De passage au Québec en mai dernier dans un dessein tout féministe: elle avait été invitée par des historiens à participer au colloque «Femmes, culture et pouvoir» organisé par l’université de Sherbrooke et auquel participait Micheline Dumont, la grande spécialiste de l’histoire des femmes.
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«J’ai lu les textes fondateurs — la Charte de création du Maghreb est énorme! –, mais je n’ai pas trouvé un seul mot sur les femmes. J’ai donc fait ma Micheline Dumont en disant que le problème de ces pays, c’était l’absence des femmes», a indiqué Mme El-Khayat qui ne manque pas une occasion de débattre des questions féministes, son dada.
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La faute des femmes? N’empêche, les femmes ont leurs torts, croit-elle. «Le Maghreb se débat dans des difficultés effrayantes à cause des femmes. Ce sont les femmes qui le tirent vers le bas.» Cette déclaration plutôt choquante, c’est Ghita El-Khayat qui l’avait prononcée publiquement il y de cela plusieurs années. Aujourd’hui, elle n’en pense pas moins la même chose, mais elle s’explique. «Je parlais des femmes conservatrices. Ce n’est pas uniquement le problème des Maghrébines, c’est celui du monde entier», souligne-t-elle. «Pendant 35 000 ans, nous avons été prises dans un patriarcat qui nous humiliait au Maghreb. Mais, sans ces vieilles femmes extrêmement conservatrices, le patriarcat masculin se serait effondré depuis longtemps. Ces femmes ne se sont jamais élevées contre le mariage d’une fille de 15 ans qui, à sa nuit de noces, se fait sauter dessus par un type qu’elle n’a jamais vu. Pour moi, c’est un viol consenti. […] Et moi, pour l’avoir subi, je parle de terreur», souffle-t-elle.
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Ghita El-Khayat insiste: elle sait de quoi elle cause. Elle qui dit être la petite-fille d’un «taliban dans l’âme», un homme qui disait que la musique ne s’écoute qu’au paradis. Née en 1944 sous le colonialisme français, d’un père bilingue et d’une mère analphabète qui a été battue parce qu’elle apprenait à lire en cachette, elle est allée à l’École moderne, celle des filles de notables dont le gouvernement français se servait pour mener à bien son protectorat. Puis, elle a atterri en Europe, où elle a regretté d’être restée aussi longtemps colonisée. «J’avais cette aptitude à l’excellence scolaire, et c’est ce qui m’a sauvée. J’ai pu casser la barrière de la pauvreté pour vivre l’ascension sociale», dit celle qui a maintenant quatre doctorats, dont un en anthropologie et en médecine aéronautique. À cette époque, le féminisme battait son plein. Elle a pu choisir ses combats qu’elle mène encore «parce que tout n’est pas acquis.»
Selon elle, ce changement a été timidement amorcé dans l’histoire par les gestes posés par certains hommes, notamment Tahar Haddad, un syndicaliste tunisien mort en 1935, seul et persécuté, car il avait fait une thèse à l’Université traditionnelle sur l’abolition de la polygamie. Le roi d’Afghanistan Mohammad Zahir Shah, mort récemment, est un autre exemple: il a été destitué, car en 1973, il avait demandé que toutes les femmes de la famille royale et les épouses des membres du gouvernement aillent à l’université publique dévoilées. Les féminismes d’État, dont celui d’Atatürk en Turquie, d’Habib Bourguiba, qui a donné des droits révolutionnaires aux Tunisiennes, et celui du roi marocain Mohammed V, qui a laissé sa fille aînée, Lalla Aïcha, prôner publiquement l’émancipation des femmes, ont également contribué à l’avancement de la cause.
Pour en finir avec le voile
Lors du passage au Québec de Mme El-Khayat, la polémique autour de la question du voile venait d’être relancée après les déclarations de la Fédération des femmes du Québec, doublée de celle de la ministre de la Culture et de la Condition féminine, Christine St-Pierre, en faveur du «libre choix» concernant le port du voile et autres signes religieux. Pour la militante féministe, faire une telle déclaration d’appui au port du voile, c’est faire montre d’une profonde méconnaissance du problème (…)
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