Printemps érable / Maple Spring : L’agence iranienne Press TV a consacré des dizaines d’articles et plusieurs reportages télévisés favorables au boycott étudiant contre la hausse des frais de scolarité au Québec. On décrit le mouvement d’opposition comme une partie intégrante d’un vaste combat contre le néo-libéralisme.
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Printemps érable / Maple Spring : Homa Lezgee anime une émission de l’agence iranienne Press TV durant laquelle l’opposition au dégel des frais de scolarité au Québec est décrite comme une partie intégrante d’un mouvement global contre le néo-libéralisme.
Ces derniers mois, l’agence de presse iranienne Press TV a consacré des dizaines d’articles et plusieurs reportages télévisés au boycott étudiant qui se déroule au Québec. Les analystes contactés par l’agence iranienne à New-York, Shanghai et dans différentes villes canadiennes pour commenter les événements sont invariablement favorables aux demandes des boycotteurs. Jamais, Press TV ne s’est embarrassée d’inviter des spécialistes qui auraient pu expliquer combien les coûts de l’éducation supérieure sont faibles au Québec et qu’ils le resteront même après les hausses proposées par le gouvernement Charest.
Lysiane Gagnon (La Presse – 17 avril 2012) : Notes sur un boycott
Nathalie Elgrably (La vitre cassée – 25 mai 2012) : Pour qui se battent-ils?
Les questions que les présentateurs iraniens posent à leurs invités hors-Québec sur les répercussions du mouvement québécois semblent, par ailleurs, laisser transparaître un espoir de Téhéran de voir l’instabilité qui prévaut au Québec se propager ailleurs au Canada et en Amérique du Nord. On peut sans doute expliquer en partie cette réaction de Téhéran par sa volonté de nuire, autant que faire se peut, au Canada après qu’il ait imposé plusieurs sanctions contre la Syrie de Bachar al-Assad, un important allié de l’Iran dont les Frères Musulmans, al-Qaïda et d’autres entités cherchent à renverser le gouvernement.
Point de Bascule (15 juin 2012) : Daniel Pipes : Restons en dehors du bourbier syrien
GMBDR (15 février 2012) : Une organisation dirigée par Qaradawi appuie une manifestation d’opposants au régime de Bachar al-Assad (Qaradawi Organization Sponsors Pro-Syrian Opposition Rally In Qatar)
Les titres de trois vidéos récemment diffusées par Press TV résument le message transmis par Téhéran au sujet du contexte politique actuel au Québec :
– Un analyste déclare que les étudiants québécois protestent contre le néo-libéralisme (Students in Quebec protest neo-liberalism: Analyst)
– «Les États-Unis et le Canada sous la dictature des milieux financiers» (‘Financial dictators rule US, Canada’)
– «Les frais de scolarité ne sont que la pointe de l’iceberg des manifestations étudiantes au Canada» (‘Tuition fees, tip of iceberg of Canada student protests’)
Pour faire coïncider les priorités iraniennes avec les manifestations qui se déroulent au Québec, l’agence Press TV a déclaré dans une dépêche du 9 juin 2012 que les manifestants regroupés près du site où se déroulait la course de Formule 1 à Montréal «ont également protesté contre la violation des droits humains au Bahreïn qui a accueilli un Grand Prix en avril dernier malgré des manifestations». D’importants affrontements se sont déroulés entre les chiites et les sunnites au Bahreïn ces derniers mois.
Note : tous les extraits de Press TV qui apparaissent dans le texte ont été traduits en français par Point de Bascule.
La pointe de l’iceberg
Michel Chossudovsky est professeur de Science économique à l’Université d’Ottawa et un fréquent contributeur aux émissions de l’agence iranienne Press TV. À l’instar des adeptes de la conspiration à Téhéran, il soutient qu’al-Qaïda et Oussama ben Laden n’ont rien eu à voir avec les événements du 11 septembre 2001.
Fars News Agency (11 septembre 2011) : Ahmadinejad considère les événements du 11 septembre 2001 comme une excuse des États-Unis pour attaquer les États musulmans (Ahmadinejad Views 9/11 Events as US Excuse for Attacking Muslim States)
Chossudovsky décrit le dégel des frais de scolarité à ses hôtes iraniens comme la pointe d’un iceberg néolibéral au Canada :
Les frais de scolarité, ce n’est que la pointe de l’iceberg. Ce qui se produit au Canada depuis dix, quinze ans, c’est l’effondrement de l’État-providence, une privatisation de facto, un mouvement vers la privatisation des soins de santé combiné à une militarisation des services de police.
Il est ironique de constater que le bureau de M. Chossudovsky à l’Université d’Ottawa se trouve au pavillon Desmarais ainsi nommé pour honorer la contribution financière importante de l’homme d’affaires Paul Desmarais et de sa famille à l’Université.
Présenté comme un «expert en politique internationale» par Press TV, Kenneth Fernandez a également été invité à commenter sur ce qui se passe au Québec. Fernandez s’est porté candidat pour le Parti Action canadienne (PAC) dans le comté de Saint-Laurent-Cartiervielle en 2000 et 2004. En 2004, le leader du PAC, Paul Hellyer l’ancien ministre de la Défense dans le cabinet Trudeau, et Jack Layton du NPD ont tenu des discussions pour fusionner les deux partis sans succès.
Référant aux antécédents de Jean Charest comme ministre conservateur de Brian Mulroney dans les années ‘80, Fernandez décrit un immense complot qui expliquerait les prises de décision de Charest dans le dossier des frais de scolarité par les liens qu’il entretiendrait avec la CIA via Mulroney et George Bush père :
(Dans ce dossier), il y a également, il me semble, un élément étranger qui est digne de mention. (…) Considérant la proche collaboration entre un premier ministre inspiré par les États-Unis (Brian Mulroney) et ses liens avec un ancien président américain (George Bush père) qui a été directeur-général de la CIA, il semblerait qu’il (Jean Charest) reçoit des conseils et peut-être même un appui sous une forme ou sous une autre. Je ne peux pas faire d’affirmation définitive mais, en tant qu’analyste, voilà ce qui me semble être en jeu.
Agents provocateurs
Interrogés par leur hôte iranienne sur l’origine du vandalisme qui accompagne les manifestations des carrés rouges, autant Michel Chossudovsky que Kenneth Fernandez l’ont attribuée à des éléments infiltrés parmi les manifestants qui seraient contrôlés par la police :
Kenneth Fernandez : Il semble que les autorités aient appliqué une vieille tactique éprouvée en embauchant ou en incitant d’autres façons des gens à commettre des actes de violence pour pouvoir dire par la suite : «Regardez! Les manifestants sont violents, il y aura du désordre. Nous n’acceptons pas le désordre et nous devons imposer des mesures fermes».
Michel Chossudovsky : Depuis le début, on a eu affaire à un mouvement de protestation pacifique. S’il y a eu de la violence, elle a résulté du travail d’agents provocateurs, d’agents secrets qu’on soupçonne de travailler de pair avec la police. Ce n’est rien de nouveau. Plusieurs cas d’agents provocateurs ont été révélés par les médias et par des organisations non-gouvernementales.
Dans une interview diffusée par le réseau TVA, le député Amir Khadir a également accrédité la thèse des agents provocateurs pour expliquer le vandalisme survenu surtout à Montréal ces dernières semaines :
«Des tactiques d’infiltration, ça existe (…) on ne peut pas rejeter du revers de la main quelque chose qui a déjà eu lieu dans le passé. Quand une hypothèse comme ça est évoquée, il faut s’assurer de l’éliminer».
(Amir Khadir) qualifie de «vraiment troublant» le fait que des bombes fumigènes aient été lancées dans le métro à Montréal, au lendemain d’une conférence de presse de groupes appuyant cette demande d’enquête publique sur la violente manifestation de vendredi.
Le 7 juin 2012, la propre fille du député Amir Khadir, Yalda, a été arrêtée par la police de Montréal qui la soupçonne d’avoir pris part aux actes de vandalisme qui accompagnent les manifestations étudiantes depuis plusieurs semaines.
Des questions qui témoignent d’une inquiétude de Press TV à l’égard du PQ et de son projet d’indépendance
Parfois, les questions d’un intervenant nous en disent plus sur son état d’esprit que ses affirmations. Même si personne, à toutes fins pratiques, au Québec n’a établi de liens entre les manifestations récentes et le projet d’indépendance du Québec, il convient de souligner que les présentateurs de Press TV semblent préoccupés par la question. Ils ont insisté pour demander à leurs invités de commenter sur l’impact que les manifestations pourraient avoir sur une éventuelle accession du Québec à l’indépendance.
Michel Chossudovsky a répondu qu’à son avis, le mouvement actuel n’est pas influencé par la dynamique souveraineté / fédéralisme :
À cette étape-ci, la souveraineté et le séparatisme n’est pas l’un des principaux enjeux. Je n’exclue pas que ça puisse le devenir plus tard.
Pour sa part, Kenneth Fernandez craint que le PQ ne bénéficie du tumulte actuel :
Plus le gouvernement réagit durement à l’égard du mouvement d’opposition et plus ça aide la cause du parti séparatiste dans l’opposition (le Parti Québécois). C’est vraisemblablement le parti qui prendra le pouvoir lors des prochaines élections. Il est probable que la question des amendements constitutionnels sera soulevée par le gouvernement et les partis d’opposition fédéraux et que nous puissions assister à une balkanisation de notre pays qui profiterait aux États-Unis.
Après avoir aligné les commentateurs qui ont désigné Jean Charest comme un homme aux visées sombres, après s’être distancé du PQ, Press TV aura réservé ses seuls bons mots à Amir Khadir après qu’il se soit fait arrêter le 5 juin 2012 pour avoir participé à une manifestation illégale à Québec.
Le 4 juin 2011, Press TV a également rapporté les propos du député Khadir qui comparait la tournée du prince William et de son épouse Kate au Canada à une performance de cirque.
Durant la Commission Bouchard-Taylor en 2007, une autre agence de presse iranienne (IQNA) souligna qu’Amir Khadir et son parti Québec-Solidaire avaient qualifié de «délire» une proposition visant à interdire le port du voile islamique par les fonctionnaires.
Press TV a fait les manchettes lors du congédiement de son commentateur Tariq Ramadan par la ville de Rotterdam en 2009
En 2007, Tariq Ramadan a été engagé par la ville de Rotterdam «pour bâtir des ponts entre les communautés musulmanes et non-musulmanes». Après avoir appris que Ramadan travaillait pour l’organe de propagande du régime iranien, plusieurs partis politiques des Pays-Bas avaient demandé et obtenu qu’il soit congédié.
Nrc.nl (18 août 2009) : Rotterdam congédie Tariq Ramadan à cause de son émission iranienne (Rotterdam fires Tariq Ramadan over Iranian TV show)
Les «ponts» que les islamistes bâtissent permettent d’aller dans une seule direction. C’est Sayyid Qutb (1906-1966), l’idéologue des Frères Musulmans, qui a le mieux résumé cet aspect du programme islamiste dans son classique Milestones :
Le gouffre qui sépare l’islam et le monde non-musulman (Jahiliya) est énorme. On ne bâtira pas un pont pour permettre aux gens des deux côtés de se mélanger mais seulement pour permettre aux personnes du monde non-musulman de venir vers l’islam, (…) afin qu’elles passent de l’obscurité à la lumière, afin qu’elles puissent sortir de leur condition misérable. (Milestones – chapitre 10)
Au moment d’écrire ces lignes, il ne nous est pas possible de déterminer si Tariq Ramadan anime toujours une émission à l’antenne de Press TV. Les relations entre l’Iran (chiite) et les Frères Musulmans (sunnites) se sont considérablement détériorées depuis que les Frères Musulmans participent aux efforts militaires qui visent à renverser le régime syrien de Bachar al-Assad (alaouite) allié de Téhéran.
Références supplémentaires
Richard Martineau (Blogue/Journal de Montréal – 7 juin 2012) : Contributions financières des syndicats aux associations étudiantes du Québec
Lysiane Gagnon (La Presse – 12 juin 2012) : Vent de folie
