Le projet politique contenu dans le rapport Bouchard-Taylor incarne la vision d’un Québec ouvert car insignifiant, d’une société harmonieuse car informe et insipide, d’un citoyen ouvert d’esprit car incapable de juger, et surtout d’un avenir collectif qui en dernière instance ne sera l’avenir de rien ni de personne. Le rapport est juste assez épais, flou, scolastique et blablateur pour nous garantir que demain sera assurément bordélique – Jean-Jacques Tremblay, un jeune québécois lucide
Jean-Jacques Tremblay a accepté l’invitation de Point de BASCULE d’écrire une analyse du rapport Bouchard-Taylor.
Vous pouvez lire les recommandations du rapport Bouchard-Taylor et en télécharger le texte intégral en cliquant ici: Le rapport Bouchard-Taylor est déposé, sous le titre “Fonder l’avenir – Le temps de la réconciliation”
Rapport Bouchard-Taylor : une brève analyse
La liste d’épicerie
Au menu de l’inénarrable Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles : construction d’une mémoire nationale post-canadienne-française vide et aseptisée, alignement de la production artistique et culturelle sur les intérêts de l’État et de sa nouvelle philosophie pluraliste, endoctrinement de la jeunesse à travers une néo-école transformée en appareil idéologique d’État, formation continue des employés de l’État qui devront ainsi incarner toujours mieux l’avant-garde extrême de la démence, alignement des subventions universitaires en recherche sur le nouveau crédo, financement d’une flotte de groupes communautaires politisés qui jour après jour oeuvreront à voir du racisme et de la discrimination là où il n’y en avait pourtant pas, instauration de la discrimination positive directe et indirecte à tous les niveaux de la société, transformation de la Commission des droits de la personne en un quatrième pouvoir, création d’un mystérieux «organisme de surveillance» des discours, lutte contre le néo-libéralisme et les inégalités économiques, culpabilisation de majorités coupables d’être majoritaires, paternalisme présomptueux, haine de soi, ingénierie sociale et constructivisme désinhibé, congés religieux à la carte, soins de santé sur mesure, juridisation et droit-de-l’homminisation du politique, étatisation du social, divinisation de victimes imaginaires, apologie du consensualisme, montage en épingle de cas humains poignants, jonglages sémantiques, rhétorique bien-pensante, novlangue décomplexée, etc.
Et surtout : le rapport Bouchard-Taylor est juste assez épais, flou, scolastique et blablateur pour nous garantir que l’avenir sera assurément bordélique.
Crise des perceptions
Selon Bouchard et Taylor, tout ne serait qu’une simple « crise des perceptions ». « Autrement dit, la vision négative des accommodements qui s’est propagée dans la population reposait souvent sur une perception erronée ou partielle des pratiques ayant cours sur le terrain. » Le grand responsable de cette perception négative? « L’emballement médiatique » bien évidemment, ainsi que l’incurie et la naïveté d’une populace probablement composée de ces idiots pas vraiment méchants qui, tout en osant avoir des opinions non prescrites, ne sont même pas des intellectuels.
Fabriquer l’homme nouveau
Fait intéressant à noter : même si la crise n’était qu’une « crise des perceptions », et même si aucune « donnée ne permet d’affirmer que la discrimination serait plus présente au Québec qu’ailleurs », eh bien ça ne veut pas dire, pour Bouchard et Taylor, qu’il ne faille pas en profiter pour élaborer de beaux projets de société prométhéens. Nos deux sages sautent donc sur l’occasion, et recommandent ingénument que l’État bouleverse progressivement l’ordre social, qu’il instaure l’utopie et qu’il accouche de l’homme nouveau. Eh oui! Selon Bouchard & Cie, « il importe donc d’agir en profondeur sur les rapports sociaux, sur les rapports de pouvoir, en conformité avec les exigences de ce que nous avons appelé le pluralisme intégral. » Et tout ça est très assumé : le dernier passage est même en gras dans le rapport.
Pluralisme intégral? Comme c’est mignon! L’« individu minoritaire discriminé » remplace ainsi le « prolétariat structurellement floué », et le « pluralisme intégral » se dévoile soudainement comme une nouvelle promesse de lendemains qui chantent, comme une nouvelle utopie qui, bien évidemment, requerra pour sa réalisation le financement d’une immense avant-garde éclairée destinée à prêcher la bonne parole et à décréter les bons règlements depuis des niches institutionnelles, communautaires et académiques aussi grasses que blindées. Et évidemment, Bouchard et Taylor soutiennent textuellement qu’on ne sait pas vraiment en quoi consiste l’«interculturalisme», prouvant ainsi que ce n’est qu’un simple prétexte à la tentative de concrétiser à large échelle des fantasmes intellectuels en dernière instance aussi vides qu’éthérés.
En perspective : des lois, des lois et encore des lois, le tout parallèlement à l’étatisation bien-pensante de la totalité du champ sociétal. Selon Bouchard & Taylor, il s’agit entre autres « pour l’État de se soucier de promouvoir des orientations et des politiques équitables, sensibles aux inégalités. Les objectifs de croissance doivent toujours faire place à une sensibilité sociale. L’État dispose aussi de quelques moyens de discipliner les entreprises. » L’éloge bouchardo-taylorien de cette « sensibilité sociale » va jusqu’à faire un baisemain au syndicalisme québécois, qui rappelons-le, est l’un des plus protégés et des plus omniprésents de la planète. Pourquoi le syndicalisme québécois doit-il être maintenu et encouragé? Eh bien parce que la notion même de convention collective, en visant « à obtenir les mêmes droits pour tous les membres », est selon nos deux éminences intrinsèquement antiraciste, ce qui nous amène au plus profond du tréfonds des choses : moins les individus d’une société sont libres de leurs choix et mouvements, moins il y a de discrimination, car moins s’offre à l’individu la possibilité même de «discriminer».
Dans le rapport Bouchard-Taylor, le concept d’égalité n’est jamais conceptualisé en tant qu’égalité devant la loi, mais plutôt, à la sauce Québec Solidaire, en tant qu’égalité de fait, en tant qu’égalité de niveau de vie, en tant qu’une égalité matérielle devant être proactivement implantée dans le tissu social à l’aide de l’appareil d’État. Pour nous inspirer, ils vantent même les « pratiques de partage » des autochtones ainsi que le supposé « égalitarisme qui imprègne la tradition des Québécois d’origine canadienne-française. » Et vous l’aurez deviné : Bouchard et Taylor adéquatent benoîtement réussite financière et éducation, évacuant l’évidence transhistorique selon laquelle les différences culturelles ont un impact net sur la prospérité et la réussite matérielle, dixit Weber.
En résultante, dans le merveilleux château de sable de Bouchard et Taylor, si un doctorant algérien en écologie n’obtient pas son 60k avec sécurité d’emploi à vie, c’est qu’il est assurément victime d’une discrimination systémique infernale qui, bien évidemment, se devra d’être réglée à coups de lois, de programmes, de subventions, de crédits d’impôt, de comités plurisectoriels et de discrimination positive multifacette. Cette approche a même déjà un nom : « l’intégration dans l’égalité ». La victime prévisible de tout ce dadaïsme institutionnel : probablement l’homme québécois de souche, ce privilégié qui en plus de battre des records mondiaux côté suicide pourra dorénavant continuer à le faire en sachant que l’échec de sa vie ira enfin dans le sens d’une plus grande harmonie sociale.
La prise en passant : interdire le néo-libéralisme
Ça peut paraître idiot et totalement décontextualisé, mais pourquoi ne pas profiter de la crise des accommodements pour assurer la pérennité du socialisme d’État tout en offrant l’intégralité des pouvoirs décisionnels au judiciaire? Et effectivement, c’est bien ce que Bouchard et Taylor ont fait à travers cette incroyable recommandation : « Il importerait également que l’État renforce les droits économiques et sociaux déjà garantis par la charte en leur assurant une primauté sur toute législation québécoise au même titre que les droits civils et politiques (articles 1 à 38), ce qui n’est pas le cas présentement. »
Qu’est-ce que tout ça veut donc dire? Eh bien tout simplement que la Commission Bouchard-Taylor recommande l’abolition radicale de toute la tradition politique libérale occidentale, et ce, telle qu’on la connaît depuis au moins Locke. Ainsi, dans le monde béni où se serait concrétisée cette merveilleuse recommandation, vous auriez «le droit inaliénable» que l’État vous fournisse un emploi, «le droit» que l’État vous soigne, «le droit» que l’État vous loge, etc. En d’autres termes, vous auriez tout simplement «le droit» au socialisme. En conséquence, le fait même de ne pas être un social-démocrate mur-à-mur serait ainsi en contradiction avec la charte, et donc inconstitutionnel. Conclusion pratique ultime de cette recommandation bouchardo-taylorienne : l’existence même d’un gouvernement non social-démocrate deviendrait légalement impossible.
Pourquoi cette proposition au beau milieu d’un rapport sur les accommodements raisonnables? Tout simplement parce que nos deux professeurs sont des socialistes finis et des étatistes consommés. Ce à quoi ils aspirent du plus profond de leur âme, c’est d’offrir à une nouvelle race d’intellectuels-chercheurs et d’ingénieurs sociaux patentés un rôle sociétal enfin grandiose, et de donner ainsi sens à la vie d’une caste de crétins instruits. Et en effet, les postes ne manqueront pas quand on pense au management culturel intense et autoritaire que requerra la gestion quotidienne du pluralisme radical, sans oublier ce que demandera en matière grise l’actualisation concrète d’une égalité de fait entre les multiples vagues de l’océan toujours grandissant des groupes ethnoculturels analytiquement discernables.
Financer la fabrication du racisme
S’il est une chose qui suinte de toutes les pages de ce merveilleux rapport, eh bien c’est la supposée nécessité, pour l’État, de financer plus que jamais des milliards de groupes communautaires, de regroupements gémissants, d’associations anti-racistes, de groupes de recherche et autres niaiseries. Et croyez-moi, seuls ceux qui ont pu côtoyer ces atrocités de l’intérieur savent de quoi elles sont constituées : hystériques irrationnels, apôtres de la déconstruction de l’Occident, anti-nationalistes psychopathiques, communistes indous égarés, djihadistes mi-instruits, théoriciens du complot, impuissants verbeux, gosses de riches en révolte holistique, étudiants en études postcoloniales et autres monstruosités.
Plus il y aura de gens payés pour percevoir du racisme et de la discrimination, eh bien plus il y aura de racisme et de discrimination. Plus il y aura de gens subventionnés pour démontrer que des minorités sont opprimées par des majorités, eh bien plus il y aura de minorités opprimées. Les associations de gémisseurs et les théoriciens du Bien inventent activement les maux qu’ils dénoncent pour obtenir le remède qu’ils souhaitent. Et étant des crétins sans nom, ils ne savent probablement même pas que ce qu’ils veulent n’est en dernière instance rien d’autre qu’un grand goulag où une rectitude politique et mentale déferlante imprimera sa tendance jusqu’en la dernière parcelle de nos institutions, de notre vie culturelle et de nos propres consciences.
La dictature de l’harmonie
Léo Strauss, un penseur parmi les plus humbles, avait autrefois affirmé que nos sociétés libérales contenaient malheureusement en elles-mêmes le germe de leur propre destruction. Absorbées progressivement par leur idéal de tolérance, elles finiraient par ne glorifier qu’une seule et unique vertu, soit l’harmonie et la gentillesse généralisée, oubliant ainsi les vertus plus profondes qui seules savent pourtant fonder et rehausser l’âme d’un individu comme d’un peuple. L’amour-propre lui-même en viendrait à être considéré comme un vice, tandis que des élites aveuglées ne verraient plus la vertu que dans l’harmonie, la gentillesse, l’ouverture ainsi que dans l’acceptation non critique de tout et n’importe quoi. Avec la paix et l’harmonie sociale comme seules valeurs, comme seul projet de société, comme seul horizon, l’homme idéal des derniers jours ne pourrait logiquement être rien d’autre qu’un agneau bucolique insignifiant, incapable de porter un jugement moral sur quoi que ce soit, incapable d’affirmer quoi que ce soit, incapable d’être quoi que ce soit. Une pure ouverture à l’Autre. Un pur néant.
Le projet politique contenu dans le rapport Bouchard-Taylor incarne la vision d’un Québec ouvert car insignifiant, d’une société harmonieuse car informe et insipide, d’un citoyen ouvert d’esprit car incapable de juger, et surtout d’un avenir collectif qui en dernière instance ne sera l’avenir de rien ni de personne. Et à la base de la vision politique de Bouchard et Taylor, on ne retrouve rien d’autre qu’une mise à jour du bon vieux projet pastoral de la gauche dure : celui d’une élite éclairée qui, guidée par ses fantasmes et mirages, utilise ce monstre froid qu’est l’État pour se fabriquer activement et mécaniquement une population aussi nouvelle que totalement synthétique. Bouchard, Taylor ainsi que leurs clones sont des artistes, l’appareil d’État est leur pinceau et la population québécoise de demain leur belle œuvre d’art. Que dire de plus? Probablement que ça n’aura jamais eu lieu, l’histoire étant toujours beaucoup plus impétueuse qu’on ne l’avait prévu, du moins tant qu’il y a des impétueux pour la faire.