Pourquoi les médecins américains mutilent-ils les filles?
Par Ayaan Hirsi Ali
Publié dans The Daily Beast le 20 mai 2010
Why Are American Doctors Mutilating Girls?
The Daily Beast, May 20th 2010
Original English version: click [HERE]
Note de PdeB:
L’auteure de l’article, Ayaan Hirsi Ali, est née en Somalie en 1969. Dans le but de fuir un mariage arrangé par sa famille avec un cousin vivant au Canada, elle se réfugia aux Pays-Bas en 1992. Après avoir travaillé auprès d’immigrantes somaliennes, elle fut éventuellement élue députée dans son pays d’adoption. En 2004, elle produisit avec Theo van Gogh le film Soumission consacré à la condition de la femme dans l’islam. En novembre de la même année, van Gogh fut assassiné par un islamiste. Le meurtrier planta un couteau dans le corps de sa victime, auquel était attachée une lettre destinée à Hirsi Ali annonçant qu’elle serait sa prochaine cible. Suite aux nombreuses menaces de mort dont elle fit l’objet aux Pays-Bas et aux difficultés d’assurer sa protection, Ayaan Hirsi Ali s’installa aux États-Unis. Elle travaille présentement pour l’American Enterprise Institute, un groupe de réflexion américain.
Hirsi Ali a publié l’article qui suit en mai 2010 en réponse à une proposition de l’American Academy of Pediatrics (AAP – l’Académie américaine de pédiatrie) qui envisageait d’autoriser ses membres à pratiquer une incision symbolique du clitoris (ceremonial pinprick) en guise de solution alternative à l’excision complète dont sont souvent victimes les jeunes filles immigrantes originaires de pays d’Afrique et d’Asie.
Un mois après qu’Ayaan Hirsi Ali et d’autres critiques se soient objectés au concept d’excision symbolique, l’AAP abandonna son projet. Son article n’en est en pas moins toujours pertinent car il examine bien l’aspect technique des mutilations génitales. Ayaan Hirsi Ali fut elle-même victime de ce type de mutilation à l’âge de cinq ans.
Adaptation française du texte d’Ayaan Hirsi Ali par Étienne Harvey
L’American Academy of Pediatrics (AAP – l’Académie américaine de pédiatrie) a récemment mis de l’avant une proposition concernant la mutilation génitale des jeunes filles. L’AAP propose d’autoriser les médecins américains à procéder à des incisions symboliques sur les filles qui proviennent de communautés où l’on pratique ces mutilations génitales.
La circoncision féminine consiste à couper les parties génitales des fillettes. Elle est pratiquée dans de nombreux pays d’Afrique et d’Asie. On peut dénombrer essentiellement quatre types de procédures.
La première procédure consiste en une incision symbolique. C’est ce que l’AAP appelle l’option de la perforation (the “nick” option). Pour vous donner une idée de ce que cela signifie, imaginez-vous une fillette préadolescente que des adultes maintiennent de force sur le dos. Le clitoris de la fillette est alors pincé par la femme qui procède à l’opération de façon à ce qu’elle puisse le tenir entre son pouce et son index. Puis, la femme prend une aiguille et la pousse avec assez de force pour que celle-ci pénètre jusqu’à l’extrémité du clitoris. Aussi tôt qu’il y a saignement, les parents et les autres invités à la cérémonie se réjouissent, la fillette est réconfortée et les célébrations commencent.
Le terme «nick » comporte également un sens plus sinistre car dans certains cas il signifie couper l’extrémité du clitoris. Les supporteurs de cette opération la comparent au rituel de la circoncision chez les garçons. Dans le cas des garçons cependant, c’est le prépuce qu’on enlève et non pas une partie du gland du pénis. Dans le cas des filles, c’est bel et bien le clitoris lui-même qui est mutilé.
Le second type de procédure consiste à couper une partie importante du clitoris et à pratiquer une suture de l’ouverture du vagin (infibulation).
La troisième procédure ajoute à l’opération précédente la coupe des petites lèvres (lèvres internes) à l’entrée du vagin.
Finalement, il y a une quatrième procédure en vertu de laquelle on coupe le clitoris autant qu’on peut en plus de couper les petites et les grandes lèvres. Les parois internes du vagin sont par la suite grattées jusqu’à ce qu’elles saignent puis elles sont attachées avec des épingles ou des épines. Les tissus des deux côtés du vagin finissent par se toucher et une épaisse cicatrice se forme. On laisse deux petites ouvertures d’un diamètre comparable à celui d’une allumette pour l’écoulement de l’urine et des menstruations.
Souvent ces opérations sont pratiquées sans anesthésie, avec des instruments comme des roches effilées, des lames de rasoirs, des couteaux et des ciseaux selon le lieu de l’opération, le revenu de la famille et le niveau d’éducation des parents. Dans les circonstances, il est donc beaucoup plus indiqué de parler de «mutilation génitale » comme le fait l’Organisation mondiale de la santé (OMS) plutôt que de « circoncision », un terme vague à connotation positive.
Selon l’American Congress of Obstetricians and Gynecologists (le Congrès américain des obstétriciens et des gynécologues), plus de 130 millions de filles et de femmes ont subi une forme ou une autre d’excision à travers le monde. Des parents ayant émigré de pays comme l’Égypte, le Soudan et la Somalie vers l’Europe et les États-Unis continuent de pratiquer les mutilations génitales même s’ils savent qu’elles constituent des infractions criminelles. Durant les longues vacances d’été, certains parents font sortir leurs filles à la sauvette du pays où ils ont immigré pour qu’elles soient soumises ailleurs à une forme ou une autre de mutilation génitale.
Joseph Crowley, un représentant démocrate de l’État de New York au Congrès, a récemment présenté un projet de loi visant à criminaliser l’envoi de jeunes filles outremer pour leur faire subir des mutilations génitales. Il soutenait, avec raison, que ces mutilations n’apportent aucun bienfait médical et qu’elles doivent demeurer illégales aux États-Unis.
Tout en reconnaissant cette absence de bienfait médical, l’AAP soutient que la législation fédérale actuelle a eu pour conséquence d’inciter des familles à envoyer leurs filles à l’étranger pour leur faire subir des mutilations génitales. Les pédiatres soutiennent que «ce pourrait être plus efficace si les lois fédérales et celles des états permettaient aux pédiatres de contacter les familles afin de leur offrir l’incision symbolique comme solution de compromis permettant d’éviter un plus grand mal ».
Est-ce une solution réaliste? Je crains que non.
Je suis familière avec ce débat de deux façons. D’abord je proviens d’une culture où presque toutes les femmes ont subi l’excision. J’avais cinq ans quand on m’a coupée et cousue. Deuxièmement, en tant que députée aux Pays-Bas, j’étais responsable du dossier de l’émancipation et de l’intégration des femmes immigrantes. Une de mes tâches était précisément de combattre des pratiques comme celles des mutilations génitales.
Pour bien comprendre le problème, il est essentiel de partir de la motivation des parents. Ceux qui plaident pour l’incision symbolique la présente comme un rituel de purification. Le clitoris constituerait une partie impure du corps de la fillette et le faire saigner contribuerait à le purifier et à la libérer des esprits maléfiques.
Dans la majorité des cas cependant, les filles sont mutilées pour assurer leur virginité. C’est la raison derrière la suture de l’ouverture du vagin. Elles sont également mutilées pour diminuer leur libido et pour garantir leur fidélité sexuelle après le mariage. C’est le but poursuivi par l’élimination du clitoris et par celle des lèvres. Pensez à l’opération comme à une burqa génitale destinée à contrôler la sexualité des femmes.
Quand les mutilations génitales sont pratiquées pour assurer la chasteté pré-maritale et pour diminuer la libido des femmes, l’incision symbolique ne peut pas suffire.
Dans les démocraties libérales occidentales, les mutilations génitales sont illégales et la perforation symbolique n’aidera d’aucune façon à détecter les actes de mutilation. Peu de gens coupables d’avoir pratiqué ces mutilations génitales doivent faire face à la justice. Même si on devait tolérer l’excision dans sa variante la moins envahissante, qu’est-ce qui empêcherait les parents qui veulent s’assurer de la virginité de leur fille de recourir à la perforation symbolique (légale) et quelques mois plus tard de la faire infibuler (illégalement)? J’applaudis l’attitude de compassion derrière la proposition des pédiatres mais ceux-ci devraient plutôt chercher à éliminer le risque que les petites filles soient soumises à des mutilations génitales.
La législation n’est qu’une première étape et même là on peut constater qu’il existe de grandes disparités entre les lois des différents états américains sur le sujet. Certains états ont adopté des lois qui définissent toutes les procédures de mutilation génitale et les punissent. D’autres n’ont aucune loi spécifique et font tomber ces mutilations sous le coup de lois générales qui interdisent les mauvais traitements aux enfants. La prochaine étape pour le représentant Crowley devrait être de plaider pour que son projet de loi soit appliqué de façon uniforme à travers les États-Unis.
Ceci étant dit, même si on règle la question des lacunes de la loi, celle de la détection des actes de mutilation génitale demeure. Car pour qu’une loi puisse contribuer à éliminer les mutilations génitales, il est essentiel de pouvoir déterminer quand une fillette a été mutilée. En tant que députée des Pays-Bas affectée à ce dossier, c’était la principale difficulté à laquelle je faisais face. Aux États-Unis, les libertés individuelles jouissent d’encore plus de protection. La détection des mutilations génitales est donc encore plus difficile.
Note de Point de Bascule:
L’article d’Ayaan Hirsi Ali fut publié simultanément à un autre article qui était consacré aux justifications apportées par des exégètes de l’islam aux mutilations génitales. Les deux articles furent précédés d’une présentation générale.
Présentation générale des deux articles sur les mutilations génitales féminines. Cliquez [ICI]
Quand les «savants musulmans » justifient les mutilations génitales féminines. Cliquez [ICI]