Libre opinion – L’indignation sélective
Par le Dr Mark Wainberg – Directeur du Centre du sida McGill, Hôpital général juif de Montréal, et membre du Congrès juif québécois
Le Devoir, le 12 août 2010
Le 15 août prochain, dans une ambiance festive et colorée, le rejet de la discrimination sera au cœur du défilé annuel de la Fierté de Montréal. Depuis plusieurs années, Montréal et le Québec sont au premier rang du combat pour la reconnaissance des droits de la communauté LGBT (lesbiennes, gais, bisexuels et transgenres) et de la lutte contre l’homophobie.
Malheureusement, certains groupes, tels les Queers contre l’apartheid israélien (QAIA), entendent assombrir cet instant de communion et instrumentaliser le défilé afin de promouvoir des messages contraires à l’esprit de tolérance et d’humanité qui président cette manifestation.
Quel que soit le regard porté sur la politique israélienne et les désaccords que l’on peut avoir sur celle-ci – comme lors de l’attaque contre une flottille humanitaire -, force est de constater que ce pays reconnaît les droits des minorités sexuelles et que, pour paraphraser Shimon Peres, président de l’État d’Israël et Prix Nobel de la paix, tous ses citoyens sont libres d’être ce qu’ils sont, d’être différents et fiers.
Malheureusement, les QAIA préfèrent une indignation sélective à des indignations successives. Une telle posture révèle leur hypocrisie.
L’homophobie d’État
Le 11 juin dernier, plus de 100 000 personnes ont défilé dans une atmosphère empreinte d’allégresse lors de la Fierté gaie de Tel-Aviv. Mais, adeptes des révoltes à géométrie variable, les QAIA préfèrent dénoncer une oasis de liberté même imparfaite que regarder du côté de Damas, Djakarta et ailleurs, où l’homosexualité reste un délit passible de prison et de flagellation. Pire, sa posture révèle son imposture. En restant volontairement aveugle à la stigmatisation, à la discrimination et à la culture de morts qui prévaut à Téhéran, cette organisation fait obstacle à l’accessibilité des soins et à l’efficacité de la prévention du VIH, constituant ainsi un obstacle dans la lutte contre cette terrible maladie.
Enfin, loin de promouvoir la paix, ce regroupement consacre la discrimination et préfère rester sourd au sort des minorités sexuelles des 76 États membres des Nations unies qui institutionnalisent une culture de discrimination en criminalisant les relations homosexuelles. Comment expliquer autrement qu’un regroupement qui prétend défendre les droits des LGBT reste, dans les faits, aphone en ce concerne l’homophobie d’État du Soudan, du Yémen, de l’Arabie Saoudite ou du Nigeria, qui appliquent la peine de mort? Voilà un silence parlant.
Respect de la différence
Les QAIA seraient plus inspirés de distiller l’espoir en rappelant que la coexistence est possible et que le conflit du Moyen-Orient n’est pas une fatalité. De réaffirmer inlassablement qu’Israéliens et Palestiniens ont un droit égal à la souveraineté, à la dignité et à la sécurité. De soutenir le combat des milieux progressistes et laïcs arabes, qui dénoncent l’impérialisme idéologique du Hamas et du Hezbollah. De soutenir le président Mahmoud Abbas lorsqu’il rappelle une évidence: « Les gens du Hamas ont risqué la vie du peuple […], le sang du peuple, la destinée du peuple, le rêve et l’espoir du peuple d’établir un État palestinien». Malheureusement, nos hérauts préfèrent demander aux Québécois ce qu’ils peuvent faire contre une démocratie plutôt que ce qu’ils peuvent faire pour la paix dans une région asséchée par les régimes autoritaires.
Les communautés juive et homosexuelle partagent une empathie naturelle qui repose sur une histoire faite de discriminations. La communauté juive n’oubliera jamais ses frères ostracisés sous le joug nazi par le port du triangle rose. En manifestant sa solidarité avec ceux et celles qui, au XXIe siècle, n’ont pas la liberté de vivre pleinement leur identité, le Congrès juif québécois ne fait que renouveler le soutien fraternel de la communauté juive. De nombreux membres des communautés LGBT vivent à Montréal ou Tel-Aviv pour fuir les persécutions et les discriminations, afin de vivre pleinement leur vie dans des sociétés qui acceptent la pluralité des sentiments. Le Québec et Israël acceptent la diversité des orientations sexuelles et des identités de genres. Le 15 août, ne laissons pas le défilé être détourné de son objectif: le respect de la différence.
*** Dr Mark Wainberg – Directeur du Centre du sida McGill, Hôpital général juif de Montréal, et membre du Congrès juif québécois
Source: http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/294161/libre-opinion-l-indignation-selective