Dans son mémoire à la Commission Bouchard-Taylor, le CCMM dénonce le projet de laïcisation des institutions, vu comme une forme de racisme envers les musulmanes rappelant l’oppression des Talibans sur les Afghanes. Ce projet amènerait des violences comme en France, une répression violente du fédéral et l’exode des Canadiens du Québec vers l’étranger. Quant à la manière d’imposer le français, le Centre cite l’exemple de l’empire ottoman et celui de la France coloniale.
Le CCM est une ONG qui accueille les immigrants et facilite leur intégration. Il offre également des activités de loisirs pour les jeunes, dont un club de Tae Kwon Do.
Nous avons traduit des extraits du mémoire que le CCMM a déposé en anglais seulement à la Commission Bouchard-Taylor. Le mémoire original est ici :
Hijab proscrit au Tae Kwon Do
En avril 2007, l’Académie de Tae Kwon Do de Montréal participait à une compétition à Longueil, au Québec. Les participantes ont été empêchées de participer à la compétition parce qu’elles portaient le hijab
La communauté musulmane était déçue par la décision de disqualifier ces cinq jeunes filles douées et de les priver de réaliser leurs rêves de parvenir à des compétitions nationales et internationales dans le sport qu’elles aiment. Nul n’a jamais pensé que des arbitres ruineraient la grande passion de ces jeunes filles pour ce sport à cause de leur religion dans le pays du pluralisme religieux.Ces jeunes filles, qui sont toutes des francophones québécoises non immigrantes, se font enseigner, ici même dans les écoles du Québec, la croyance dans l’égalité des êtres humains. Elles ont été amenées à se rendre compte que ces principes demeurent des théories, même au Québec.
Introduction
Depuis plusieurs années, la question des accommodements raisonnables a été un sujet de débat majeur sur l’avenir du Québec. Ce sujet renvoie aux problèmes plus large du multiculturalisme et du pluralisme religieux (présumément) adopté par la société québécoise en évolution. En fait, la question des accommodements raisonnables s’inscrit dans un contexte politique d’exploitation des sentimentset des émotions des individus à des fins politiques et électoralistes.
Rôle des media
Les médias ont aggravé les problèmes d’intolérance et, dans une certaine mesure, le racisme au Québec. Ils ont contribué à appuyer un débat irrationnel qui souligne une discrimination apparemment acceptée. Par exemple, plusieurs [médias ont laissé entendre que la société est homogène et qu’il y a un « nous » et un « eux », soit les « pure laine » et les immigrants qui menacent «es valeurs » du Québec.
La manifestation des religions n’est pas tolérée dans l’espace public mais on laisse tous les symboles religieux chrétiens, les congés fériés pour les fêtes chrétiennes etc., qui sont considérés comme faisant partie des traditions du Québec. Quelqu’un a écrit que les valeurs du Québec correspondent à ce que disait un ancien ministre soviétique des affaires étrangères : « ce qui est mien m’appartient, ce qui t’appartient est négociable ». Avons-nous oublié que nous sommes tous des immigrants et que les seuls « pure laine» sont les Amérindiens? Avons-nous déjà tenté de nous arrêter pour réfléchir à cette idée?
Les medias ont aussi contribué à propager des stéréotypes. Combien de reportages ont été diffusés sur l’oppression des femmes musulmanes dans différents coins du monde? Et sur leur libération des chaînes de leur religion lorsqu’elles arrivent en Occident? L’islam a été réduit au fanatisme, au fatalisme et à l’oppression des femmes. Les média nous présentent une vision catastrophique et apocalyptique. Plusieurs medias internationaux ont présenté Hérouxville comme une manifestation de solidarité du Québec envers les valeurs libérales occidentales de pluralisme contre la menace auquel il est confronté. Les medias ont indirectement contribué à diaboliser les minorités religieuses.
Les minorités religieuses ont été largement présentées par les médias comme inférieures et sujettes à victimisation, et on leur a parfois conseillé de retourner dans leur pays si elles ne souhaitaient pas s’adapter aux valeurs du Québec. Qu’en est-il des Québécoises de souche converties à l’islam? Elles sont des « pure laine » tout en étant musulmanes et en portant le hijab. Où vont-elles aller si elles ne maintiennent pas les soi-disant valeurs? Seront-elles exilées ou encore jetées à la mer?
La crise identitaire au Québec : la construction d’une nation
Le problème est ancien au Québec. Nous nous concentrerons toutefois sur la période qui suit le mois de novembre 2006, quand le premier ministre canadien Stephen Harper a déposé une motion sur la reconnaissance de la nation québécoise dans un Canada uni. À l’époque, le débat était centré sur la séparation ou la souveraineté et la signification politique de ces termes. C’est correct en autant que ça ne masque pas le véritable débat sur le concept de nationalisme et sa nomenclature correspondante : pourquoi le Québec devrait-il être reconnu comme une nation? En quoi les Québécois sont-ils différents des autres Canadiens pour former une nation à l’intérieur du Canada?On pourrait argumenter que ces questions sont dépassées; qu’on ne devrait pas perdre son temps à y répondre et à expliquer ce qui est de toute évidence clair. Est-ce vrai? Est-ce que tout le monde au Québec et à l’extérieur du Québec sait pourquoi les gens qui vivent au Québec devraient former une nation? Encore une fois, on pourrait penser qu’il n’y a aucune raison de se poser ces questions, sauf pour ce qui suit.
De manière presque contemporaine à l’adoption de la motion sur la nation par la Chambre des communes par un vote de 266 contre seulement 16, le débat sur l’accommodement raisonnable de diverses minorités, en particulier les immigrants et les communautés culturelles, a commencé à s’échauffer et à retenir l’attention des Québécois. Qu’est-ce que le Québec devrait accommoder? Qu’est-ce qui est « raisonnable »? Quand un accommodement cesse-t-il d’être raisonnable? (nous nous questionnons sur la terminologie : y a-t-il un accommodement déraisonnable? Est-ce toujours un accommodement?). Est-ce que le Québec et les Québécois ont même le droit de se demander s’ils devraient accommoder quiconque?
Ces questions et les débats qui y sont associés (puisqu’il n’y a toujours pas de réponse) ont commencé à remplir les ondes des stations de radio et de télévision et des journaux de la province. Le débat a même influencé les élections provinciales du printemps. Le parti qui s’est porté à la défense des valeurs du Québec contre la menace posée en particulier par les immigrants a connu une percée rêvée, passant de 4 sièges à l’Assemblée nationale à 41. Cette augmentation est due au vote des citoyens des régions rurales qui expriment continuellement des réserves sur le pluralisme, le multiculturalisme et l’accommodement. En même temps, le notoire « code de vie» rédigé par le conseil de la municipalité de Hérouxville et l’effet domino qu’il a produit sur diverses communautés dans la province (plusieurs municipalités ont songé à unir leurs efforts à ceux des citoyens de Hérouxville pour forcer les gouvernements provincial et fédéral à rouvrir leurs Chartes des droits respectives pour garantir qu’aucun accommodement ne porterait atteinte aux valeurs de la société québécoise, aux droits des Québécois, à leur liberté de préserver leurs coutumes et leur culture, et à l’harmonie de la nation) a mis en relief la pertinence du contexte identitaire et son poids dans le débat sur les accommodements raisonnables.
Malheureusement, la recherche d’une réponse à la question identitaire dans le cadre du débat sur les accommodements raisonnables nous fait faire fausseroute puisque les questions ne sont pas abordées dans un ordre logique. Le débat devrait plutôt débuter avec les questions suivantes. Quelles sont les valeurs qui distinguent le Québec du reste du Canada et du monde?
Dans une société en évolution, y a-t-il des valeurs immuables qui doivent être préservées dans le temps? Une fois qu’on a trouvé réponse à ces questions, les autres questions perdent leur importance, comme par exemple « quel immigrant affecte quelle valeur et quelle communauté accepte ou refuse d’accommoder les besoins spécifiques de tel ou tel groupe.» Il semble y avoir une croyance que les valeurs suivantes sont les principales valeurs considérées comme fondamentales par la majorité des Québécois :
– L’égalité entre les hommes et les femmes
– La primauté du français
– La séparation de l’église et de l’État
Quoiqu’on puisse s’interroger sur le caractère immuable de telles valeurs dans une société donnée, nous tendons à être en désaccord avec le fait que de telles valeurs puissent (nécessairement et suffisamment) définir une nation. Elles ne distinguent pas le Québec de plusieurs autres États ou nations. Plusieurs pays membres de l’ONU essaient de réaliser l’égalité entre les sexes. En fait, le Québec tente toujours d’atteindre cette égalité, particulièrement au niveau trivial de l’équité salariale. D’autre part, la séparation de l’église et de l’État est une question administrative qui ne mérite pas d’être un marqueur d’identité nationale. La plupart des pays européens l’appliquent déjà sous une forme ou une autre (même le reste de la nation unie du Canada promeut une forme de séparation entre l’église et l’État). Alors, qu’est-ce qui distingue le Québec dans ce contexte?
Malheureusement, la seule question qui pourrait distinguer le Québec est la manière dont la primauté du français est appliquée, et non le concept de primauté lui-même. Normalement, chaque État essaie de promouvoir la langue qui permet la meilleure communication entre les personnes. Il se trouve qu’au Québec, c’est le français. Quant à la mise en application de ce principe, la discussion détaillée, qui couvre le mandat de l’Office de la langue française connue comme « la police de la langue » ne peut être abordée ici. Nous dressons toutefois un parallèle avec la façon dont l’empire ottoman a tenté d’imposer l’usage de la langue turque dans les territoires qu’il a occupés pendant des siècles et la manière dont la France a cherché à abolir l’usage de la langue arabe dans les pays qu’elle a occupés en Afrique du nord. L’issue de ces deux tentatives est bien documentée par les historiens.
En résumé, le fait d’imposer un système de valeurs à une société, même par la voie d’un vote démocratique, ne peut servir à définir une nation. Prenez l’exemple du récent bannissement de la cigarette dans les lieux publics. Ni la consommation de cigarettes ni son bannissement ne sont des valeurs que les Québécois rêvent d’inclure dans leur identité. Personne ne valoriserait l’idée d’une nation québécoise non-fumeuse.
Maintenant que nous avons démontré que les trois concepts ne constituent pas des caractéristiques distinctives de la nation québécoise, nous sommes prêts à dire que le problème des accommodements raisonnables tel que formulé dans plusieurs études antérieures, spécialement lorsqu’il a été introduit en 1986, ne doit pas être étudié dans le contexte de la préservation de l’identité du Québec et du système de valeurs immuables qui le caractérise. Nous contextualisons alors ces trois concepts dans le cadre des accommodements et vérifions s’ils sont immuables dans ce contexte. Ce n’est pas un secret que l’adoption de ces concepts s’explique par l’évolution naturelle de la société. Sans les mouvements féministes et ses longs débats, l’égalité ne serait pas devenue une valeur sociale aussi fondamentale. De la même manière, la séparation de la religion et de l’État est le résultat d’un processus de transformation qui s’est étalé sur des décades, sinon des siècles. Seule la primauté du français résulte d’une lutte pour préserver l’identité ou une partie de celle-ci. Notez que la seule raison qui a mené à l’adoption des autres concepts leur enlève tout caractère immuable. Autrement, une société doit cesser d’évoluer.
Guerre à la terreur et islamophobie
Depuis le 11 septembre 2001, le monde est entré dans une nouvelle phase de l’histoire, définie par la guerre à la terreur. Pour plusieurs personnes dans le monde, de nombreux aspects de leur vie ont changé pour toujours. En particulier, le Canada a connu depuis cette date un changement dans ses politiques envers ses citoyens et les peuples d’autres pays. Dans le contexte de la tolérance et de l’harmonie sociale, le document Laïcité et diversité religieuse : l’approche québécoise, publié par le Conseil des relations interculturelles en 2005 mentionne ce qui suit :
« Nous avons aussi constaté que les événements tragiques du 11 septembre 2001 et leurs échos dans les médias ont contribué à rendre légitime un discours négatif à l’égard de certains groupes religieux (et, plus particulièrement, des musulmans). Ce discours cible tout particulièrement les musulmans mais finit, par extension, par englober les personnes originaires du Moyen-Orient et du Maghreb, nonobstant leur religion. Les intervenants qui oeuvrent dans le domaine de l’insertion à l’emploi auprès des nouveaux arrivants confirment que leurs clients originaires des ces régions ont depuis lors davantage de difficultés à se trouver un travail, malgré leurs qualifications et leur formation très poussée.»
En plus de cette intolérance croissante dans la société, et le Québec n’y fait pas exception, les médias ont joué un rôle majeur en nourrissant les impressions négatives que les citoyens commençaient à avoir envers les immigrants provenant des régions à majorité musulmane. La surexposition de l’islam et des musulmans après le 11 septembre a produit un double effet : un effet positif qui a instruit les citoyens au sujet de cette religion et de la culture de ceux qui la professent autour du monde, et un effet plus dommageable quand les médias se concentrent sur des cas spécifiques non représentatifs dans le but d’alimenter la controverse et de susciter des sentiments mixtes à l’égard des musulmans. De plus, ce rôle dommageable a été joué, dans une certaine mesure, par les gouvernements qui se sont engagés dans la reconstruction d’États et la démocratisation de nations à une échelle sans précédent. La combinaison de ces deux rôles des médias et des gouvernements a mené à une aggravation des problèmes d’intolérance dans la société.
D’autre part, on soupçonne que le gouvernement fédéral contribue à alimenter le problème de l’intolérance et de l’accommodement dans le but de détourner l’attention des dossiers majeurs comme l’environnement et la mission en Afghanistan. Il est connu que le Québec a montré le soutien le plus massif au protocole de Kyoto et l’opposition la plus massive aux guerres en Iraq (2003) et au Liban (2006). En ce moment, le gouvernement s’apprête à abolir Kyoto et à prolonger la mission en Afghanistan, mais il n’y a pas de véritable intérêt populaire pour ces sujets. Les citoyens ont montré plus d’intérêt pour la question du niqab et des femmes qui peuvent voter sans se dévoiler. D’où cette question a-t-elle surgi et qui a demandé ce privilège pour que le gouvernement sorte ce dossier lors des dernières élections partielles au Québec?
Conséquences
Après les dernières élections provinciales au Québec, les trois partis politiques ont commencé à utiliser le sujet des accommodements raisonnables, et le contexte plus large de l’identité et des valeurs, comme principal vecteur de leur succès. Ceci a mené les communautés ethnoculturelles à penser qu’elles serviraient de bouc émissaires. En particulier, plus récemment, en raison de la proposition du Parti libéral d’amender la Charte des droits du Québec pour donner primauté à l’égalité des sexes,et du projet de loi sur l’identité déposé par le Parti québécois.
Nous croyons que ces propositions pourraient avoir des conséquences dangereuses,particulièrement pour les Québécois de confession musulmane :
1. Création d’une nouvelle religion prééminente appelée sécularisation. Chaque fois que la laïcité est interprétée comme la laïcisation des individus autant que des institutions, en dictant un mode de vie, le sécularisme devient une religion radicale en elle-même, cachée derrière des lois civiles.
2. Inégalité entre les personnes et classification de la population. Il est paradoxal que la primauté de l’égalité entre les sexes sur la liberté de religion préservera l’égalité entre les membres d’un même sexe. Tout raisonnement humain peut arriver à la conclusion que d’imposer à une femme ce qu’elle peut porter ou non la rend non seulement inégale aux hommes, mais aussi par rapport aux autres femmes. En conséquence, si cette proposition est implantée, elle aura les effets suivants :
– Discrimination envers les femmes musulmanes
–Institutionnalisation du racisme et promotion d’une forme d’inégalité par la création de deux classes de femmes dans la société
–Stigmatisation, donc aliénation et marginalisation d’un groupe de femmes dans la société
– Négation du droit de ces femmes à l’accès égal à l’éducation et au travail, donc à l’autodétermination
3. Toutes ses conséquences constituent une forme d’oppression de celles qu’on appelle les femmes « musulmanes opprimées ». Ceci rappelle une autre forme d’oppression, celle exercée par les Talibans sur les femmes afghanes.Leurs voix ne sont pas entendues, elles n’ont pas accès à l’espace public et sont considérées comme des femmes appartenant au foyer.
4. Si le modèle français de laïcité devait être adopté par le Québec, nous récolterons non seulement des conséquences similaires à celles qui se manifestent en France, mais le Québec passera d’une province à la riche culture civile harmonieuse à un lieu plein de ghettos où le ressentiment, la rage et la stigmatisation prévaudront, menant à la rivalité et à la violence que le gouvernement fédéral réprimera assurément par la force (ce qui affectera la souveraineté du Québec et son identité indépendante), supprimant un autre droit à l’expression.Récemment, ces problèmes ont été vécus dans le pays voisin quand le racisme contre les noirs a été institutionnalisé.
5. Au lieu de l’immigration au Québec, une terre d’opportunités, d’égalité et de liberté, nous verrons des citoyens Canadiens, au Québec, cherchant à émigrer vers d’autres provinces ou paysà la recherche d’une vie meilleure quelque part à l’étranger.