En Allemagne, des milliers de musulmanes importées de Turquie vivent derrière les murs invisibles du silence, selon les strictes traditions patriarcales de la Turquie rurale. Leurs enfants n’entendent pas parler allemand. C’est comme si chaque génération était la première génération. Les politiques visent maintenant l’émancipation de ces femmes, ce qui devrait faciliter l’intégration de leurs communautés dans la société.
Morning Edition, le 21 janvier 2008 • Les Européens commencent à s’interroger sur la notion de multiculturalisme, qui peut conduire à des sociétés séparées et parallèles et une importante sous-classe de musulmans.
Traduction de Muslim Women Behind Wall of Silence in Germany, par Sylvai Poggioli, le 22 janvier 2008
En Allemagne, beaucoup de familles musulmanes sont guidées par les strictes traditions patriarcales de la Turquie rurale. Les hommes affirment que ces coutumes sont nécessaires pour protéger les femmes contre ce qu’ils considèrent être les maux de la société occidentale laïque.
Mais beaucoup de ces femmes musulmanes vivent derrière les murs invisibles du silence.
Les tensions dans une société multiethnique
Turkish for Beginners est un sitcom télévisé populaire en Allemagne. Une psychothérapeute allemande qui est une mère célibataire de deux adolescents tombe amoureuse d’un policier d’origine turque. Il a également un fils et une fille adolescents. Ils évoluent tous ensemble et forment une famille mosaïque.
Dans une scène, la fille turque voilée raconte à son nouveau frère blond qu’elle veut une nouvelle assiette qui n’a pas été entachée par son porc allemand.
Le sitcom – écrit par un turc allemand – se moque de la famille multi-culturelle, mais soulève également des questions plus graves dans une société multiethnique. Il traite de la religion et des relations entre les hommes et les femmes.
L’un des problèmes majeurs dans ces sociétés multiethniques est le mur de silence derrière lequel vivent des dizaines de milliers de femmes musulmanes non éduquées. Beaucoup d’entre elles ont rencontré leur mari pour la première fois le jour de leur mariage, pour ensuite disparaître dans un monde régi par des traditions rurales turques – passant inaperçues auprès de leurs voisins allemands.
Obstacles à l’intégration
Seyran Ates est avocate et militante pour les droits de la femme. Elle dit que de nombreuses femmes musulmanes en Allemagne mènent une vie d’isolement et subissent souvent des violences physiques.
«Elles sont sous le contrôle de l’homme ou de leurs familles», explique-t-elle. «Ce sont des femmes qui vivent physiquement en Allemagne, mais vivent psychologiquement dans une autre culture qui recherche l’apartheid entre les sexes».
Les sondages montrent que seul un tiers des musulmans d’Allemagne veulent s’y intégrer. Et les autorités allemandes s’inquiètent de la hausse du nombre des maris et des épouses non instruits importés de la Turquie, qui arrivent à la fois par des mariages forcés et arrangés. Le Ministère de l’Intérieur affirme que près d’un demi-million de conjoints ont été importés depuis les années 1980. Des dizaines de milliers de personnes continuent d’arriver chaque année.
Ces familles – où les enfants n’entendent pas parler allemand et où les valeurs de l’Anatolie rurale prévalent – sont de plus en plus considérées par les autorités comme un obstacle à l’intégration. Avec chaque nouvelle fiancée importée, la société parallèle se développe, et c’est comme si chaque génération était la première génération.
Le mère de district
Alarmée par la fracture qui s’accroît, le conseil de ville de Berlin s’est tourné vers des gens comme Nailya Alieva, une azerbaïdjanaise qui parle de nombreuses langues. Dans son modeste appartement, elle conseille les femmes musulmanes avec des problèmes. Son titre officiel est la mère de district.
Il est très difficile pour les femmes, dit Alieva, de sortir de leur monde clos vers une société allemande étrangère où elles doivent montrer un visage souriant et agir avec confiance.
Shishek est l’une des femmes qu’Alieva conseille. Elle a grandi en Allemagne et parle bien l’allemand, mais elle a été confinée au monde rural de la Turquie, dit-elle, quand ses parents l’ont forcée à épouser un homme beaucoup plus âgé de leur village natal. Dès son arrivée en Allemagne, il a commencé à avoir des amies et à la battre.
Shishek insiste pour que sa fille ne marche pas dans ses traces.
«Je tiens à ce qu’elle termine les études dans le domaine qu’elle choisira», dit Shishek. «Je ne vais pas lui permettre de quitter l’école comme je l’ai fait, ou d’être mariée comme je l’ai été».
Beaucoup de femmes turques ont des expériences similaires.
Victimes de la Violence
En 2004, le ministère allemand des affaires familiales a fait valoir que 49 pour cent des femmes turques avaient connu la violence physique ou sexuelle dans le mariage. Et dans la dernière décennie, il y a eu 49 cas connus de crimes d’honneur, 16 seulement pour Berlin.
Certaines femmes – celles qui ont l’audace de briser le code du silence de la famille – fuient la violence domestique et demandent de l’aide dans les quelques refuges existants.
La travailleuse sociale Gockcen Demiragli, une allemande d’origine turque, affirme que chaque mois, 300 à 400 femmes viennent chercher de l’aide à son seul centre. Mais la plupart, dit-elle, restent cachées dans leur maison, effrayées d’un monde extérieur qu’elles ne comprennent pas.
Pour elles, dit Demiragli, les prédicateurs islamiques remplissent un vide.
« Les institutions musulmanes voient ces problèmes, elles voient que les familles ont des problèmes », explique-t-elle. «Ils disent: ‘Si vous redevenez religieux ou revenez à vos racines et vos convictions religieuses, alors tout ira mieux. » Et c’est pourquoi nous avons ce mouvement, les institutions religieuses sont de plus en plus importantes et fortes ».
Trouver un réconfort dans la religion
Le vendredi soir, les femmes voilées se rassemblent dans leur section de la salle de prière Bilal. Ça sert également de thérapie, un lieu où les femmes peuvent trouver leurs égales et être rassurées sur leur identité.
Elles parlent à peine l’allemand et, à l’instar de Zinna Abbas, 40 ans, elles disent qu’elles ne se sentent à l’aise que dans la mosquée.
« Dans les rues, les Allemands, surtout les personnes âgées, m’appellent étrangère … ils me regardent d’une certaine manière, alors je remarque qu’ils ne m’aiment pas à cause de mon apparence », dit Abbas.
Les musulmans conservateurs referment les rangs, craignant que la famille patriarcale pourrait être compromise si leurs femmes cèdent à la séduction de la société occidentale. Les écoles se rendent de plus en plus aux demandes de parents musulmans à ce que leurs filles ne prennent pas part à des activités sportives, d’éducation sexuelle et aux sorties scolaires.
Mina Ahadi, d’origine iranienne, dirige le Conseil des ex-musulmans – un groupe fondé en février qui s’est depuis étendu à d’autres pays européens. Elle a reçu des menaces de mort et se trouve sous la protection de la police. Elle croit que l’Allemagne a autorisé la construction d’un trop grand nombre de grandes mosquées.
« Nous voulons montrer à la population que les gens de pays islamiques n’ont pas la religion comme leur principale identité», dit-elle. « Ce que nous voulons accomplir, c’est que la politique reconnaisse qu’il n’y a pas d’alternative aux droits de l’homme, aux droits des femmes, et c’est ce sur quoi nous nous battons. »
La politique allemande et l’islam
En mars, un juge de Francfort a refusé à une femme musulmane sa demande de procédure accélérée de divorce. La femme disait que son mari la battait, mais le juge a statué que le Coran sanctionne de telles violences physiques.
Ahadi dit c’est un exemple de la condescendance allemande.
Sous le couvert de la tolérance religieuse, dit-elle, les institutions allemandes ferment les yeux sur les violations des droits des femmes.
Son groupe a pour principal objectif de lutter à la fois contre l’islam politique allemand et les politiques qui font des compromis avec les institutions islamiques au détriment des droits des femmes.
Source: Muslim Women Behind Wall of Silence in Germany, par Sylvia Poggioli, npr, le 22 janvier 2008