Il a fallu plus de trois semaines pour que l’enlèvement des moines de Tibehirine, dans la nuit du 26 mars 1996, soit revendiqué. Il l’a été dans le communiqué 43 du GIA, publié le 18 avril. Signé par Djamel Zitouni, émir du GIA, il réclame la libération de terroristes comme Abdelhak Layada, détenu en Algérie, contre la vie des sept otages religieux. La France refusera le marché. Mais l’argumentation théologique justifiant les menaces de mort contre des personnalités chrétiennes continue d’intriguer les enquêteurs. Certains se demandent si des documents attribués au GIA n’auraient pas pu être inspirés, voire fabriqués, par des spécialistes de théologie ou de droit islamiques, parfois à leur insu.
Ils en veulent pour preuve un opuscule de trente-cinq pages écrit par un certain Nasreddin Lebatelier, publié en 1997 à Beyrouth : c’est une apologie, en bonne et due forme, de l’assassinat de moines chrétiens, un acquittement pur et simple des assassins ceux du GIA ou ceux qui les manipulent, fondé sur le juriste Ibn Taymiyya (1263-1328), l’un des auteurs favoris de la littérature islamiste. Intitulé Ibn Taymiyya, le statut des moines, ce document écrit : « Quand le moine se mêle aux hommes, il est permis de le tuer (…). Mécréant originel, il invite les musulmans à sa religion. »
Après enquête, on apprendra que Nasreddin Lebatelier est un universitaire belge converti à l’islam de son vrai nom Jean Michot, enseignant du département d’islamologie de l’université catholique de Louvain-la-Neuve et président du Conseil supérieur des musulmans de Belgique. Son contrat avec la célèbre université catholique, où cette affaire a provoqué un scandale, a été rompu, et Jean Yahya Michot est expatrié à Oxford.
Le « style GIA »
Ce scientifique est un spécialiste d’Ibn Taymiyya, mais quel intérêt avait-il à avancer masqué, à publier une exégèse aussi fervente et détaillée dans le climat de réprobation consécutif à l’exécution des moines? Aurait-il pu inspirer, même involontairement, la rédaction du communiqué 43 du GIA? Aucun début de preuve ne peut, bien sûr, être apporté à cette thèse, mais un autre islamologue, Alain Grignard, qui ne fait pas mystère de son appartenance à la cellule antiterroriste en Belgique, a publié en septembre 1997 une étude linguistique des communiqués islamistes dans laquelle il met en évidence qu’il existe bien « un style GIA », avec ses archaïsmes, des paraphrases et des collages d’auteurs radicaux, loin de la langue populaire d’un Zitouni.
Qui en sont les rédacteurs? Des étudiants ou des intellectuels travaillant pour le compte de groupes armés? Ou des manipulateurs de textes de propagande religieuse au service de dirigeants qui font de la surenchère théologique pour tenter de confondre les groupes islamistes? Une telle hypothèse ne peut manquer d’être soulevée.
Le Monde (Paris) – 8 juin 1998 – Henri Tincq
