se retrouvent en conséquence elles-mêmes victimes du système.
Le mari dont elle tente de divorcer est introuvable, mais elle l’a épousé dans une cérémonie purement islamique, alors elle doit se battre pour regagner sa liberté.
Elle l’avait rencontré sur un site Internet matrimonial islamique, puis a découvert qu’il n’était pas tout ce qu’il a prétendu être.
«J’ai découvert qu’il me volait de l’argent», dit-elle, en ajoutant que son mari avait menti en disant avoir un emploi et un visa pour le Royaume-Uni.
« Alors, comment avez-vous épousé une telle personne qui n’est pas de votre niveau? » demande discrètement le Dr Hasan, feuilletant les notes de son dossier.
« J’ai fait une erreur», dit Amnah, tout simplement. «Fondamentalement cet homme m’a menti du début jusqu’à la fin. Non seulement il m’a dupée moi, il a dupé ma famille. »
Malgré les protestations et interrogations de Amnah, le Dr Hasan explique ensuite que les méthodes et les règles énoncées dans le Coran sont fondées sur des raisons très pratiques.
Une femme récemment divorcée doit attendre trois mois pour se remarier pour donner plus de temps à son ex-mari de s’assurer qu’elle ne porte pas son enfant. «Ceci s’applique à tous», dit-il.
« Il n’y a aucune exception à cette règle, dans la charia il n’y as pas d’exception, vous devez l’accepter. »
Il saisit un exemplaire du Coran sur une étagère et pointe au chapitre et au verset qui précise les longueurs du iddat – la période d’attente – en termes détaillés.
Il existe différentes longueurs pour les veuves, pour les femmes dont les maris ont autorisé le divorce et pour celles dont les maris n’ont pas donné l’autorisation. Il y a même une règle pour les jeunes filles pré-pubères.
Pour Amnah, il est clair que la réponse apporte de nouveaux problèmes pour elle. « Une autre question rapide», dit-elle. « Parce que je traverse maintenant un divorce, est-il bon pour moi d’avoir trouvé quelqu’un ou devrais-je avoir attendu? »
« L’homme ne peut pas », répond le Dr Hasan, «dire clairement son désir de vous épouser – subtilement, il peut faire connaître ses intentions, comme dans « une fois que tu es libérée de ton mariage, souviens-toi de moi », mais il ne peut pas proposer le mariage. Ceci n’est pas autorisé dans le Coran.»
Amnah le remercie avec déférence, et quitte. Passer par le biais de ce tribunal religieux est la seule façon qu’elle sera vraiment libre de se remarier, mais pour l’instant, elle doit attendre.
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