Lors de la récente campagne électorale tunisienne, Rafaël Primeau-Ferraro a pris l’initiative de se rendre en Tunisie pour commenter sur ce qui s’y déroulait dans un blogue qu’il a alimenté spécialement pour l’occasion. Point de Bascule reproduit un extrait de son dernier article où il explique ce qui l’amena à changer d’opinion face au parti Ennahda durant son séjour en Tunisie.
http://tunisieelections.blogspot.com/
Lors de la récente campagne électorale tunisienne, Rafaël Primeau-Ferraro a pris l’initiative d’aller en Tunisie pour alimenter un blogue qui rendait compte des activités ayant entouré l’élection de l’Assemblée Constituante qui a eu lieu le 23 octobre 2011.
Primeau-Ferraro mit fin à son blogue à la mi-novembre, deux semaines après la tenue des élections. Il consacra une partie de son dernier article à expliquer ce qui l’amena à changer d’opinion face au parti Ennahda durant les six semaines qu’il passa en Tunisie.
Nous reproduisons cette portion de l’article intitulée Les islamistes.
Élections Tunisie : Au revoir Tunisie et bon succès (17 novembre 2011)
Les islamistes
En ce qui a trait aux islamistes, mon opinion a changé récemment. En débutant ce blogue, je tenais à rester objectif. C’est pourquoi j’ai pris la décision de mettre de côté les préjugés dont ils font l’objet et j’ai préféré, comme il sied en démocratie, leur donner le bénéfice du doute. Il m’apparaissait logique de laisser la chance au coureur. Après tout, le programme d’Ennahda semblait reposer sur une vision moderne et ouverte de l’Islam et leurs idées ne semblaient pas non plus restreindre les droits de quiconque.
À tout évènement, le parti islamiste était alors accusé – surtout par les médias français – de tenir un double discours. D’autres les ont carrément traité d’extrémistes et parfois même de criminels avec preuves à l’appui. C’est le cas de la Section du statut du Canada, tel que le révèle un jugement de la Cour d’appel fédérale canadienne en 2003, Zrig c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.
On y relève notamment que la Section du statut canadien a qualifié Ennahda de «branche armée qui utilise des méthodes terroristes» et qui aurait été impliqué dans «des assassinats et des attentats à la bombe».
À propos du chef Rached Ghannouchi, on y affirme qu’il «est considéré par certaines sources comme étant l’un des maîtres à penser du terrorisme» et également qu’il «a fait un appel à la violence contre les États-Unis et a menacé de détruire leurs intérêts dans le monde arabe. En outre, il a demandé la destruction de l’État d’Israël.»
Et c’est sans compter les allégations qui pèsent contre le Secrétaire général du parti, Hamadi Jebali, soupçonné d’avoir participé aux attentats terroristes du 2 août 1987 où quatre explosions survenues au même moment dans des hôtels de Sousse et de Monastir faisaient 13 blessés.
Faisant fi de tous ces éléments, je me suis concentré uniquement sur les actions et les paroles du parti islamiste, le qualifiant même de «modéré» dans certains de mes articles. Les gens d’Ennahda ont demandé fréquemment à leurs détracteurs «d’attendre de voir comment ils agiront avant de les critiquer».
C’est ce que j’ai fait et j’ai l’impression aujourd’hui d’avoir été roulé dans la farine. J’en suis malheureusement venu à la conclusion que le parti tient effectivement un double discours et que ses dirigeants cachent à la population plusieurs des idées auxquelles ils adhèrent.
Les récentes déclarations de Souad Abderrahim, la députée la plus en vue d’Ennahda dont on vante le «modernisme», jumelé au silence complice des dirigeants du parti m’ont laissé vraiment perplexe. Affirmer entre autres «que les mères célibataires n’ont pas le droit d’exister» et qu’il n’y a pas de place «pour une liberté totale et intégrale en Tunisie» ne correspond pas tout à fait, à mon avis, à une vision modérée. De plus, elle avait également déclaré quelques jours auparavant qu’Ennahda «ne compte pas fermer les boîtes de nuit, mais par contre ancrera les bonnes mœurs.»
Ce qui m’a le plus étonné n’est pas nécessairement les déclarations de Mme Abderrahim, mais plutôt l’absence d’indignation d’une grande partie de la population. À preuve, plusieurs journaux n’ont pas jugé la nouvelle suffisamment intéressante pour la publier et mis à part la réaction outrée des jeunes sur les réseaux sociaux, on ne sentait pas vraiment l’acrimonie que ces propos auraient normalement dû soulever.
Peut-être est-ce le signe que de nombreux Tunisiens partagent au fond d’eux-mêmes l’opinion de la députée ? C’est ce que croit Lofti Achour, producteur de cinéma connu, dans un texte qu’il signe sur sa page Facebook. Un article fascinant qui vaut vraiment la peine d’être lu.
La théorie de ce dernier, à l’effet que plusieurs personnes appuient secrètement Ennahda mais n’oseraient pas l’avouer publiquement, pourraient fort bien expliquer les résultats du parti islamique aux dernières élections. Car il faut avoir le courage de regarder la vérité en face, ce ne sont pas seulement les régions pauvres du pays qui ont voté massivement pour eux. Dans les circonscriptions de la diaspora et à Tunis, leurs scores ont été tout aussi élevés.
Quoiqu’on en dise et malgré que la situation soit bien plus saine que dans tout autre pays arabe, il reste encore des pas à franchir pour que les mentalités évoluent – à l’égard des droits des femmes et surtout des homosexuels, sujet qui reste encore extrêmement tabou en Tunisie.
Références supplémentaires
Point de Bascule : Mohamed Zrig : Complice de terroristes et candidat des Frères Musulmans pour représenter le Canada à l’Assemblée constituante tunisienne
Point de Bascule : Quel candidat d’Ennahda représentera les Amériques et le reste de l’Europe à l’Assemblée constituante tunisienne?