À la clôture des audiences de la Commission qu’il copréside, M. Bouchard a proposé une allégorie de l’immigration. Le Québec est un « train » et les immigrants des wagons qui s’ajoutent. En tant que Québécois d’adoption, je ne me vois pas dans le train de M. Bouchard. Comment en est-on venu à concevoir cette aberration communautariste qui, dans cette allégorie du train, procure à tout un chacun son propre wagon, en attendant de lui donner sa propre locomotive et sa destination singulière ? Le Québec n’est pas un « train » mais un pays riche du labeur et de la sincérité de ceux qui l’ont défriché, labouré et bâti à travers les siècles. Un peuple parmi les plus généreux et les plus conciliants et dont on doit être heureux et fier de partager la destinée. Immigrer au Québec c’est devenir partie prenante de lui, le laisser déteindre sur soi, c’est aussi offrir à la culture du Québec la part la plus généreuse et la plus universelle de sa culture d’origine.
Nous publions ici la réponse de Helios d’Alexandrie, un Québécois d’adoption, à l’aberrante conception de l’immigration que Gérard Bouchard propose au peuple québécois. Notre collaborateur Helios partage sa propre vision de l’immigration.
Monsieur Bouchard, avez-vous perdu le Nord ?
Au terme des nombreuses séances de la commission sur les accommodements dits raisonnables, Monsieur Gérard Bouchard, lors de son allocution de clôture a conclu en proposant au public québécois une allégorie de l’immigration. Selon lui le Québec est un train, les immigrants ne doivent pas être considérés comme de nouveaux passagers s’installant dans les mêmes wagons que les québécois, mais comme des wagons qui s’ajoutent avec toute leur culture et leur vécu.
Ce n’est pas la première fois qu’une nation est décrite sous l’image d’un moyen de transport, l’Angleterre plus poétiquement a été décrite au dix-neuvième siècle comme un navire, c’était pour mettre l’emphase sur la discipline des matelots, l’autorité du capitaine et le rôle privilégié de l’homme de vigie soit le penseur ou le poète, en somme l’homme doté de vision qui inspire et guide le peuple.
L’allégorie du train est plus prosaïque, certes elle occulte totalement l’histoire de ces ancêtres qui, depuis quatre siècles, ont participé à cette incroyable aventure du nouveau monde. Germes d’un futur peuple ils ont mis pied à terre pour défricher, labourer et bâtir ce qui est devenu le Québec d’aujourd’hui. Peut-on prétendre que pour eux la voie était toute tracée dès leurs adieux à la France? Certainement pas, l’océan qu’ils ont traversé, les sentiers qu’ils empruntaient et les cours d’eaux qu’ils exploraient en canoë n’étaient pas à proprement parler des chemins exempts de danger. Et pourtant malgré les dangers, les échecs, le froid, la maladie et les inévitables combats le destin leur a permis de mettre au monde un pays et d’engendrer un peuple.
Monsieur Bouchard a fermé son livre d’histoire et l’a rangé dans sa bibliothèque. Les québécois d’aujourd’hui il les voit dans un train, le destin du Québec est une voie ferrée toute tracée, elle les mène à une destination connue et sans surprise, en première classe ou en troisième tout le monde se rend au même endroit et en même temps. C’est ainsi que nos élites pensantes et agissantes conçoivent le Québec moderne et le façonnent dans le moule de leur médiocrité. Quand l’aventure se résume à se laisser conduire en regardant défiler le paysage, peu de gens y trouvent du bonheur et encore moins une raison de se multiplier. Du coup les places vacantes dans le train augmentent et il devient impérieux de les remplir. Que faire sinon inviter de nouveaux passagers, leur offrir les places vacantes et les encourager à socialiser avec les québécois de la première heure? L’idée a marché un temps et les nouveaux passagers, pas très différents, se sont dans l’ensemble bien entendus avec les anciens. Cependant d’autres passagers se sont présentés, ils sont bien différents et tiennent à le demeurer, ce n’est pas que le train ne leur convient pas, ils le trouvent confortable mais veulent en aménager l’intérieur et adapter le service pour satisfaire à leurs exigences, ils jouent du coude et se plaignent du manque d’hospitalité des autres passagers.
Et voilà que le chef de train se laisse impressionner, craignant les conflits il profite d’un arrêt pour ajouter de nouveaux wagons; un wagon pour chaque groupe qui clame sa différence et demande à être reconnu. Au moment où le convoi redémarre, les passagers des nouveaux wagons se précipitent sur les freins, provoquent l’arrêt et exigent que l’on change de destination. Que fera le chef de train? Osera-t-il demander aux nouveaux passagers d’évacuer leurs wagons? Fera-t-il appel à de nouvelles locomotives pour satisfaire aux nouvelles exigences? Demandera-t-il au mécanicien de la locomotive de changer de destination? Quelle réponse donnerait Monsieur Bouchard s’il était le chef de train?
Monsieur Bouchard est historien, le futur ce n’est pas son domaine, une réponse de sa part est improbable!
Eh oui! Certains penseurs se donnent pour mission de nous conduire au bord du précipice, leur contribution s’arrête là!
J’ai beaucoup réfléchi à l’allégorie de Monsieur Bouchard, son train n’est qu’un fantasme morose, le Québec vaut bien mieux que ça. Le train, la voie toute tracée, la destination prévue ce sont des réalités mais elles sont contraires à la nature profonde du Québec et des québécois, c’est le naufrage de leur vitalité. Et quand un peuple fait le sacrifice de sa vitalité, il ne lui reste qu’à disparaître doucement.
En tant que québécois d’adoption je n’ai pas rejoint le Québec pour assister à son déclin mais pour participer à sa vie et à sa vitalité, c’est pour moi une aventure, de loin moins risquée que celle des pionniers, mais qui se veut aussi exaltante, je ne me vois pas dans le train de Monsieur Bouchard et encore moins dans un wagon spécialement aménagé pour me faire croire que je voyage, non au Québec, mais ailleurs, dans un pays et dans une mentalité recréés de toutes pièces et dont la réalité artificielle cherche à supplanter la réalité tout court.
Le Québec n’est pas un train mais un pays riche du labeur et de la sincérité de ceux qui l’ont défriché, labouré et bâti à travers les siècles. Un peuple parmi les plus généreux et les plus conciliants et dont on doit être heureux et fier de partager la destinée. Immigrer au Québec c’est devenir partie prenante de lui, le laisser déteindre sur soi, c’est aussi offrir à la culture du Québec la part la plus généreuse et la plus universelle de sa culture d’origine.
Un pays ne se bâtit pas sur l’exacerbation des particularismes mais sur la volonté de vivre ensemble en dépassant les différences. C’est comme le mariage, pour faire bon ménage il faut au-delà de certaines différences (enrichissantes) partager des valeurs communes et regarder ensemble dans la même direction. Comment cette évidence qui, dans un passé pas si lointain, était admise par les responsables de l’immigration, a été aussi facilement ignorée par la suite? Comment en est-on venu à concevoir cette aberration communautariste qui, dans cette allégorie du train, procure à tout un chacun son propre wagon, en attendant de lui donner sa propre locomotive et sa destination singulière?
Monsieur Bouchard avez-vous perdu le Nord?