Shashi Tharoor, un Indien qui a été sous-secrétaire aux Nations-Unies sous Kofi Annan, présente les arguments pour et contre l’universalité des droits de l’Homme, et se prononce. Quand vous empêchez un musulman de battre sa femme, vous portez-vous à la défense des droits de la femme ou portez-vous atteinte aux droits du mari?
Traduction de: Are Human Rights Universal? par Shashi Tharoor, World Policy Journal, Volume XVI, No4, WINTER 1999/2000
Le consensus grandissant en Occident à l’effet que les droits de l’Homme sont universels rencontre une opposition farouche par les critiques dans d’autres régions du monde. À tout le moins, l’idée pourrait bien soulever autant de questions qu’elle n’apporte de réponses. Au-delà de la question philosophique plus générale de savoir si quoi que ce soit dans notre monde pluriculturel et multipolaire est véritablement universel, la question de savoir si les droits de l’Homme sont essentiellement un concept occidental qui ignore les contextes culturels, économiques, et politiques très différents des autres parties du monde ne peut être rejetée du revers de la main.
Est-ce que les valeurs de la société de consommation peuvent être appliquées à des sociétés qui n’ont rien à consommer? Est-ce que parler de droits universels ne revient pas à dire que les riches et les pauvres ont le même droit de voler en première classe et de dormir sous les ponts? Les droits de l’Homme tels qu’énoncés dans les pactes internationaux ne méconnaissent-ils pas les traditions, les religions et les schémas socioculturels de ce que l’on appelait le Tiers Monde? Et au risque de paraître frivole, quand vous empêchez un homme en tenue traditionnelle de battre sa femme, vous portez-vous à la défense des droits de la femme ou portez-vous atteinte aux droits du mari?
C’est loin d’être un débat abstrait. Au contraire, nous vivons à une époque où des guerres ont été menées au nom des droits de l’Homme, et où un grand nombre des principaux développements dans le droit international ont présumé de l’universalité du concept. De la même façon, la perception selon laquelle le discours sur l’universalité des droits de l’Homme sert de plus en plus comme un étendard de complaisance au service d’autres agendas politiques beaucoup plus discutables, explique la mesure dans laquelle l’idée même des droits de l’Homme est mise en doute et fait face à la résistance tant d’États que d’intellectuels. Ces objections doivent être prises très au sérieux.
L’objection philosophique affirme essentiellement que rien ne peut être universel, que tous les droits et valeurs sont définis et limités par les perceptions culturelles. S’il n’y a pas de culture universelle, il n’y a pas de droits de l’Homme universels. En fait, certains philosophes ont objecté que la notion de droits de l’Homme est fondée sur une vision anthropocentrique du monde, c’est-à-dire une vision axée sur l’être humain et fondée sur une vision individualiste de l’homme vu comme être autonome dont le plus grand besoin est celui d’être à l’abri de l’ingérence de l’État, pour jouir de ce qu’un écrivain occidental a résumé comme le droit à la propriété privée, à la liberté contractuelle, et le droit qu’on lui fiche la paix. Mais ce point de vue semble s’affronter avec la vision communautariste mise de l’avant par d’autres idéologies et cultures où la société est conçue comme bien plus que la somme de ses membres individuels.
Qui définit les droits de l’Homme?
Ceci implique une série d’objections générales fondées sur des motifs culturels. Historiquement, dans un certain nombre de cultures non occidentales, les individus n’ont pas été des sujets de droits de la même manière qu’en Occident. Les critiques de l’idée d’universalité des droits de l’Homme soutiennent que dans la tradition confucéenne ou védique, les devoirs sont considérés comme plus importants que les droits, tandis qu’en Afrique, c’est la communauté qui protège et nourrit l’individu. Un écrivain africain a résumé la philosophie africaine de l’existence en tant que: Je suis parce que nous sommes, et parce que nous sommes, je suis. Certains ont fait valoir que les Africains ont une structure complexe de droits et d’obligations communautaires, regroupés autour de ce qu’on pourrait appeler les quatre «R» : pas des droits, mais le respect, la retenue, la responsabilité et la réciprocité. Ils font valoir que dans la plupart des sociétés africaines, les droits collectifs ont toujours pris le pas sur les droits individuels, et les décisions politiques ont été prises par le biais du consensus du groupe, et non par l’affirmation des droits individuels.
Dans la mesure où elles sont réelles, ces différences culturelles ont des implications pratiques. Plusieurs personnes de pays en développement affirment que certains droits de l’Homme ne sont tout simplement pas pertinents à leur société. Le droit, par exemple, au pluralisme politique, le droit à des congés payés (un sujet qui fait toujours rire dans les «sweatshops» du Tiers-Monde), et, inévitablement, les droits des femmes. Ce n’est pas que certaines sociétés prétendent qu’elles ne sont tout simplement pas en mesure de fournir certains droits à tous leurs citoyens, mais plutôt qu’elles voient la conception universelle des droits de l’Homme comme rien de plus qu’une tentative de leur imposer des valeurs occidentales étrangères.
Les droits qui promeuvent l’égalité des sexes sont une question litigieuse. Comment, demandent les critiques, les droits des femmes peuvent-ils être universels au vu de l’ampleur des divergences dans les pratiques culturelles, lorsque dans de nombreuses sociétés, par exemple, le mariage n’est pas considéré comme un contrat entre deux personnes mais comme une alliance entre les lignées, et quand le comportement admissible des femmes est au cœur de la perception que se fait la société de son honneur?
Et il y a la question de la religion, qui est indissociable de la question de la tradition. Pour les détracteurs religieux de la définition universaliste des droits de l’Homme, rien ne peut être universel qui ne soit fondé sur des valeurs transcendantes, symbolisées par Dieu, et sanctionnées par les gardiens des différentes confessions. Ils font remarquer que le document cardinal du mouvement contemporaine des droits de l’Homme, la Déclaration universelle des droits de l’Homme, ne peut revendiquer ce patrimoine.
Récemment, le cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle a été célébré avec beaucoup de fanfare. Mais les critiques des pays qui étaient encore des colonies en 1948 suggèrent que ses dispositions reflètent les préjugés ethnocentriques de l’époque. Ils poursuivent en faisant valoir que la notion de droits de l’Homme est en réalité une couverture pour l’interventionnisme occidental dans les affaires du monde en développement, et que les droits de l’Homme sont simplement un instrument de la politique néocolonialiste occidentale. Un critique a décrit dans les années 1970 sa crainte que les droits humains pourraient s’avérer un cheval de Troie subrepticement introduit dans d’autres civilisations, qui seront ensuite obligées d’accepter des manières de vivre, de penser et de sentir pour lesquelles les droits de l’Homme seraient la bonne solution en cas de conflit.
En pratique, cet argument tend à porter autant sur le développement que sur l’intégrité civilisationnelle. Les critiques soutiennent que les pays en développement ne peuvent souvent pas se permettre les droits de l’Homme, car les tâches de l’édification de la nation, du développement économique et de la consolidation de la structure de l’État à ces fins sont encore inachevées. L’autoritarisme, estiment-ils, est plus efficace pour la promotion du développement et la croissance économique.
C’est la prémisse derrière le soi-disant cas des valeurs asiatiques, qui attribuent la croissance économique de l’Asie du Sud-est aux vertus confucéennes de l’obéissance, de l’ordre et du respect de l’autorité. L’argument est même un peu plus subtil que cela, parce que la suspension ou la limitation des droits de l’Homme est également décrite comme le sacrifice de quelques-uns pour le bénéfice du plus grand nombre. Le concept des droits de l’Homme n’est compris, appliqué, et discuté, disent les critiques, que par une petite minorité occidentalisée dans les pays en développement. L’universalité dans ces circonstances serait l’universalité des privilégiés. Les droits de l’Homme, c’est pour le petit nombre de ceux qui ont les préoccupations des Occidentaux, ils ne s’étendent pas aux plus bas échelons de l’échelle.
Les arguments en faveur de la défense
C’est la cause de la poursuite, l’inculpation de l’hypothèse de l’universalité des droits de l’Homme. Il y a, bien entendu, des arguments pour la défense. L’objection philosophique est, peut-être de manière étonnante, la plus facile à contrer. Après tout, les concepts de la justice et du droit, de la légitimité du gouvernement, de la dignité de la personne, de la protection contre l’arbitraire ou l’oppression, et de la participation dans les affaires de la communauté se retrouvent dans toutes les sociétés sur la surface de cette terre. Loin d’être difficiles à identifier, les dénominateurs philosophiques communs entre les différentes cultures et traditions politiques font que l’universalisme n’est pas une distorsion de la réalité.
Historiquement, un certain nombre de pays en développement, notamment l’Inde, la Chine, le Chili, Cuba, le Liban et Panama ont joué un rôle actif et très influent dans l’élaboration de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Dans le cas des pactes des droits de l’Homme, le monde en développement a fait la contribution décisive dans les années 1960. C’est la « nouvelle majorité » des États du Tiers Monde émergeant du colonialisme, particulièrement le Ghana et le Nigeria qui ont dénoué l’impasse, mettant fin au blocage Est-Ouest qui avait empêché l’adoption des pactes pendant près de deux décennies. Les principes des droits de l’Homme ont été largement adoptés, imités, et ratifiés par les pays en développement; le fait qu’ils aient été conçus par moins du tiers des États alors en existence est vraiment hors de propos.
En réalité, plusieurs des objections actuelles à l’universalité des droits de l’Homme reflètent une fausse opposition entre la primauté de l’individu et l’importance primordiale de la société. Plusieurs droits civils et politiques protègent les groupes, alors que nombre des droits économiques et sociaux protègent les individus. Ainsi, fondamentalement, les deux séries de droits, et les deux pactes qui les codifient, sont comme des frères siamois inséparables et interdépendants, se soutenant et se nourrissant réciproquement.
Pourtant, alors que le conflit entre les droits collectifs et les droits individuels n’est pas inévitable, il serait naïf de prétendre que le conflit n’aura jamais lieu. Mais tandis que les groupes peuvent exercer collectivement des droits, les individus au sein de ces groupes devraient également être autorisés à exercer leurs droits au sein du groupe, des droits auxquels le groupe ne peut porter atteinte.
Un agenda caché?
Ceux qui se font les champions de l’opinion que les droits de l’Homme ne sont pas universels insistent souvent sur le fait que leurs adversaires ont des agendas cachés. En toute honnêteté, le même reproche peut être lancé contre au moins certains de ceux qui invoquent la culture comme moyen de défense contre les droits de l’Homme. Les régimes autoritaires qui invoquent leurs propres traditions culturelles écrasent allègrement la culture nationale quand cela les arrange de le faire. Aussi, la «culture traditionnelle» qui est parfois avancée pour justifier l’inobservance des droits de l’Homme, y compris en Afrique, n’existe pratiquement plus nulle part dans une forme pure à l’échelle nationale. Les sociétés des pays en développement ne sont pas restées dans un état vierge, pré-occidental; toutes ont connu des changements et des distorsions sous l’effet d’influences extérieures, résultat du colonialisme dans de nombreux cas, et aussi à travers la participation à des relations inter-étatiques modernes.
Vous ne pouvez pas imposer à votre pays le modèle d’un État-nation moderne traversant les frontières et les conventions tribales, nommer un président et un ambassadeur à l’ONU, et puis prétendre que les traditions tribales devraient être appliquées pour juger du respect des droits de l’Homme par l’État-nation moderne.
À tout le moins, il ne devrait y avoir rien de sacro-saint dans la culture. La culture est en évolution constante dans toute société vivante, répondant à la fois à des stimuli internes et externes, et il y a beaucoup d’éléments dans chaque culture que les sociétés dépasseront et rejetteront tout naturellement. Suis-je obligé, en tant qu’Indien, de défendre, au nom de ma culture, la pratique du sati qui a été interdite il y a 160 ans, et qui forçait les veuves à s’immoler elles-mêmes sur le bûcher de leur mari? Le fait que l’esclavage a été acceptable dans le monde entier pendant au moins 2000 ans ne le rend pas acceptable pour nous maintenant, les racines historiques profondes de l’antisémitisme dans la culture européenne ne peuvent justifier la discrimination contre les juifs d’aujourd’hui.
Le problème avec l’argument de la culture est qu’il subsume tous les membres d’une société à l’intérieur d’un cadre culturel qui peut en fait leur nuire. C’est une chose de plaider l’argument culturel avec une clause d’exemption, à savoir celle qui ne vise pas à contraindre les dissidents mais autorise les individus à se retirer et faire valoir leurs droits individuels. Ceux qui choisissent de vivre librement et d’être traités en fonction de leurs cultures traditionnelles sont invités à le faire, à condition que d’autres personnes qui souhaitent être libres ne soient pas opprimées au nom d’une culture qu’elles préfèrent renier.
Un exemple pertinent mais controversé d’une démarche qui vise à renforcer à la fois l’intégrité culturelle et la liberté de l’individu est celui du India’s Muslim Women (Protection of Rights upon Divorce) Act. Ce texte de loi a été promulgué suite à la fameuse affaire Shah Banu, dans laquelle la Cour suprême a confirmé le droit d’une femme musulmane divorcée à une pension alimentaire, suscitant les cris d’indignation de musulmans traditionalistes qui prétendaient que cela enfreignait leurs croyances religieuses que les femmes divorcées n’ont droit qu’à la restitution de la dot versée au moment du mariage. Le parlement indien a alors adopté une loi pour annuler le jugement du tribunal, en vertu de laquelle les femmes musulmanes mariées sous la loi musulmane seraient tenues d’accepter le retour de la dot comme seul paiement d’une pension alimentaire, mais prévoyant que la charité musulmane officielle, le Waqf Board, devrait les aider. (Note de Point de BASCULE: nous produirons un commentaire sous peu sur cette partie de l’article de Tharoor – avec laquelle nous sommes en désaccord – en donnant des explications sur le contexte politique dans lequel l’affaire Shah Banu s’est présentée. Pour nous, céder aux extrémistes musulmans en offrant aux femmes le choix de se soumettre à la charia n’est jamais une bonne option).
Plusieurs femmes musulmanes et féministes ont été scandalisées par cela. Mais le point intéressant est que si une femme musulmane ne veut pas être soumise aux dispositions de la Loi, elle peut se marier en vertu du code civil. Si elle se marie en vertu du droit personnel musulman, elle sera assujettie à ses dispositions. C’est peut-être l’équilibre qui peut être trouvé entre les droits des musulmans comme groupe de protéger leurs pratiques traditionnelles, et les droits d’une femme musulmane, qui peut choisir de ne pas être soumise à cette loi et s’en exempter.
Il faut souligner que les objections qui sont formulées à des droits spécifiques (prétendument occidentaux) impliquent très fréquemment les droits des femmes, et sont généralement bruyamment invoquées par des hommes. Même en admettant, pour fins d’argument, que le mariage des enfants, l’héritage des veuves, l’excision, etc. ne sont pas vus comme répréhensibles par beaucoup de sociétés, comment les victimes de ces pratiques se sentent-elles? Combien de jeunes filles dont les organes génitaux ont été mutilés auraient accepté de subir l’excision si elles avaient eu le droit fondamental de la refuser? Pour moi, la norme est simple: lorsque la contrainte existe, les droits sont violés, et ces violations doivent être condamnées quelle que soit la justification traditionnelle. Ce n’est donc pas la culture qui est le critère, c’est la contrainte.
Pas avec la Foi, mais avec les fidèles
La religion ne peut non plus être utilisée pour sanctionner le statu quo. Chaque religion cherche à incarner certaines vérités qui sont applicables à toute l’humanité – la vérité, la miséricorde, la compassion – quoique les détails de leur interprétation varient selon le contexte historique et géographique dans lequel la religion est née. Comme l’a souvent dit le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, le problème n’est habituellement pas avec la foi, mais avec les fidèles. À tout le moins, la liberté n’est pas une valeur que l’on retrouve uniquement dans les religions occidentales: elle est très prisée dans le bouddhisme et dans différents aspects de l’hindouisme et de l’islam.
Si la religion ne peut être utilisée pour sanctionner l’oppression, il devrait être tout aussi évident que l’autoritarisme favorise la répression, pas le développement. Le développement, c’est le changement, mais la répression empêche le changement. Le Prix Nobel d’économie Amartya Sen a souligné dans un certain nombre d’ouvrages intéressants qu’il existe maintenant une liste des politiques sur lesquelles il y a accord général à l’effet qu’elles sont utiles au développement – l’ouverture de l’économie à la concurrence, le recours à des marchés internationaux, un niveau élevé d’alphabétisation et d’éducation, le succès des réformes agraires, et la fourniture publique d’incitations à l’investissement, aux exportations et à l’industrialisation – et aucune d’entre elles ne requiert un régime autoritariste; aucune n’est incompatible avec les droits de l’Homme.
En effet, c’est la reconnaissance des droits civils et politiques qui donne aux gens l’occasion d’attirer l’attention sur leurs besoins et d’exiger une action de la part du gouvernement. Les travaux d’Amartya Sen ont établi, par exemple, qu’aucune famine n’a jamais eu lieu dans un pays indépendant et démocratique avec une presse relativement libre. C’est frappant : même s’il peut y avoir des cas où des sociétés autoritaires ont eu du succès dans la réalisation de la croissance économique, un pays comme le Botswana, un modèle de démocratie en Afrique, a connu une croissance plus rapide que la plupart des États autoritaires.
De toute façon, quand on entend parler de l’inadaptation ou de l’inapplicabilité ou de l’ethnocentrisme des droits de l’Homme, il est important de se demander quelles sont réellement les hypothèses tacites sous-jacentes à ce point de vue. Quels sont exactement ces droits de l’Homme qu’il est si déraisonnable de promouvoir? Si l’on prend l’instrument le plus litigieux, le Pacte sur les droits civils et politiques, et que l’on examine la liste, que peut-on trouver dont une personne dans un pays en développement peut facilement se passer? Sûrement pas le droit à la vie. Celui d’être à l’abri de la torture? Le droit de ne pas être réduit en esclavage, de ne pas être agressé physiquement, de ne pas être arbitrairement arrêté, emprisonné, exécuté? Nul ne plaide effectivement en faveur d’une limitation à l’un quelconque de ces droits.
Comme l’a demandé Kofi Annan dans un discours à l’université de Téhéran en 1997: Quand avez-vous entendu une personne libre exiger qu’on mette fin à la liberté? Où avez-vous entendu un esclave plaider pour l’esclavage? Quand avez-vous entendu parler d’une victime de torture qui entérine les voies du tortionnaire? Où avez-vous entendu la tolérance réclamer l’intolérance?
La tolérance et la miséricorde ont toujours été, dans toutes les cultures, les idéaux d’un régime gouvernemental et du comportement humain. Si nous n’affirmons pas sans équivoque l’universalité des droits dont les gouvernements oppressifs abusent, et si nous admettons que ces droits peuvent être dilués et changés, en fin de compte, nous risquons de donner à des gouvernements oppressifs une justification intellectuelle pour ce qui est moralement indéfendable.
Les objections à l’applicabilité des normes internationales relatives aux droits humains ont trop souvent été exprimées par les dirigeants autoritaires et les élites au pouvoir pour justifier leurs violations des droits humains qui servent principalement, sinon exclusivement, à les maintenir au pouvoir. Tout comme le diable peut citer l’Écriture pour ses fins, le communautarisme du Tiers Monde peut être le slogan d’un tyran déraciné formé, comme dans le cas de Pol Pot, à la Sorbonne. Les voix authentiques du Tiers Monde savent crier de douleur. Il est temps de les écouter.
Le droit au développement
Dans le même temps, particulièrement dans un monde où le capitalisme est triomphant, il est important de souligner que le droit au développement est aussi un droit humain universel. Le concept même de développement a évolué en phase avec le concept de droits de l’Homme; la décolonisation et l’autodétermination ont progressé avec la conscience de la nécessité d’améliorer le niveau de vie des peuples soumis. L’idée que les droits de l’Homme peuvent être assurés uniquement par la non interférence de l’État dans les libertés individuelles ne peut survivre à l’affrontement avec un milliard d’êtres humains autour du globe qui sont affamés, privés de tout, analphabètes et sans travail. Les droits de l’Homme, dans une phrase mémorable, commencent avec le petit déjeuner.
Pour les déshérités, la notion de droits de l’Homme doit être une vision positive, active: il s’agit non seulement d’être protégés de l’État, mais aussi d’être protégés par l’État, afin de permettre à ces êtres humains d’accéder aux aspirations fondamentales de la croissance et du développement qui sont frustrées par la pauvreté et les ressources limitées. Nous devons accepter que la misère sociale et l’exploitation économique sont tout aussi mauvaises que l’oppression politique ou la persécution raciale. Cela nécessite une approche plus profonde à la fois des droits de l’Homme et du développement. Sans développement, les droits de l’Homme ne peuvent pas être véritablement universels, puisque l’universalité doit être fondée sur la prémisse que les couches les plus défavorisées dans les pays en développement parviennent à l’émancipation. Nous ne pouvons pas exclure les plus pauvres des pauvres de l’universalité des riches.
Après tout, est-ce que certaines sociétés ont le droit de refuser aux êtres humains la possibilité de réaliser leurs aspirations pour la croissance et l’épanouissement, légalement et dans la liberté, alors que d’autres sociétés s’organisent de manière à permettre et encourager les êtres humains de satisfaire librement les mêmes besoins ? Sur quelle base pouvons-nous accepter un double standard qui dit que le besoin d’un Australien de développer son propre potentiel est un droit, tandis que pour un Albanais ou un Angolais, c’est un luxe?
Universalité, et non uniformité
Mais il est essentiel de reconnaître que l’universalité n’est pas l’uniformisation. Affirmer l’universalité des droits de l’Homme ne veut pas dire que notre vision des droits de l’Homme transcende toutes les différences philosophiques, culturelles ou religieuses possibles, ou représente une agrégation magique des systèmes éthiques et philosophiques du monde. Il suffit plutôt qu’ils ne contredisent pas de manière fondamentale les idéaux et les aspirations d’une société donnée, et qu’ils reflètent notre commune humanité universelle de laquelle aucun être humain ne doit être exclu.
Fondamentalement, les droits de l’Homme découlent du simple fait d’être humain, ils ne sont pas le don d’un gouvernement ou d’un code juridique particulier. Mais les normes internationalement proclamées ne peuvent devenir réalité que lorsqu’elles sont appliquées par les pays dans le cadre de leurs propres systèmes juridiques. Le défi est d’œuvrer à l’« indigénation» des droits de l’homme, et leur affirmation au sein de l’histoire et des traditions de chaque pays. En d’autres termes, si différentes approches sont accueillies au sein du cadre établi, l’éclectisme peut être encouragé comme partie du consensus et ne pas être considéré comme une menace. Cette flexibilité peut garantir l’universalité, enrichir le débat intellectuel et philosophique, et donc compléter, plutôt que saper, la notion des droits de l’Homme universels. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est une idée universelle des droits de l’Homme qui peut en effet contribuer à rendre le monde plus sûr pour la diversité.
Voir aussi:
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