La journaliste Michèle Ouimet a passé une journée dans un centre de la petite enfance situé en plein coeur de Montréal.
Au centre de la petite enfance Fleur de macadam, on parle de Noël, mais pas de la naissance de Jésus. Les éducatrices se rabattent sur des thèmes neutres, comme le partage et la solitude.
Pas de Jésus. Tabou, trop religieux. On marche sur des oeufs, on ménage les susceptibilités, on manipule avec mille précautions la question explosive des accommodements raisonnables.
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Même précaution pour Pâques. «C’est un sujet délicat, explique Isabelle. On évite la religion. On parle plutôt du printemps, des oeufs et du chocolat.»
L’Halloween, aussi, a ses écueils. «Des parents nous ont demandé de ne pas maquiller leurs enfants, raconte Élisabeth qui s’occupe du groupe des trois ans. On a déjà eu une éducatrice Témoin de Jéhovah qui s’opposait au maquillage.»
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Le casse-tête de la bouffe
Allergies, interdits religieux, végétarisme. Compliqué en diable, la nourriture dans un CPE.
Depuis 18 ans, Carole cuisine les repas pour Fleur de macadam. Premier problème de réglé: tout le monde mange la même chose, personnel et enfants confondus. Depuis septembre, les parents n’ont plus le droit d’apporter des boîtes à lunch.
Deuxième problème: le porc. Il est prohibé. Pas de viande rouge non plus.
Les jours où elle sert du poulet, Carole cuisine quelques plats sans viande. Pour les végétariens, mais aussi pour les éducatrices musulmanes qui refusent parfois de manger du poulet parce qu’il n’est pas halal, c’est-à-dire égorgé selon les préceptes du Coran.
Autre restriction, la gélatine qui est fabriquée avec des os de porc ou de poulet. À éviter dans un CPE fréquenté par des musulmans. «Il y a de la gélatine partout, dit Carole, même dans les yogourts.»
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Le choc des cultures
Pendant le ramadan, les éducatrices musulmanes jeûnent. Délicat.
«Je me sentais tellement mal de leur manger dans la face», confie Johanne qui s’occupe des poupons avec Nadia, une Algérienne qui respecte le ramadan.
Il y a deux ans, Nadia troquait l’Algérie pour le Canada. Elle a atterri dans la ville de Québec. Le choc.
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Au bout d’un an, elle a bouclé ses valises. Direction Montréal. Elle ne l’a jamais regretté. Mais si le gouvernement adopte une loi pour interdire le voile, elle jure qu’elle retournera dans son pays.
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Nadia porte son voile au travail. Lorsqu’elle réussit à grignoter cinq minutes, elle trouve un coin tranquille, déroule une serviette et prie Allah.
Sa compatriote Leila observe le ramadan, mais elle ne met pas de voile. «J’aurais aimé le porter, mais mon conjoint ne veut pas», explique-t-elle.
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Les accommodements raisonnables
Pendant la sieste, quatre éducatrices discutent à voix basse. Mildrid est haïtienne. Elle trouve que les immigrants sont trop exigeants et les Québécois trop mous. «Les gens n’arrivent pas à mettre leur culotte et à dire non à des demandes déraisonnables, comme celle du Y», dit-elle.
Hayate est musulmane. Elle porte le voile. Elle a quitté l’Algérie en 2006. Au début, elle se sentait isolée, perdue. Lorsqu’elle prend l’autobus, elle se fait dévisager, surtout par les vieux. Elle déteste ça. «Ils font le saut, confie-t-elle. C’est mon voile.»
Elle y tient, à son voile. «Je ne peux pas l’enlever, ça fait partie de ma personnalité. Il ne dérange personne!»
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La semaine prochaine, elles fêteront Noël avec les parents et les enfants. Ce n’est pas un souper de Noël, a-t-on tenu à préciser, mais un repas communautaire. Nuance.
Et le père Noël n’est pas invité.