D’une part, en établissant des liens avec les Frères Musulmans, les leaders du Qatar s’assurent, au moins temporairement, que les islamistes n’interviendront pas dans les affaires de leur pays. D’autre part, ils se positionnent pour bénéficier de la prise du pouvoir par les islamistes dans la région au plan économique et politique.
RÉSUMÉ – D’une part, en établissant des liens avec les Frères Musulmans, les leaders du Qatar s’assurent, au moins temporairement, que les islamistes n’interviendront pas dans les affaires de leur pays. D’autre part, ils se positionnent pour bénéficier de la prise du pouvoir par les islamistes dans la région au plan économique et politique.
Original English version on The National (United Arab Emirates) via GMBDR
Traduction française de Point de Bascule d’un article publié par The National (Émirats arabes unis) et repris par GMBDR
L’article est d’abord paru en anglais sous le titre Qatar’s Ties with the Muslim Brotherhood Affect Entire Region. Son auteur, Dr. Ahmad Jamil Azem, est un visiting fellow à la Faculté des études asiatiques et moyen-orientales de l’Université de Cambridge.
L’alliance entre les Frères Musulmans et le Qatar est devenu un facteur digne de mention dans la reconfiguration du Moyen-Orient. Il existe différentes facettes à cette relation changeante qui s’approfondit.
Les Frères Musulmans n’interviennent pas dans la politique qatari
D’abord, notez que la confrérie est très peu impliquée dans les affaires domestiques du Qatar. L’arrangement entre les deux parties est semblable à celui qui existe entre le Qatar et al-Jazeera, la plus importante chaine de télé arabe basée à Doha. La station couvre les événements qui surviennent dans le monde arabe mais elle s’abstient d’aborder les événements controversés au Qatar même.
En tant qu’organisation formelle, les Frères Musulmans se sont dissous au Qatar en 1999. Jasim Sultan, un ancien membre de l’organisation au Qatar, a expliqué dans une interview télévisée que cette décision était justifiée puisque l’État y accomplit ses devoirs religieux.
M. Sultan supervise les activités du projet al-Nahdha (Renaissance) impliqué dans la formation (de militants), la publication (de documents) et l’organisation de conférences sur l’activisme politique. En août dernier, il a écrit un article demandant aux islamistes égyptiens de modifier leur discours et de commencer à parler de partenariat plutôt que de se concentrer sur «l’infiltration de la société pour la contrôler». M. Sultan enseigne à des islamistes d’Égypte et d’autres pays comment opérer au sein des institutions en régime démocratique.
Les liens entre le Qatar et les Frères Musulmans établis grâce à des relations personnelles
Le deuxième point d’intérêt au sujet du Qatar et des Frères Musulmans c’est que leur relation a été établie et s’est développée essentiellement grâce à des relations personnelles. Doha, la capitale du Qatar, héberge plusieurs activistes. Elle leur fournit un refuge et du travail.
Youssef Qaradawi (Yusif Al Qaradawi), un citoyen qatari originaire d’Égypte en est un bon exemple. Il dirige l’International Union of Muslim Scholars (IUMS) et son émission de télévision sur la charia a fait de lui une vedette d’al-Jazeera. Sa relation actuelle avec les Frères Musulmans n’est pas claire mais il en a été une figure dirigeante et il est grandement respecté par ses membres partout à travers le monde.
Une photo récente de Qaradawi avec le premier ministre du Hamas, Ismail Haniyeh, témoigne de son statut. Le Hamas est l’aile palestinienne des Frères Musulmans. On peut voir M. Haniyeh qui s’incline et baise la main de Qaradawi en signe de respect.
Pour mieux comprendre le rôle de cette alliance entre les islamistes et le Qatar, regardez cette Académie du changement (Academy of Change) dirigée par Hisham Mursi, un pédiatre égyptien qui détient la citoyenneté britannique mais qui vit à Doha. Les médias l’ont identifié comme le gendre de M. Qaradawi.
M. Mursi a été actif dans la révolution en Égypte depuis le tout début. Quand il fut arrêté au début des manifestations, les sites des Frères Musulmans ont fait campagne pour qu’il soit relâché. Son organisation accorde un intérêt particulier aux tactiques non violentes de protestation. Mursi a écrit des livres sur le sujet. Il reconnait sur le site internet de l’Académie du changement que la coopération avec M. Sultan a été bénéfique à son mouvement.
Un autre exemple de liens personnels implique Rafiq Abdulsalaam, le ministre tunisien des Affaires étrangères. C’est le gendre de Rachid Ghannouchi, le leader du Ennahda tunisien, la section locale des Frères Musulmans. M. Abdulsalaam a été le responsable de la section des études et de la recherche au centre d’al-Jazeera à Doha.
Le Libyen Ali Sallabi est un autre leader des Frères Musulmans qui entretient des liens avec le Qatar. Sallabi a été décrit en décembre dernier par le Washington Post comme le «principal architecte de ce qui sera vraisemblablement le prochain gouvernement libyen». M. Sallabi a vécu au Qatar durant de nombreuses années.
Le Qatar fournit un appui diversifié aux Frères Musulmans
En troisième lieu, il est important de comprendre ce que le Qatar fournit aux Frères Musulmans. Il y a de fortes indications que le pays les aide au niveau du travail avec les médias, de la formation politique et du financement. Le rôle joué par les individus mentionnés précédemment en fournit une preuve circonstancielle. De plus, des membres importants d’al-Jazeera ont eu – et maintiennent – des rapports très étroits avec les Frères Musulmans. Parmi eux, on compte leur ancien gérant-général Waddah Khanfar, le responsable de leur bureau d’Amman, Yasser Abu Hillaleh, et le présentateur à la télévision égyptienne, Ahmad Mansur.
En août dernier, Nevin Mus’ad, une professeure de Sciences politiques à l’Université du Caire, a exprimé sa surprise au quotidien égyptien al-Shorouq après avoir appris que l’Université offrait de la formation sur la démocratie et les droits humains organisée par le Comité national sur les droits humains du Qatar (National Human Rights Committee of Qatar). Elle a déclaré que des hommes barbus portant le jilbab (costume islamique) étaient responsables d’accueillir les participants vêtus également, pour la plupart, à l’islamique. Les femmes étaient voilées.
En Libye, M. Sallabi qui est connut pour ses liens avec M. Qaradawi, a déclaré aux journalistes qu’il avait demandé de l’aide aux autorités qataris au début de la révolution en Libye.
L’an dernier, al-Akhbar, un journal libanais proche du Hizbollah (l’allié fidèle de Damas), a déclaré que des tensions sont apparues entre le Qatar et le régime syrien lorsque Doha a tenté de convaincre le président syrien Bashar al-Assad de former un conseil de direction intérimaire qui inclurait les Frères Musulmans.
Ce que le Qatar gagne de sa relation avec les Frères Musulmans
Pour comprendre l’alliance Qatar-Frères Musulmans, il est utile de prendre un quatrième facteur en considération. C’est ce que le Qatar peut gagner d’une telle relation.
D’abord, cette relation assure les leaders du pays que les islamistes ne critiqueront pas leurs politiques et qu’ils ne s’impliqueront pas dans la politique locale. Deuxièmement, les islamistes s’apprêtant à prendre le pouvoir dans plusieurs pays, les Qataris se positionnent pour recevoir un traitement économique et politique favorable dans chacun de ceux-ci. Troisièmement, ils pourraient servir d’intermédiaires entre les islamistes et leurs rivaux et également entre les islamistes et l’Occident. Ainsi, on s’attend à ce que les Talibans d’Afghanistan ouvrent un bureau au Qatar. De tels développements permettent au Qatar d’augmenter son influence internationale.
Références supplémentaires
Slate.fr (6 juin 2011) : Comment le Qatar a acheté la France (et s’est payé sa classe politique)
The Guardian (6 décembre 2010): WikiLeaks cables claim al-Jazeera changed coverage to suit Qatari foreign policy
Point de Bascule (18 janvier 2012) : Tariq Ramadan dirigera un nouveau centre de recherche sur la charia financé par le Qatar et endossé par Youssef Qaradawi
Université McGill (26 mars 2012) : L’Institut d’études islamiques de McGill reçoit un don de 1,25 M $ de l’État du Qatar
Point de Bascule (29 mars 2012) : La France interdit l’entrée sur son territoire des leaders des Frères Musulmans invités par la MAC au Canada dans le passé