Le Muslim Student Assocation de l’Université McGill, une université laïque, déplore le refus de l’institution de fournir des salles de prières et met en garde contre la laïcité, vue comme une forme de discrimination et de racisme culturel.
Nous affichons une traduction du mémoire déposé en anglais seulement par la Muslim Student Association de l’Université McGill auprès de la Commission Bouchard-Taylor.
Le mémoire original (anglais seulement) est ici :
À propos du MSA de McGill
L’Association des étudiants musulmans de l’Université McGill est un organisme étudiant qui fournit des services religieux et culturels à la communauté musulmane sur le campus de l’Université McGill. Ces services comprennent les prières quotidiennes et les prières du vendredi, la diffusion d’informations sur l’islam et les musulmans, et des activités culturelles et interconfessionnelles avec d’autres groupes sur le campus. L’association facilite également l’intégration des musulmans dans la société québécoise et leur permet de contribuer à la société à divers niveaux.
Citation d’ouverture
Introduction : intérêt de l’accommodement raisonnable
Pour beaucoup d’entre nous qui vivent au Québec, la question de l’accommodement des minorités a été définitivement réglées il y a longtemps, ou du moins nous en étions profondément convaincus. Un retour du débat a amené plusieurs d’entre nous à se demander si un rembobinage surnaturel de la planète par Superman – a secrètement rétrogradé notre caractère moral collectif. L’effusion d’intérêt public, la controverse qui s’en est suivie dans les médias, et l’agitation explicite des gens semble suggérer que le débat sur la question reste encore inachevé. Pourtant, les principes des droits de l’homme ne sont-ils pas gravés de manière indélébile dans notre conscience collective – tissés dans la fibre morale de la société? Alors, pourquoi maintenant? Pourquoi est-ce que nous nous trouvons aujourd’hui à remettre en cause et en doute les victoires morales de notre passé progressiste?
But de notre mémoire
Comme nous comprenons la question, la présente consultation publique est en effet un exercice noble et digne. Malgré les éléments négatifs de la société qui se manifestent et amplifient le pire de la nature humaine – sous couvert de débat démocratique – la consultation est après tout un exercice démocratique destiné, dans une large mesure, à faciliter la pleine expression de nos droits civils et politiques.
C’est dans cet esprit de dignité que nous pouvons choisir d’ignorer ce qui semble évident – l’omniprésente xénophobie, le racisme latent, et l’opportunisme politique sous-jacent à plusieurs des opinions exprimées dans les médias au sujet des accommodements raisonnables. Au lieu de cela, nous pouvons nous concentrer sur ce qui est raisonnable, et par là contribuer à un dialogue constructif. Le raisonnable. Pas le déraisonnable. Les préoccupations raisonnables, et peut-être même les craintes, le cas échéant, que les citoyens respectueux pourraient partager et arborer discrètement sous couvert de la rectitude politique et de l’incertitude provoquée par l’inconnu — le tristement célèbre cheval de Troie qui pourrait peut-être amener des conséquences inattendues. En considérant les objectifs légitimes fondés sur la raison, nous pouvons venir à reconnaître les éléments positifs dans la société québécoise et ainsi résister à l’essentialisation de nos voisins comme étant simplement détestables et préjudiciables. Le Québec que nous connaissons et aimons est intelligent, mûr, ouvert, curieux et enthousiaste pour continuer à apprendre sur l’autre. C’est ce Québec que nous tenons à engager, et avec qui nous voulons partager nos conseils amicaux.
Nous sommes particulièrement bien placés en tant que groupe d’étudiants universitaires musulmans pour conseiller la Commission sur l’accommodement des minorités, ayant récemment subi le refus d’une salle de prière de la part de notre administration universitaire. Nous savons de première main ce qu’on ressent d’être privés de la chose précise que cette commission a été constituée pour revoir. Nous vous prions de gentiment prendre en compte nos points de vue.
Les conséquences d’une mauvaise interprétation de la laïcité
En plus de leur rôle spirituel, les religions constituent des institutions sociales, culturelles et civiques intrinsèques aux besoins de toute société. Plutôt que d’être une source de troubles sociaux, elles incarnent une culture de tolérance, de coexistence et de coopération entre les différents milieux qui est inhérente à toute société. En tant que tel, restreindre l’expression culturelle et religieuse est un mauvais service au bien-être de l’ensemble de la société.
La laïcité d’exclusion interdit la religion dans la mesure où elle entraîne des ruptures et la mésentente au sein de la société. Une telle conception a conduit d’autres dans le passé à interdire la religion de la vie publique. Cette pratique, toutefois, assume le même rôle pour lequel elle critique la religion. La solution est de permettre la pluralité des associations et des systèmes de croyance dans un contexte de diversité, de respect et de tolérance.
En effet, sous couvert de laïcité, l’histoire fournit des exemples où la conformité conduit à l’oppression de différentes minorités religieuses. Par exemple, en se fondant sur des conceptions de la laïcité d’exclusion, les régimes communistes ont interdit la religion des lieux publics mais elles ont prouvé des décennies plus tard leur durabilité et leur importance.
Empêcher l’intégration des minorités religieuses dans la société va priver divers groupes religieux et culturels de leurs droits et nuira au Québec. Nier le besoin d’accommodement raisonnable des minorités, comme des salles prières, va les marginaliser en créant des désincitatifs à leur participation pleine et égale dans le fonctionnement d’institutions importantes comme les universités. Les accommodements raisonnables des minorités les feront se sentir inclus et à pied d’égalité avec les autres et contribuera à la paix, à la productivité et au bien-être de la société tout entière. Utiliser l’argument de la laïcité pour priver les minorités de leurs droits religieux et culturels produira l’effet inverse.
Notre rêve pour le Québec
Enfin de compte, la consultation ne devrait pas seulement servir à assembler une liste de doléances et d’inquiétudes. Au contraire, elle devrait nous aider à élever et à renforcer nos plus nobles idéaux et aspirations et nous inspirer le goût de rêver … de rêver collectivement – de concevoir une vision riche pour nos communautés, nos familles, nos amis et nos voisins, qui n’oublie personne et inclut tout le monde.
Quant à nous, nous rêvons de travailler ensemble pour élaborer un multiculturalisme destiné spécifiquement au Québec, qui embrasse le caractère distinct de l’identité nationale du Québec. Nous rêvons d’un Québec où les minorités ne voteront plus massivement pour contrecarrer les aspirations de l’essor de la nation parce que nous nous sentirons en sécurité et nous identifierons à notre nation. Nous rêvons d’un Québec où la nation va s’asseoir à la table avec ses amis et se nourrir des richesses de la diversité sans ressentiments ou menace de l’ennemi intérieur. Nous rêvons d’un Québec où l’habillement impliquerait simplement un choix privé plutôt que l’imposition au public d’une manifestation de religiosité ou d’inégalité entre les sexes. Nous rêvons d’un Québec avec un espace suffisant non seulement pour une petite Chine ou une petite Italie, mais un petit Monde pour nous tous. Nous rêvons d’un Québec suffisamment fort et confiant pour partager son autonomie et son destin avec l’ensemble de lui-même.
Le Canada a été à l’avant-garde du développement de l’idée de multiculturalisme pour tenir compte de la spécificité de la culture québécoise. Cette invention a été ensuite adoptée par d’autres nations à travers le monde comme un modèle pour promouvoir la compréhension mutuelle entre les différents groupes culturels dans leurs sociétés. Une quête en vue de développer un multiculturalisme spécifique au Québec peut également être motivée par le désir de reconnaître les minorités par rapport à la culture dominante.
Nos recommandations
1. Nous sommes conscients que nos droits constitutionnels et quasi constitutionnels ne sont pas absolus. Comme l’explique l’article premier de la Charte canadienne des droit et libertés:
« Le [Charte] garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. »
De même, comme nous appliquons cette logique au Québec, nous espérons pouvoir atteindre cela et seulement cela. Limiter notre affirmation des valeurs québécoises à ce qui est raisonnable et dont la justification puisse se démontrer dans la société québécoise libre et démocratique, tout en comprenant que le caractère distinct du Québec n’est pas un motif ni un mandat de changement pour le changement de ce qui est bon à notre sujet seulement parce que nous le tenons en commun avec le reste du Canada. Nous sommes différents du reste du Canada, mais nos différences ne doivent pas nous justifier d’adopter une attitude de rejet ou anticonformiste. Notre autonomie et notre aspiration à nous actualiser en tant que société distincte et en tant que nation doit être le fruit de la réflexion indépendante, et non d’une réflexion réactionnaire de groupe.
2. La quête historique du Québec pour la reconnaissance par le Canada de son caractère national distinct est clairement un appel à être accepté comme digne et ne méritant pas l’assimilation. De même, le Québec devrait avoir de l’empathie envers les minorités qui cherchent simplement à voir leurs différences reconnues parce qu’elles aussi se sentent dignes et ne méritant pas l’assimilation. Vouloir préserver et respecter ses différences ne devrait pas être confondu avec le rejet de la culture d’accueil, car le Québec sait très bien qu’en affirmant son caractère distinct cela n’implique pas qu’il pense moins bien du reste du Canada.
3. Les parents anglophones au Québec ont été autorisés à continuer d’envoyer leurs enfants à l’école anglaise à condition qu’ils aient eux-mêmes été scolarisés en anglais. Cette forme d’accommodement n’a nullement compromis les objectifs linguistiques du Québec et notre société actuelle en est la preuve. De même, l’adoption de formes similaires de l’accommodement pour intégrer d’autres groupes dans la société québécoise ne doit pas être considérée comme représentant une menace à la poursuite des aspirations du Québec. Nous avons un bel exemple avec les parents anglophones et leurs enfants de la façon dont le Québec peut réussir à atteindre ses objectifs souhaités sans compromettre les droits des minorités.
4. Dans la construction de la signification et des connotations que nous attribuons aux symboles apparents de la religion ou de l’identité, tels que des turbans et le foulard, nous devons continuer à maintenir un esprit ouvert et accueillant sur la manière dont ces symboles sont définis collectivement. Plus spécifiquement, nous devrions continuer à nous écouter mutuellement et à évaluer à sa juste valeur l’opinion de ceux qui choisissent de faire de ces symboles une partie de leur identité. Si d’aucuns s’inquiètent de la façon dont ces symboles sont utilisés en dehors du Québec, ces symboles peuvent être explicitement définis de sorte qu’en tant que Québécois nous pouvons dire clairement les significations que nous acceptons et celles qui contredisent nos valeurs.
5. Comme le Québec français continue d’affirmer et promouvoir une identité culturelle unique à l’intérieur d’une majorité anglophone du Canada, il devrait soutenir le droit des minorités de faire de même à l’intérieur de ses frontières. La discrimination systémique contre les minorités les chassera de plus en plus de la vie publique, compromettant la fonction même du secteur public. Limiter certaines expressions culturelles ou religieuses signifie l’exclusion de certaines couches de la population et les prive de leurs droits.
6. Les musulmans sont victimes de mauvaises perceptions stéréotypées construites à leur sujet par les médias et certains groupes politiques en dehors du Québec et à l’intérieur pour servir certains intérêts économiques, idéologiques et politiques. Ces préjugés et stéréotypes sont utilisés pour pousser les musulmans à renoncer à certains de leurs droits en tant que minorité vivant dans la société québécoise. Nous devons rester vigilants du fait qu’il devient de plus en plus impopulaire de nous prévaloir de nos droits en tant que musulmans. Notre expérience est que nous avons souvent le sentiment de la nécessité de prendre d’autres voies que celles à laquelle nous avons droit de peur de gagner le mépris de la société. Compte tenu de cela, d’autres groupes devraient s’impliquer ou être mis en place pour veiller à ce que tous les droits continuent d’être protégés.
7. On oublie souvent que ce ne sont pas seulement des immigrants qui introduisent des pratiques culturelles différentes dans une société d’accueil. De nombreux Québécois de souche, par exemple, choisissent l’islam et adoptent des pratiques culturelles qui ne proviennent pas du Québec. Curieusement, l’argument selon lequel les immigrants devraient adopter les pratiques locales à l’arrivée ne s’applique pas ici. Lors de la définition des valeurs implicites dans des choses telles que l’habillement vestimentaire, il faut noter que de nombreux Québécois de souche socialisés libéralement décident d’adopter les mêmes pratiques, faisant que ces pratiques ne sont plus des éléments exclusivement étrangers mais font partie de notre évolution culturelle interne.
Conclusion
La laïcité peut être interprétée d’une perspective d’exclusion en vue de servir comme un outil pour obtenir l’hégémonie culturelle, assimiler les minorités et nier leurs droits religieux et culturels. À ce titre, elle est une forme de discrimination et de racisme culturel. En revanche, l’interprétation inclusive de la laïcité réalise l’idéal de la neutralité de l’État, sans empiéter sur les droits d’un membre de la société et assure une réelle égalité entre tous les citoyens.