Commentaire sur le livre «Sortir de la malédiction, l’islam entre civilisation et barbarie» par Abdelwahab Meddeb, un intellectuel français de religion musulmane né à Tunis, professeur à l’université de Paris-X-Nanterre, animant sur France-Culture l’émission «Cultures d’islam». Il est l’auteur de nombreux livres dont «la Maladie de l’islam», «Contre-Prêches». Paraît cette semaine au Seuil : «Sortir de la malédiction. L’islam entre civilisation et barbarie». Gilles Anquetil du Nouvel Observateur l’a interviewé. L’intégrale de l’interview est rapportée sous le titre Comment guérir l’islam?
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D’entrée de jeu, A. Meddeb nous fait part de son approche hétérodoxe du coran: «le Coran devient une idole intouchable lorsqu’il est perçu comme la parole même de Dieu, inaltérée et inaltérable, telle qu’en elle-même, de toute éternité. C’est très curieux que les musulmans aient fait de leur livre saint une idole, lui dont le message est si féroce à l’égard des idoles». Une telle opinion est à juste titre hérétique du fait qu’elle remet sérieusement en question un article de foi principal de l’islam. D’ailleurs le coran n’est pas perçu il EST, selon les ulémas, la parole incréée d’Allah et cette affirmation se trouve dans le coran lui-même. On devrait par conséquent s’interroger sur la recevabilité d’une telle opinion par l’immense majorité des musulmans. En dépit de ces réserves, il est important de reconnaître qu’A. Meddeb se devait de questionner le caractère divin du texte coranique.
Pour «sortir de la malédiction» et pour «guérir l’Islam», les musulmans n’ont d’autres choix que mettre au rancart tous les versets qui les incitent à haïr et à détruire les mécréants. Le gros bon sens d’ailleurs ne devrait-il pas amener les musulmans à réfléchir sur la faisabilité du djihad contre tous les mécréants vivant en ce bas monde: …«La neutralisation de cette «notion pervertie» du djihad est possible à condition de ramener les versets belliqueux comme ceux dits de l’épée (IX, 5) et de la guerre (IX, 29) au contexte historique de leur formulation. Le premier verset appelle à tuer les païens, le second à combattre les juifs et les chrétiens ou à leur accorder la protection au prix de l’asservissement…si on continue aujourd’hui à lire littéralement de tels versets, on se heurte à la paix qui régit le concert des nations. Que faire des païens indiens et chinois ? Que faire de l’Europe, de l’Amérique judéo-chrétienne ?»
A. Meddeb, contrairement aux idiots utiles qui passent leur temps à répéter que l’islam est paix et amour, reconnaît sans hésiter que les versets belliqueux du coran, pris au pied de la lettre, constituent un danger à la paix mondiale. Dans le but de prévenir les conflits, le chemin à suivre est tout tracé: …«Pour s’adapter à la réalité de la paix qui régit la politique internationale (malgré les nombreux conflits qui restent locaux et malgré tout de «faible intensité»), l’islam doit à son tour trahir sa propre lettre et déclarer définitivement obsolète la référence au djihad pour s’adapter aux valeurs qu’implique la liberté de conscience et de culte.»
L’interviewer a négligé de demander à A. Meddeb comment il s’y prendrait pour amener les musulmans à «trahir la propre lettre du coran et à déclarer définitivement obsolète la référence au djihad», cependant la «liberté de conscience» lui a fait soulever la question de la charia qu’A Meddeb considère comme «en contradiction flagrante avec la déclaration des droits de l’homme». En prenant comme exemple la peine de mort prévue en cas d’apostasie, il lui a demandé comment on pourrait «sortir de cette incompatibilité.» Cherchant une issue, A. Meddeb invoque le silence du coran sur le sujet et affirme la subordination des traditions prophétiques au texte du coran: «Il n’y a aucune prescription coranique qui condamne à mort l’apostat. Les docteurs de la loi s’appuient sur une tradition prophétique pour légitimer un tel châtiment. Or la tradition prophétique est une source de légitimation seconde…»
Le hic avec cet argument est que le coran dont on a recommandé plus tôt la «trahison de la lettre» est invoqué ici comme principale référence non pour ce qu’il dit mais pour ce qu’il a omis de dire. Pirouette plutôt qu’argument fondé, l’islam ce n’est pas uniquement le coran. Les ulémas ne manqueront pas de le souligner. C’est pourquoi A. Meddeb, faisant fi de l’opinion unanime des différentes écoles juridiques de l’islam, fait appel à la pluralité des opinions pour «troubler la jurisprudence», autrement dit contester l’autorité des experts, mais il omet de mentionner qu’une telle entreprise ne peut en aucun cas obtenir l’assentiment des jurisconsultes. Pour pallier à cette difficulté, il s’en remet au pouvoir législatif des états, lequel doit être affranchi de la tutelle des ulémas: … «Le législateur a à s’inspirer des potentialités que recèlent ces réalités historiques pour approfondir le désaccord entre les jurisconsultes. Chaque fois qu’il y a contradiction flagrante entre les droits de l’homme et la charia, prééminence doit être donnée aux droits de l’homme…» Ouf!
La loi d’Allah subordonnée aux droits de l’homme, connaît-on beaucoup de législateurs musulmans qui se risqueraient sur un terrain aussi périlleux? Pas grand monde, c’est pourquoi la responsabilité finale revient à l’occident, cet occident dont on ne cesse de dénoncer l’ingérence néo-colonialiste: «…nous avons pour rôle d’inciter l’islam officiel, celui des États, à assumer ses responsabilités s’il veut être un interlocuteur reconnu dans le concert des nations. Une forme de lâcheté pousse les Européens et les Occidentaux à négliger cette exigence. La pression des États européens et occidentaux est une nécessité dans ce domaine.» On critique les occidentaux quand ils interviennent et on les critique quand ils n’interviennent pas!
Face à l’épaisse carapace de la charia, les fléchettes d’A. Meddeb semblent dérisoires, d’autant plus que certaines dispositions de la charia, dont la peine de mort pour les apostats, sont prises en charge par les individus même en occident. Point n’est besoin d’état ou de loi votée, une fatwa postée sur internet suffit.
Le passage suivant mérite qu’on s’y attarde
N. O. – L’islamisme est selon vous un fascisme que l’islam peut toutefois contrarier, sinon vaincre. N’est-ce pas trop tard ?
A. Meddeb. – Je ne cesse de répéter que jamais à travers l’histoire le principe de mort n’a triomphé du principe de vie. Le Reich millénaire invoqué par les nazis n’aura pas duré plus de treize ans. Disons que l’islamisme triomphe depuis 1979. Cela peut paraître long d’autant plus que nous ne percevons pas le signal de son épuisement. Mais cette durée relative s’explique par le fait que ce fascisme s’adapte à une réalité anthropologique orientale qui ne sait pas marcher au pas, qui conserve l’usage de l’improvisation et de l’errance.
Il est bien difficile de différencier l’islam de l’islamisme dans la mesure où ils s’inscrivent dans un continuum. Il est vrai que l’islam personnel d’A. Meddeb est très éloigné de l’islamisme mais il ne l’est pas moins de l’islam officiel. Comment dans ces conditions imaginer l’islam œuvrant à sa propre déconfiture? Bien des experts se sont cassés les dents en essayant de concevoir un islam compatible avec la démocratie et les droits de l’homme. Peine perdue, l’islam ne recèle pas en lui-même les éléments nécessaires à sa propre transformation, c’est pourquoi la seule issue pour lui est de conquérir pour survivre.
A. Meddeb s’étonne que le fascisme islamique puisse durer et poursuivre ses conquêtes alors que le fascisme nazi s’est écroulé au bout de treize ans. Il attribue le succès du premier à sa capacité d’adaptation à la réalité des musulmans. L’observateur neutre ne peut cependant ignorer les facteurs qui contribuent à la montée du fascisme islamique, dont l’argent du pétrole, les médias, l’absence d’alternative démocratique dans les pays musulmans et bien entendu la quasi absence de résistance de la part de l’occident. Le nazisme quand à lui ne s’est pas écroulé de lui-même, il a été enterré sous les ruines fumantes de l’Europe.
En ce qui a trait à l’avenir, A. Meddeb se révèle optimiste, l’islamisme mortifère s’oppose à la vie et sera donc vaincu. S’il est permis de partager son optimisme pour ce qui est du long terme, en revanche il est impossible de prévoir la somme de souffrances que l’humanité devra endurer pour en arriver à ce résultat.
L’exemple de l’Iran est loin d’être rassurant. La prédiction à l’effet que: …«Ce pays saura se dégager du fascisme et du totalitarisme que lui impose l’idéologie islamiste car il conserve en certaines de ses franges une modernité manifeste à travers les réalisations de ses artistes, cinéastes, photographes, plasticiens, poètes, penseurs, femmes et hommes…» pèche par excès de confiance dans la mesure où les mollahs totalitaires se servent abondamment du courant moderniste iranien pour se fabriquer une image de modération afin de mieux désarmer l’adversaire, et le moins qu’on puisse dire est que cette manœuvre donne d’excellents résultats.
A. Meddeb a raison de rappeler certaines vérités que la haine de soi fait oublier aux intellectuels: «Le double critère d’une société ouverte, débarrassée de ses archaïsmes, se repère à travers la condition faite aux femmes et aux étrangers minoritaires». Sur ce chapitre, les occidentaux sont inconscients de leurs réalisations en terme d’ouverture et peu motivés à protéger les acquis menacés par l’islamisme. La condition des femmes et des juifs en occident se détériore et personne ne se montre disposé à placer les musulmans devant leurs responsabilités. Pourtant l’évolution récente des pays islamiques nous montre dans quelle direction l’islamisme risque de nous conduire: «La crainte que suscitent les femmes et les étrangers est le signe d’une communauté grégaire fermée sur elle-même, empêtrée dans l’endogamie, la réclusion des femmes, la xénophobie». Et A. Meddeb ne fait pas mention de l’extrême violence que nourrit une telle communauté à l’égard de l’autre. L’appui qu’obtiennent les auteurs d’attentats terroristes auprès de la population musulmane et particulièrement les jeunes en est la preuve.
Cette interview est intéressante à plus d’un point. Tout d’abord cette réflexion : aucun intellectuel occidental adoptant une position équivalente à l’égard de l’islam ne se mériterait l’honneur d’une interview dans un grand périodique comme le Nouvel Observateur. Des expressions comme «maladie de l’islam» «fascisme de l’islam» «sortir de la malédiction» seraient immédiatement dénoncées comme islamophobes. Le fait qu’elles soient véhiculées par un penseur musulman leur donne une légitimité et une respectabilité naturelles. C’est comme si la critique de l’islam ne saurait être légitime et crédible que venant d’une source musulmane. A. Meddeb dit clairement ce que nos journalistes et intellectuels se refusent de penser. En divulguant une opinion aussi hétérodoxe, il s’expose à la vindicte de la majorité des musulmans. Peu de nos penseurs peuvent se vanter de posséder un tel courage.
Parlant de «maladie de l’islam» A. Meddeb pose le bon diagnostic, la violence de l’islamisme trouve sa source dans le coran. Nos «intellectuels» qui s’obstinent à faire faire mea culpa à l’occident et à l’accuser de tous les maux devront aller se reculotter. Si la violence de l’islamisme vient du coran, alors le traitement devra viser la cause du mal. C’est pourquoi A. Meddeb prescrit un traitement drastique à la mesure de la maladie, soit rendre obsolètes et inapplicables les injonctions répétées au djihad. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire, c’est pourquoi la «guérison de l’islam» et «sortir de la malédiction» ce n’est pas pour demain.
L’optimisme d’A. Meddeb est-il justifié? Je crois que nous avons le devoir d’être optimistes même si l’épreuve s’annonce plus ardue et plus longue que celles que l’occident a traversées avec les tyrannies nazie et communiste. Je crois cependant que la politique d’accommodement et d’apaisement, et plus encore la cécité volontaire, rendront l’épreuve encore plus difficile du fait que la lutte contre le fascisme islamique est entravée par ceux-là même qui se prétendent défenseurs des droits et des libertés.
Helios d’Alexandrie
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