Georges Karam, citoyen d’origine libanaise, a déposé un mémoire à la Commission Bouchard-Taylor. « Cette opinion est avant tout celle d’un citoyen qui vient de loin et qui a découvert sur les bords du Saint-Laurent un pays qui lui a permis de vivre dans toute sa dignité, sa vie d’homme libre et de citoyen engagé. Chrétien croyant il «rend à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu». Bien qu’il ait participé aux travaux de plusieurs comités sur les relations interculturelles, il exprime ici un point de vue strictement personnel quoique largement partagé par de nombreuses personnes consultées : on finit par se demander si les accommodements raisonnables ne seraient pas devenus le moyen privilégié de plusieurs groupes de fondamentalistes pour asseoir leurs visées politiques.»
Nous reproduisons ici le mémoire déposé par Georges Karam à la Commission Bouchard-Taylor sous le titre Un État de droit et non l’État de tous les droits.
Avant-propos
Depuis plusieurs années déjà la société québécoise, devenue société d’accueil pour de nombreux immigrants, est confrontée aux problèmes de l’intégration et de la gestion des différences culturelles et religieuses. Jusqu’à tout récemment la classe politique ne montrait aucun signe de fébrilité dans ce domaine et était persuadée de la validité et de la justesse de ses politiques laxistes. À la faveur cependant d’une campagne électorale dont le déroulement prévu a été bousculé par l’expression d’une grogne populaire, elle a dû se rendre à l’évidence et admettre qu’il y avait un hiatus entre ses certitudes et les inquiétudes de nombreux citoyens. D’où la création de votre commission qui, nous l’espérons tous, suscitera à travers tout le Québec une vaste et profonde réflexion sur la place à réserver dans l’espace public aux différences culturelles et religieuses et sur les répercussions, positives ou négatives, qu’elles pourraient avoir sur l’avenir du Québec.
L’opinion exprimée ici ne constitue pas un jugement de valeur sur les différentes cultures et religions étant persuadé qu’en ce domaine “vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà”. En plus d’être le reflet d’une préoccupation grandissante, elle suppose que toute société a un parcours historique propre, unique, et qu’elle doit assumer en toute légitimité son destin en conformité avec les idéaux et les valeurs qui constituent son patrimoine culturel. Elle privilégie le concept de l’universalité des lois et la nécessité de leur cohérence. Elle préfère la laïcité dans les rapports entre les autorités politiques, les institutions publiques et les citoyens et croit que le pouvoir de faire des lois n’appartient qu’aux législateurs élus. Si ces derniers ne font pas leurs devoirs il serait peut-être préférable dans le respect de la séparation des pouvoirs, que le judiciaire, d’une manière générale, refuse de le faire à leur place en établissant par les jugements qu’il rend, une jurisprudence qui a force de loi. Dans ce cas elle partage l’avis de ceux qui croient qu’on ne peut interpréter objectivement une loi qui n’est pas claire, qui peut susciter plusieurs perceptions ou qui, les circonstances entourant son adoption ayant changé, mérite plus de précisions. Le différend qui vient de survenir entre le Directeur des élections fédérales d’une part et les partis politiques fédéraux et la le Québec d’autre part, confirme bien notre propos même s’il y a une récupération politique de la part de certains.
L’auteur
Cette opinion est avant tout celle d’un citoyen qui vient de loin et qui a découvert sur les bords du Saint-Laurent un pays qui lui a permis de vivre dans toute sa dignité, sa vie d’homme libre et de citoyen engagé. Chrétien croyant il “rend à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu”. Bien qu’il ait été membre fondateur, animateur ou président de plusieurs associations dans la communauté montréalaise et canadienne d’origine libanaise (Chambre de commerce et d’industrie Canada-Liban, Conseil national canadien de l’Union libanaise culturelle mondiale, Conseil supérieur maronite du Canada…) et qu’il ait participé aux travaux de plusieurs comités et groupes de travail traitant essentiellement des relations interculturelles, il exprime ici un point de vue strictement personnel quoique largement partagé par de nombreuses personnes consultées. En plus naturellement de prétendre à une part de la vérité dans son appréciation de la pratique des accommodements raisonnables, si de surcroît, l’opinion qu’il exprime est perçue comme un témoignage de loyauté et d’adhésion à une société dont il se sent entièrement solidaire et dont il a choisi d’assumer sans réserves le passé, le présent et l’avenir, il en serait fort heureux.
L’accommodement raisonnable, un concept juridique inadéquat au service du fondamentalisme ?
Le concept même de l’accommodement raisonnable dans le domaine culturel et religieux, celui qui suscite le plus de controverses, est, à notre avis, inadéquat pour ne pas dire incorrect. On devrait plutôt parler d’accommodement tolérable ou mieux de droit particulier car on ne voit pas dans ce dédale des mythes, des croyances et des symboles religieux, où loge la raison… Quoiqu’il en soit il indique clairement, même à leurs défenseurs inconditionnels, qu’il y a dans le respect et l’acceptation des différences culturelles et religieuses et dans l’aménagement public qu’on peut leur réserver dans la société d’accueil, des limites qu’on ne peut dépasser soit parce que l’aménagement est trop contraignant soit parce que ces différences sont incompatibles avec les lois et la culture de la société d’accueil.
Ainsi la culture du port d’armes aux États-Unis, par exemple, est incompatible avec les moeurs canadiennes. D’emblée on constate que le respect des différences est relatif. Même ceux qui réfèrent avec insistance aux principes contenus dans les deux Chartes des droits, canadienne et québécoise, ainsi que ceux qui réfèrent aux principes philosophiques ou éthiques les plus généreux de l’altruisme ou encore qui défendent le pluralisme identitaire, en conviennent.
Il y a dans le respect des différences, une frontière qu’on ne peut franchir sous peine de transgresser les lois ou de mettre en péril le modèle social et culturel auxquels la société d’accueil est parvenue à travers un long cheminement historique et bien souvent au prix de longues luttes. À cela il faut ajouter l’aspect humain et tenir compte du seuil de tolérance de la société à accepter des réclamations au nom du droit à la différence ou au nom de “préceptes divins” qui sont eux aussi pluriels et rarement convergents ! Ces demandes vues parfois comme des passe-droits ou des affirmations identitaires excessives ou injustifiées quand elles ne sont pas tout simplement politiques, finissent par devenir autant d’irritants qui alimentent l’impatience et parfois l’exaspération. Un exemple typique de réclamations outrancières, est la demande de choisir à l’urgence de l’hôpital un médecin de tel ou tel autre sexe ou de passer avant les autres pour aller prier. Il se trouve que dans les pays d’origine de ces demandeurs tout le monde était traditionnellement soigné par des médecins hommes et personne ne trouvait à redire…et tout le monde attend son tour ou demeure à son poste même si l’heure de la prière est arrivée. On finit par se demander si les “accommodements raisonnables” ne seraient pas devenus le moyen privilégié de plusieurs groupes de fondamentalistes pour asseoir et publiciser leurs idées et parfois leurs visées politiques ?
Une laïcité québécoise vieille déjà de plusieurs décennies
Au Québec, même s’il n’y a pas de loi qui le proclame, la laïcité ou du moins la séparation du religieux du politique fait désormais partie intégrante du paysage culturel de la société. Depuis la Révolution tranquille toutes les institutions publiques sont devenues “neutres” et les personnes qui y travaillent sont elles aussi “neutres” dans la mesure où c’est la fonction avec ses responsabilités et ses prérogatives qui les caractérise et non pas le sexe, l’appartenance religieuse, ethnique ou autre, en particulier dans le réseau de la santé, de l’éducation ou de la sécurité publique.
Asseoir cette laïcité ne fut pas toujours une entreprise aisée. Elle a demandé beaucoup de conviction et de détermination. Qu’on se rappelle ici seulement la transition de la commission scolaire confessionnelle à la commission scolaire linguistique. Dans le cas de la Commission scolaire protestante de Montréal dont l’existence était protégée par l’article 93 de l’AANB de 1867 et par l’article 23d de La Charte des droits et libertés, on a tout mis en oeuvre pour passer à travers ce barrage constitutionnel et juridique pratiquement infranchissable. Et pourtant on y est parvenu grâce, entre autres, à une formule d’amendement bilatérale. Il serait peut-être bon de ne pas l’oublier…
Parallèlement à cette réalité laïque voulue et vécue par la majorité de la population et sous l’influence du multiculturalisme fédéral, d’une générosité et d’une ouverture naturelles des Canadiens et des Québécois, d’une interprétation abusive de la Charte des droits, du politiquement correct ou plus prosaïquement de la rentabilité politique, l’État s’est fourvoyé et s’est laissé entraîner sans que cela soit réellement justifié du point de vue du droit (avec notre respect pour les tribunaux), dans un dédale plein d’embûches : celui de gérer les différences et les symboles religieux par le truchement de “l’accommodement raisonnable”. Ce qui a entraîné à cause de certaines décisions pour le moins controversées des tribunaux une confusion dans l’esprit des gens au point que pour “bien faire”, certains transgressaient, sans le savoir ou le vouloir, les lois : pour exemple le cas d’un bureau des permis de conduire et un poste de police ( !) qui avaient accepté de souscrire à des demandes sexistes. Auraient-ils accepté d’écouter avec la même bienveillance la requête d’un citoyen, “pure laine”, exigeant de traiter avec un homme et refusant de le faire avec une femme ? D’un point de vue strictement juridique (pour les tenants d’une interprétation étroite de la Charte des droits) ce citoyen aurait droit au même traitement de faveur. Ou les lois et les règlements sont universels (à part dans des cas très précis comme des traités antérieures ou des droits analogues mais non identiques comme les congés de maternité ou de paternité…) ou ils ne le sont pas et dans ce dernier cas de figure on ouvre une boite de Pandore !
Qui manque de flexibilité et de tolérance, et les errances de la justice canadienne ?
La grogne et le mécontentement qui se manifestent actuellement dans certains secteurs de la société, ne sont pas le fait d’une xénophobie soudaine ou d’une intolérance à l’altérité et à la différence. Ils sont l’expression d’une inquiétude réelle causée par le laxisme et l’irrésolution des autorités, des demandes excessives (soustraire des enfants à des cours de musique, exiger au moment où tout le monde est attablé que l’on libère une salle d’une cabane à sucre pour faire ses prières… !) de la part de certains groupes ou individus et des décisions judiciaires pour le moins surprenantes pour ne pas dire stupéfiantes.
Même si elles ne constituent pas toujours un cas “d’accommodement raisonnable” ces décisions logent culturellement et philosophiquement à la même enseigne. Quand la plus haute cour du pays ordonne à la Gendarmerie royale d’accepter des modifications à son uniforme pour respecter le droit à la différence d’une recrue, on demeure incrédule ! Dans tous les pays du monde où il y a une longue expérience démocratique et une charte des droits de la personne, les unités militaires et les corps policiers ont des uniformes particuliers et à notre connaissance ils n’ont jamais fait l’objet de modifications pour des raisons religieuses.
Quand un juge se montre compréhensif envers un homme qui a abusé de la fille de sa conjointe mais qui a, pour des raisons liées à sa culture d’origine (dit-il), épargné sa virginité, il y a de quoi être inquiet… Quand enfin un juge décide de faire enlever un arbre de Noël devant un palais de justice par respect des différentes sensibilités religieuses c’est un outrage à l’intelligence et au bon sens! En quoi un sapin décoré et illuminé même s’il rappelle à certains une fête religieuse, peut-il choquer ? C’est loin d’être un symbole religieux identitaire stricto sensu. Et combien même ! Va-t-on changer le nom de toutes les municipalités qui commence par le mot Saint sous prétexte que s’y trouvent des citoyens de religion autre que chrétienne ? Va-t-on supprimer des coutumes et des lois tout ce qui a été influencé dans l’histoire de la société d’accueil par la culture et l’éthique religieuse chrétienne ? Absurde !
L’héritage des droits dont nous jouissons aujourd’hui au Québec et au Canada est intimement lié à toutes les interactions sociales, religieuses, culturelles, scientifiques, politiques et artistiques qui ont marqué l’histoire du pays. Et les citoyens de ce pays qu’ils en soient originaires ou immigrés doivent assumer ou adopter cette réalité car c’est elle qui permet à chacun aujourd’hui de jouir, dans un État de droit, de toutes ses libertés fondamentales. C’est elle aussi qui doit constituer le terreau de l’intégration sociale et le fondement d’une culture publique commune. Certainement cette société comme toutes les autres est perfectible, encore faut-il ne pas s’arranger pour bloquer son progrès en multipliant les obstacles. Il faut bien l’admettre “l’accommodement raisonnable” est devenu l’outil préféré de ceux qui, au fond, sont rébarbatifs au changement, tiennent à marquer à tout prix leur différence et qui mettent pour un oui ou un nom “la parole de Dieu” sur la table ! Ne serait-ce pas eux qui manqueraient de flexibilité et d’ouverture ?
Dans leur vie de tous les jours ils ont déjà organisé leur espace identitaire en toute liberté au point, dans certains cas, d’en faire des ghettos. D’autre part il faut voir si dans cette affirmation déterminée de leur différence, il n’y a pas un jugement sévère et un rejet pur et simple des valeurs de la société d’accueil et un refus de s’y intégrer ou même d’en faire partie autrement que pour les avantages qu’ils peuvent en tirer ! Un immigrant qui a choisi de vivre dans un pays d’accueil et dans la mesure où ce pays lui accorde tous les droits dont bénéficient ses citoyens, n’a certes pas à supprimer tout jugement critique, il a cependant un devoir de loyauté et un contrat moral d’intégration à respecter. Il faut aussi insister sur le fait que dans beaucoup de cas, ces personnes sont loin d’être représentatives de la majorité de leur communauté et qu’en plus ils ont une interprétation très fondamentaliste sinon controversée de leur religion. D’un point de vue du droit et d’une didactique sociale, apprendre à vivre dans la société qui accueille et à respecter ses us et coutumes, rien ne justifie que l’on doive détourner le droit et la raison. Bien plus que dans le domaine des droits fondamentaux et de l’être, nous sommes ici selon les cas dans celui du paraître, du rituel.
Le modèle québécois de “la troisième voie” : une mission difficile et hasardeuse ou le constat d’une situation irréversible
Avec le faible taux de natalité au Québec, et l’augmentation annoncée de la population immigrante, les problèmes liés à l’intégration vont augmenter considérablement et leur gestion deviendra de plus en plus difficile. Ce type de problèmes ne peut être abordé seulement d’un point de vue philosophique, ou d’une vision absolue et étroite du droit. Il y a une dimension humaine, politique et tout simplement de bon sens dont il faut impérativement tenir compte si on se préoccupe un tant soit peu du progrès de la société, de sa cohésion et de la capacité des institutions à gérer toutes ces différences. Les écoles de Montréal scolarisent les enfants de cent cinquante communautés différentes ! Quand le politique et le judiciaire prennent une décision en matière d’accommodement, il faut au préalable qu’ils regardent très loin en aval… La mission de l’école ne doit pas devenir une mission impossible ! Il y a aussi les droits d’une société qui veut protéger ses acquis sociaux et son modèle culturel. Certains diront que “les accommodements raisonnables” ne menacent pas l’harmonie sociale ou les acquis sociaux et ne freinent pas le progrès collectif. À notre humble avis c’est une affirmation purement hypothétique et prématurée et objectivement seul le temps le dira.
L’érosion du relief ne se remarque pas au jour le jour et pourtant elle avance quotidiennement. L’avenir d’une société ne se joue pas au hasard. Ou celle-ci est résolument tournée vers une modernité réfléchie et vers le progrès et tient à la maîtrise de son destin ou elle vogue au gré des vents du laisser-faire, du laxisme et de la rectitude politique. En tout cas l’exemple des pays où le communautarisme et les marqueurs identitaires sont très visibles, n’est pas très encourageant et il n’existe pas de modèle de réussite inspirant ou à suivre…
Le modèle québécois, celui qui veut se situer entre la conception jacobine de l’État et le multiculturalisme canadien avec l’ambition d’arriver à une synthèse des droits collectifs et des droits individuels ne témoigne-t-il pas encore une fois de l’indécision et du tâtonnement des décideurs? Ce modèle, la convergence culturelle ou le pluralisme culturel (y a-t-il une différence sémantique avec le multiculturalisme ?), nous apparaît parfois comme un constat fait par les pouvoirs publics de l’incapacité du Québec à intégrer désormais les immigrants, à part l’obligation qui leur est faite d’envoyer leurs enfants à l’école française, et comme l’acceptation d’une situation déjà là et devenue irréversible.
Force ici est de constater à la lumière de la dernière campagne électorale et du débat qui a toujours cours autour des “accommodements raisonnables” qu’il y a une divergence dans l’appréciation de ce dossier entre les autorités politiques et judiciaires et la volonté des citoyens même si elle n’est pas unanime.
En attendant, accepter l’apparence et refuser la substance : un labyrinthe sans issue d’un droit à la carte annoncé.
Qu’on ne se méprenne pas, il y a dans “les accommodements raisonnables” dans le domaine religieux et culturel une grande confusion irrationnelle. On accepte les signes religieux extérieures mais on refuse (pour le moment ?) tel ou tel autre aspect bien plus important de la doctrine religieuse ! Ainsi, pour exemple, on accepte le voile et les lieux de prière au travail et on refuse la charia. On oblige les parents à accepter une transfusion sanguine pour leur enfant hospitalisé et on permet à un élève de porter le kirpan. On interdit la polygamie et la discrimination selon le sexe mais on accepte des demandes sexistes et discriminatoires… et tutti quanti ! Va-on se retrouver avec un code et un catalogue des “accommodements raisonnables” et implicitement avec la reconnaissance officielle de certaines religions et le rejet d’autres ? Et ce catalogue sera-t-il mis à jour périodiquement ? Si oui, est-ce vraiment raisonnable ? Qui va établir ce code et ce catalogue ? Est-ce les tribunaux et la jurisprudence ou est-ce une commission ? Si c’est une commission, beaucoup de questions se posent en matière de droit. Quoi qu’il en soit et qu’on le veuille ou pas cela s’apparente étrangement à une amorce d’un droit à la carte ou d’un droit particulier des communautés. A vouloir trop bien faire on risque de tout rater et à coup sûr on s’engage dans un labyrinthe où il n’y a pas de fil conducteur pour la sortie
Comme de nombreux citoyens nous avons l’intime conviction que les tribunaux ont une interprétation maximaliste de la Charte des droits et libertés. Ils se sont attachés à la lettre et n’ont nullement tenu compte de l’esprit. Ils n’ont pas non plus pris en considération le contexte social et culturel actuel et celui qui prévalait au moment de son adoption. Leur interprétation de la Charte nous rappelle ce vieil adage romain qu’affectionnait Cicéron : ” Summum jus, summa injuria” !
La laïcité de l’État, même si elle n’est pas consignée dans un texte législatif, constitue une garantie d’un droit égal pour tous et n’est pas synonyme d’anticléricalisme. Elle n’empêche personne, dans le respect des lois, de pratiquer sa religion dans le privé ou dans le cadre des institutions de sa communauté. Elle ne gomme pas non plus la reconnaissance des communautés qui s’arrangent fort bien pour être visibles et entendues. Il serait excessif de considérer qu’il suffit d’accepter quelques signes extérieurs et quelques dérogations sexistes pour que les communautés soient reconnues !
Les risques de dérapage dans l’approche des “accommodements raisonnables” sont trop importants et leurs conséquences pour l’avenir sont imprévisibles pour qu’en toute raison on persiste dans ce domaine. Plus qu’une conception jacobine de l’État c’est le simple bon sens qui l’exige. Sans compter que le Canada qui en matière de respect des droits de la personne jouit d’une réputation enviable dans le monde, donne paradoxalement dans ce domaine des signaux qui sont perçus négativement par les groupes progressistes.
Une culture publique commune
Les communautés culturelles comme les désigne le ministère du même nom, ont déjà organisé, certes inégalement mais en toute liberté, leur espace identitaire : lieux du culte, magasins, épiceries, centres culturels et communautaires, écoles, journaux, chambres de commerce, institutions financières, émissions télévisées locales et par satellite… Elles ont les mêmes droits et jouissent des mêmes libertés que les communautés fondatrices du pays. Et en toute égalité comme ces dernières, elles sont appelées à renoncer à afficher à tout prix leur identité religieuse dans la sphère publique.
Il n’est absolument pas nécessaire que les cent cinquante communautés culturelles brandissent chacune le drapeau qui l’identifie et encore moins les plus importantes et les mieux organisées d’entre elles. Il y a dans l’espace public commun des lois, des institutions des us et des coutumes qui régissent le fonctionnement d’ensemble et qui permettent à chacun d’avoir sa place et à titre de citoyen de s’impliquer démocratiquement dans la res publica. Pour que ce fonctionnement se fasse sans trop de distorsions et de turbulences il s’agit que les citoyens dans leur majorité aient la volonté de vivre ensemble, le désir de partager les mêmes valeurs et le souci de servir le bien commun et non des biens communautaires particuliers. Vouloir introduire dans la sphère publique des considérations d’ordre identitaires qui n’ont rien à voir avec la raison et les droits fondamentaux, nous semble totalement injustifié dans une société qui se veut moderne et égalitaire. Faire autrement c’est assurément courir après les problèmes et en prime sans savoir où l’on va aboutir.
Je vous remercie pour le temps et l’intérêt que vous aurez accordés à ces quelques lignes.
Georges Karam