C’était probablement une première pour les Nations Unies. Les délégués du Conseil des droits de l’Homme à Genève ont entendu deux musulmans décrire l’islamisme comme «racisme», et dire que l’OCI (organisation de la conférence islamique) ne parle pas pour la majorité des musulmans dans le monde. Ils ont dénoncé l’OCI avec éloquence, et son bâilleur de fonds l’Arabie saoudite, ainsi que l’Iran et les Frères musulmans. L’un d’eux est le canadien Tarek Fatah, dont nous avons traduit le discours.
Tarek Fatah est le fondateur du Congrès musulman canadien et auteur de Chasing a Mirage: The Tragic Illusion of an Islamic State (Wiley 2008). Tarek Fatah fait partie de ces rares musulmans au pays qui au lieu de s’acharner à islamiser notre société, font plutôt la promotion des valeurs canadiennes de liberté et d’égalité auprès des musulmans du Canada et dans le monde. Fatah a été un partisan du NPD pendant de nombreuses années et a quitté ce parti parce qu’il s’est laissé infiltrer par des islamistes.
Son discours a été livré à la conférence parallèle de l’IHEU, International Humanist and Ethical Union, An analysis and Discussion of Religion and Freedom of Expression at the Human Rights Council, qui s’est tenue au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU le 17 septembre 2008 à Genève. Pour une mise en contexte de cette conférence et des enjeux mondiaux en cause, lisez l’excellent article de fond: Réprimer la liberté d’expression au niveau mondial, par L. Savage, Maclean’s
Traduction de: The OIC does not speak for Muslims
Je m’adresse à vous en tant que musulman qui est né au Pakistan et y a vécu pendant 30 ans puis s’est expatrié en Arabie saoudite où j’ai travaillé pendant 10 ans. Depuis 1987, j’appelle le Canada ma patrie. Comme auteur, journaliste et militant musulman, j’ai vu le rôle et l’agenda tant du djihad violent que du djihad furtif (« soft ») se dérouler sous mes yeux et à travers le monde musulman.
J’aborde la question de la liberté d’expression, inscrite dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, comme défenseur d’un droit précieux auquel peu de mes coreligionnaires peuvent aspirer, et encore moins chérir ou posséder. Nous sommes plus d’un milliard, mais la quasi-totalité d’entre nous vivent sous différentes formes et degrés de dictature et d’oppression. Sauf quelques rares exceptions, comme la Turquie, la Malaisie et l’Indonésie, et, plus récemment, le Pakistan, les musulmans vivent sous la tyrannie de dirigeants comme ceux de l’Iran et de l’Arabie saoudite qui ont utilisé la religion de l’islam comme outil pour garantir leur pouvoir absolu, et fouler aux pieds tous les droits humains de leurs citoyens.
Il ne se passe pas une journée sans qu’on entende parler de violations flagrantes des droits humains des musulmans qui vivent dans ce qu’on appelle les pays islamiques. Qu’il s’agisse du meurtre d’honneur de sœurs ou de mères, du harcèlement des gais et d’appel à leur exécution, de l’emprisonnement d’opposants politiques ou d’attaques sur les minorités, nous les musulmans qui vivent en Occident prenons constamment conscience des droits dont nous jouissons comme êtres humains dans les démocraties parlementaires laïques.
C’est notre vie en tant que musulmans en Occident qui nous pousse à être proactifs et à dénoncer la duplicité de l’OCI qui cherche à diluer la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 et à lui substituer des soi-disant droits de l’Homme islamiques. Nous sommes alarmés par le fait que non seulement la Déclaration des Nations Unies soit attaquée, mais que le Rapporteur sur la liberté d’expression soit mandaté pour faire rapport sur ceux qui sont assez courageux pour remettre en cause des superstitions médiévales qui défient les normes élémentaires de la raison et du rationalisme. Permettre aux États de l’OCI d’être gardiens des droits humains individuels, c’est comme mettre un renard pour garder les poulets.
La vie dans les pays de l’OCI est la raison pour laquelle des millions de musulmans ont fui et se sont réfugiés en Europe et en Amérique du Nord. Nous sommes les témoins de leur échec. Ils gouvernent leurs populations avec un sens de la légitimité qu’ils croient leur être dévolue par Dieu, et des millions de gens souffrent sous leur tutelle. Je vous demande instamment de ne pas vous laisser influencer par l’offensive de charme de ceux qui prétendent à tort parler au nom des musulmans et de l’islam. Ils ne le font pas, et leur bilan parle de lui-même.
Le Guide suprême de la République islamique d’Iran prétend qu’il n’a de comptes à rendre qu’à Allah, et le roi d’Arabie saoudite prétend gouverner au nom de Dieu. Dans le pays voisin, l’Égypte, un dictateur militaire a monopolisé le pouvoir pendant 30 ans, emprisonné ses critiques, et son opposant Ayman Nour continue de pourrir en prison. La différence est que, alors que l’Iran et l’Arabie saoudite oppriment les musulmans au nom de l’islam, le dictateur égyptien agit au nom de la modération parrainée par l’Amérique. Le résultat pour les musulmans ordinaires est le même: l’absence totale de dignité humaine qui ne peut être garantie que si la Déclaration universelle de 1948 est honorée et mise en œuvre à la lettre et dans son esprit.
Le fait de tuer d’autres musulmans au nom de l’islam n’est pas un phénomène nouveau. En 1965, des milices islamistes ont massacré un million de leurs compatriotes en Indonésie. En 1971, les forces armées pakistanaises ont mené un génocide qui a tué un million de Bangladais musulmans au nom de l’islam. En 1979, un islamiste militaire, le général Zia ul-Haq, qui s’est présenté comme le sauveur ultime de l’islam, a pendu le Premier ministre élu du Pakistan. Cinq ans plus tard, les islamistes soudanais et les Frères musulmans ont pendu le grand savant islamique Muhammad Taha Mahmood après l’avoir accusé d’apostasie.
Après avoir étouffé la liberté individuelle et la liberté de pensée et de débat qui inclurait même le droit de discuter de l’islam et de la façon dont il a été utilisé pour opprimer et piller, les islamistes, dirigés par l’Arabie saoudite et l’Iran, ont importé leur agenda au Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies pour légitimer leur idéologie suffocante. Après avoir privé leurs populations des droits auxquels aspire le reste de l’humanité et créé des sociétés en déroute, les islamistes se servent de l’OCI pour valider les crimes qui ont produit des sociétés traumatisées et dysfonctionnelles dans le monde musulman. Nous devons les empêcher de réussir.
En tant que Canadien, je suis profondément fier de la contribution de mon pays à la rédaction de la Déclaration de 1948 de l’ONU. En tant que musulman canadien, je suis conscient du fait que la Déclaration de 1948 m’a donné le droit de pratiquer ma foi comme je l’entends, dans un pays où ma communauté, bien que représentant moins de 3% de la population, est traitée avec égalité.
Pourquoi les musulmans ne bénéficieraient-ils des droits humains et de la liberté de débattre de leur religion que dans les pays où ils forment une minorité, sans jamais pouvoir le faire là où ils forment une majorité? Pourquoi devrais-je craindre pour ma vie pour la seule raison que je demande pourquoi tant de sociétés musulmanes ont échoué en dépit de l’énorme richesse de leurs ressources naturelles?
Aujourd’hui, les mêmes personnes qui ont détruit les droits de l’homme avec une poigne de fer là où ils gouvernent, et opprimé les musulmans sous leur règne, ont l’audace de se présenter devant les Nations Unies et de demander que leurs politiques ignobles soient validées par le Conseil des droits de l’homme et que toute personne qui ose critiquer les principes en vertu desquels ils gouvernent comme monarques absolus, dictateurs ou gardiens d’Allah auto-proclamés, soient censurée. Cela ne doit pas se produire. En tant que musulman, je vous demande instamment de ne pas abandonner les millions de musulmans qui n’ont pas de voix.
De suggérer que toute critique de l’islamisme, l’idéologie politique des Frères musulmans et des ayatollahs iraniens, est anti-islamique, est une affirmation fausse et frauduleuse. Je soutiens que l’islam, ma religion, exige que je m’oppose à ces tyrans et leur retire le droit de réprimer la poésie et de verrouiller la liberté de penser dans une ceinture de chasteté.
Ceux qui n’ont pas été insultés ou offensés lorsque les Saoudiens ont démoli la maison vieille de 14 siècles du prophète Mahomet à La Mecque, mais qui réagissent en sauvages à la vue des caricatures danoises, peuvent être décrits au mieux comme des hommes dont les priorités sont mal placées, et au pire comme des hypocrites.
Ces islamistes et les gouvernements qu’ils contrôlent propagent la charia islamique conçue par des hommes comme une alternative aux lois des démocraties laïques occidentales, tout en s’opposant à tout examen de cette même charia qui sanctionne l’esclavage, le racisme, la misogynie et l’homophobie. Mon message à ces dictateurs est le suivant: Si vous continuez à verser des millions au Canada et d’autres pays occidentaux pour promouvoir l’islamisme, ne vous plaignez pas si nous musulmans joignons nos concitoyens pour critiquer ouvertement votre idéologie politique.
L’islam est une religion, mais l’islamisme est une idéologie politique. Ce n’est pas la même chose en dépit de ce que l’OCI prétend. Tout le monde a le droit de pratiquer l’islam sans crainte de persécution. Toutefois, l’islamisme n’est rien de plus que l’utilisation de l’islam pour garantir le pouvoir sur la communauté des musulmans déjà marginalisée. Les partisans de l’islamisme doivent se préparer à affronter la critique non seulement des non-musulmans, mais des musulmans qui ont été les principales victimes de cette idéologie totalitaire.
Mon message à l’OCI est le suivant: S’il vous plaît mettez de l’ordre dans votre propre maison avant d’essayer de subvertir la Déclaration universelle des droits de l’Homme des Nations Unies. Agissez les premiers et mettez fin à la condition des musulmans à la peau brune qui est proche de l’esclavage dans le Golfe Persique avant de propager à l’ONU votre idéologie en faillite et votre historique d’échecs.
Ceux qui décapitent des gens en public et lapident des femmes à mort, pratiquent l’apartheid dans leur Royaume et brandissent l’épée de l’apostasie au-dessus de la tête de leurs concitoyens musulmans critiques, devraient être les derniers à parler au nom de leurs victimes. Trop de musulmans ont été victimes de votre règne. Nous ne voulons pas que l’ONU soit souillé en sanctionnant ces pratiques.
Si on permet au programme de l’OCI de réussir, et que les soi-disant droits de l’Homme islamiques sont autorisés à « compléter » la Déclaration universelle de 1948, alors Mesdames et Messieurs, mon discours d’aujourd’hui serait une violation de la Charte islamique des droits de l’Homme parce que j’ai parlé contre la charia.
L’égalité de tous les êtres humains, non seulement en dignité et en respect, mais aussi l’égalité de leurs droits en vertu de la loi, doit demeurer un principe sacro-saint. Sinon, vous aurez laissé tomber un milliard de musulmans de ce monde qui vivent sous des régimes qui justifient le contrôle de la pensée comme une doctrine sacrée.
Peut-être pourrais-je mieux expliquer la relation entre l’islam et l’islamisme de cette façon. L’islam est à l’islamisme ce que l’uranium est aux armes de destruction massive.
En terminant, je vous demande d’imaginer un scénario de la bonne vieille époque de la Guerre froide. Comment auriez-vous réagi si les pays du Pacte de Varsovie s’étaient présentés à cette session en déclarant: «Nous voulons que le reste du monde embrasse le communisme. Par conséquent il ne peut y avoir aucune discussion sur les lacunes ou les inconvénients de notre idéologie politique parce que nous nous sentons offensés lorsque les autres en discutent, ils ne sont pas des experts »? Vous leur auriez ri en pleine face. Vous n’auriez certainement pas dit: «Nous sommes d’accord, il ne peut y avoir aucune discussion sur le communisme dans ce forum».
Aujourd’hui, vous devez rejeter les demandes de l’OCI avec la même vigueur que le monde libre a rejeté les goulags.
Voir aussi:
Honte à vous Jack Layton de présenter la candidature de l’islamiste Laouni, par Tarek Fatah
Réprimer la liberté d’expression au niveau mondial, par L. Savage, Maclean’s
L’enjeu de Durban II : la liberté d’expression, par Mark Dubowitz, Wall Street Journal
ONU – Pour le Conseil des droits de l’Homme, critiquer la charia est islamophobe
Commissions des droits et censure : trahison de la position internationale du Canada