Les diplomates l’ont appris jeudi soir. Les Etats-Unis se retirent du Conseil des droits de l’homme (CDH) des Nations unies. Le coup est rude pour l’institution basée à Genève et créée au printemps 2006 pour remplacer la Commission des droits de l’homme. Washington a toujours été critique à l’égard d’une instance onusienne qu’il aurait aimé davantage un club des démocraties qu’une enceinte multilatérale où les plus vertueux côtoient les Etats les moins respectueux des droits de l’homme. Le retrait américain peut paraître anodin, les Etats-Unis n’occupant qu’un rang d’observateur au CDH. Mais le rôle qu’ils ont joué jusqu’ici allait bien au-delà de ce statut.
Même si Washington a refusé à deux reprises d’être membre du CDH, l’ambassadeur Warren Tichenor avait joué un rôle important lors de la mise en place des institutions du Conseil. Lors de la séance décisive de juin 2007, il avait fait à deux reprises irruption dans le bureau du président du CDH d’alors, le Mexicain Luis Alfonso de Alba. Il était de notoriété publique que la délégation américaine poussait certains Etats, dont le Canada, la République tchèque voire la Pologne à torpiller le consensus au moment d’adopter le projet d’institution pour le nouveau CDH.
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A Genève, personne n’a vu venir la nouvelle. D’autant que rien n’a fondamentalement changé au Conseil des droits de l’homme. Même à la Mission américaine auprès de l’ONU, on attendait le feu vert de Washington pour communiquer en vain. On se contente d’un no comment. Les raisons de ce désengagement formel restent obscures. Berne n’a reçu aucune notification écrite. Ce n’est que par téléphone que l’information aurait été diffusée.
Les Etats-Unis ont certes toujours été critiques du fonctionnement du CDH et de sa sélectivité à l’égard d’Israël. Leur volonté de retrait surprend néanmoins. Au sein de l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch, Sébastien Gillioz ne cache pas sa consternation: «C’est une grosse déception. Est-ce le dernier coup de l’administration Bush? Ce retrait risque de donner raison aux révisionnistes, à ceux qui veulent des droits de l’homme à la carte.» Autre hypothèse: la décision de retrait du CDH, qui semble venir directement de Washington, pourrait avoir un lien avec la campagne présidentielle. Ce serait une manière de miner le terrain du démocrate Barack Obama, qui a tenu des propos pro-israéliens sur Jérusalem mercredi (lire ci-dessous).
Il y a quelques mois, des émissaires américains étaient venus à Genève pour sonder le terrain. Et pour avancer, de façon un peu provocatrice, que Washington pourrait tout à fait vivre sans CDH, avec le Haut-Commissariat aux droits de l’homme et la IIIe Commission de l’Assemblée générale de l’ONU à New York, chargée des droits de l’homme. Aujourd’hui, même la conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey reconnaît qu’entre New York et Genève, des réglages s’imposent. En juin 2007, les Etats-Unis refusaient la visite de cinq rapporteurs spéciaux du CDH à Guantanamo, arguant qu’ils ne pouvaient pas les laisser interviewer des détenus à huis clos.
Ambassadeur de Suisse auprès de l’ONU, Blaise Godet prend acte de la décision américaine. Il continue néanmoins de croire qu’une «participation active des Etats-Unis ne ferait que renforcer la légitimité et la crédibilité du Conseil des droits de l’homme». Le retrait de Washington risque cependant de polariser davantage encore le CDH. Human Rights Watch pour sa part le répète: «Il n’y a pas d’alternative au Conseil.»
Voir aussi:
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