Cette semaine marque le 10e anniversaire de l’exécution sans précédent d’un journaliste au Canada. Les assassins de Hayer sont toujours au large. Sa femme et ses enfants ont repris le flambeau et continuent de publier le Indo-Canadian Times malgré les menaces continues des extrémistes Sikh. Hayer n’a pas eu peur de confronter les membres de sa propre communauté, malgré une première tentative de meurtre en 1988 qui l’avait laissé paralysé. Nous saluons son courage, et remercions sa famille de suivre ses traces et de refuser de céder à l’intimidation.
Tara Singh Hayer est mort pour avoir défendu la liberté. C’est un authentique héros. Lui et sa famille, ainsi que tous les Canadiens et Québécois épris de liberté, méritent que ses assassins soient trouvés, condamnés, et déportés, ainsi que les terroristes qui continuent de menacer sa famille. Les fossoyeurs de libertés doivent savoir qu’ils ne sont pas les bienvenus.
Traduction de: The many plots to kill Tara Singh Hayer, par Kim Bolan, Vancouver Sun, le 15 novembre 2008
Dave Hayer se souvient encore des cris de sa mère quand il est arrivé à la maison familiale de Surrey après avoir reçu un appel paniqué de sa soeur.
«Ils l’ont tué, ils l’ont tué», pleurait sa mère Baldev, pendant que ses trois sœurs essayaient de la réconforter.
Tara Singh Hayer, déjà paralysé après avoir été victime d’une tentative d’assassinat en 1988, a été abattu dans le garage de son domicile de Surrey. C’était juste avant le dîner du 18 novembre 1998. Il avait 62 ans.
Dix après l’assassinat de l’éditeur au franc-parler du Indo-Canadian Times, voilà que le Vancouver Sun apprend qu’il y avait au moins trois complots simultanés en vue de tuer Hayer, tous liés à ses vives critiques des tactiques utilisées par une poignée de Sikhs séparatistes violents en Colombie-Britannique.
Beaucoup de ceux qui ont connu Hayer sont frustrés que personne n’ait été inculpé dix ans après l’exécution sans précédent d’un journaliste au Canada. Mais la police dit que l’enquête demeure intense et active.
«Nous considérons toujours qu’il s’agit de l’une de nos enquêtes prioritaires. D’importantes ressources y sont encore allouées», a dit au Sun le Commissaire adjoint de la GRC, Gary Bass.
Bass a confirmé qu’il y avait plus d’un complot en cours en vue de tuer Hayer avant qu’il ne soit assassiné.
«Je dirais que de toute évidence il y avait plus d’un complot visant à assassiner Hayer et nous enquêtons toujours sur de multiples complots», a dit Bass.
Hayer s’est fait des ennemis en raison de sa chronique dans le Times, le journal en langue punjabi de Surrey (ndlr: dans la région de Vancouver) qu’il a publié pendant des années. Il ciblait régulièrement les militants de la Fédération internationale de la jeunesse Sikh (ISYF) et le Babbar Khalsa, des groupes terroristes qui ont par la suite été bannis.
Mais Hayer avait un secret qu’il n’a partagé qu’avec quelques personnes avant d’être assassiné. Il avait accepté d’être témoin dans l’affaire Air India, après avoir dit à la GRC qu’il avait entendu le leader de Babbar Khalsa, Ajaib Singh Bagri, avouer le complot.
Un meurtre. Un journaliste est mort. Un témoin dans l’affaire Air India. Tout contribue à distinguer le cas Hayer des autres homocides. Son cas est différent en raison de «la nature du crime et du fait qu’il est lié à l’attentat d’Air India», a dit Bass.
L’inspecteur Kevin Hackett est le chef du groupe de travail de la GRC sur le meurtre de Hayer – Le Projet Expedio.
«Nous poursuivons l’enquête sur un certain nombre de complots visant Hayer, et nous croyons que l’un d’eux a été conçu à Montréal», a déclaré Hackett.
Un autre tir mortel
L’enquête sur le cas Hayer a des points communs avec d’autres enquêtes liées au terrorisme ou au crime organisé – la réticence des témoins à coopérer avec la police.
Dave Hayer réalise que c’est difficile d’amener des gens ayant des connaissances de l’intérieur à se manifester. «Les gens viennent à moi et ils me disent des choses, et je leur dis: Si vous voulez vraiment aider, vous devez donner des informations à la police, dit Hayer. Ils disent: Regarde ce qui est arrivé à ton père. Il était protégé par la police, il était important, il connaissait tous les politiciens à tous les niveaux de gouvernement. Alors, s’ils peuvent l’avoir lui, qu’en est-il de moi?»
Tara Hayer n’est pas le seul témoin potentiel à avoir été tué. Son vieil ami et collègue, l’éditeur britannique Purewal Tarsem Singh, a été abattu à l’extérieur de son journal Southall en 1995. Purewal était l’homme qui, selon Hayer, avait eu une conversation avec Bagri sur l’attentat à la bombe.
En outre, un camionneur de Surrey a été condamné plus tôt cette année pour avoir tenté de faire tuer un autre témoin qui avait fourni des informations à la GRC sur l’affaire Hayer.
Un jeune gangster qui serait le tueur à gages dans le dernier complot contre Hayer, Daljit Singh (Umboo) Basran, est disparu en 2006 et est présumé mort.
Dave Hayer dit qu’il comprend l’hésitation des gens à se manifester, mais qu’ils doivent le faire si le Canada veut tourner la page sur cette période sombre d’extrémisme.
«Vous ne pouvez pas passer votre vie à terroriser les gens et à recourir à l’intimidation pour les amener à changer d’avis», a-t-il dit. «Si tout le monde importait ses problèmes au Canada, ce serait l’un des pires pays. N’importez pas vos problèmes ici, et ne commencez pas à menacer les gens, à tuer des gens».
Paul Gill, un résident de Surrey, était un ami de longue date de Tara Hayer. Outre les assassins, il est probablement la dernière personne à avoir vu Hayer vivant.
Gill travaillait à la campagne électorale au temple de la rue Ross, dont le siège à Surrey est à deux portes du Indo-Canadian Times.
Mercredi était la journée de tombée du Times et Tara invitait souvent ses amis au bureau pour boire un verre après que le travail était fini. Mais le 18 novembre, Hayer semblait pressé de rentrer à la maison. Il devait rencontrer quelqu’un.
«Je venais juste de garer ma voiture et de traverser la rue pour aller au bureau, et je l’ai croisé dans sa voiture. Il a klaxonné, et je me suis donc arrêté», a rappelé Gill. «Il a dit: Je dois partir et rencontrer quelqu’un. Il l’a répété deux ou trois fois. Alors peut-être quelqu’un l’avait-il appelé, et il allait le rencontrer à la maison. Avec le recul, il m’apparaît qu’il était pressé de rencontrer quelqu’un».
Tara bloquait l’entrée du complexe industriel pendant qu’il parlait à Gill.
«Une voiture est arrivée par derrière et voulait passer, et nous étions au milieu du chemin. Alors il est parti».
Gill et les autres se sont réunis au bureau de la campagne des modérés et ont appris le meurtre lorsque Dave Hayer et son beau-frère Kulwinder Aujla sont arrivés environ 90 minutes plus tard.
Ils voulaient refaire la première page du Times pour que les lecteurs sachent ce qui s’était passé.
«Ils étaient en état de choc, mais ils voulaient faire quelque chose, alors ils voulaient écrire dans le journal que Tara Hayer avait été assassiné».
À la résidence Hayer, l’épouse de Dave, Isabelle, avait décidé de nettoyer la scène du crime.
«Je me souviens que personne ne voulait aller dans le garage et j’y suis allée parce que quelqu’un devait s’en occuper. Il y avait une énorme mare de sang sur le sol et j’ai dû la nettoyer. C’était très difficile», dit-elle. «Je pensais à la douleur que mon père avait dû endurer à cause de cette vengeance, cette attaque très vicieuse. Je pensais à ce que ce tueur ou ces tueurs avaient pensé en commettant ce crime, juste à voir l’énorme quantité de sang sur le plancher».
Des menaces fréquentes
Tara Singh Hayer était franc et coloré. Il écrivait comment il voyait les choses, se livrant souvent à des attaques personnelles autant que politiques dans son journal.
Dans les premières années du mouvement séparatiste Khalistan au Canada, il était un sympathisant, étant bouleversé par la persécution de Sikhs en Inde.
Après que l’armée indienne ait donné l’assaut sur le Temple d’Or en juin 1984, il a condamné la Première ministre Indira Gandhi dans son journal. Mais il a également condamné les tactiques de Babbar Khalsa et la ISYF, des groupes qui gagnaient du terrain au Canada, qui recueillaient des fonds de la communauté et prônaient une vengeance violente.
Quelques mois après l’explosion du vol d’Air India le 23 juin 1985, Hayer était en vacances en Angleterre et il y a rencontré Purewal, qui conservait une proche amitié avec Hayer en dépit de leurs divergences de vues sur le Babbar Khalsa.
Hayer a plus tard déclaré à la police que Bagri, le travailleur du moulin à scie de Kamloops qui a ensuite été accusé puis acquitté de l’attentat à la bombe, était venu pour rencontrer Purewal.
La déclaration de Hayer disait que Bagri avait donné des détails du complot d’Air India à Purewal, qui était alors un allié de confiance. Hayer était derrière une cloison et a tout entendu, selon ce qu’il a déclaré à la police.
Quand Hayer est revenu au Canada, il a poursuivi ses attaques sans relâche contre le Babbar Khalsa, la ISYF et les responsables de la tragédie d’Air India. Il a même suggéré dans un article, soumis plus tard en preuve devant un tribunal, qu’alors qu’il était en Angleterre, Bagri avait avoué.
Hayer a été régulièrement menacé. Il a reçu des lettres, des appels téléphoniques et a été dénoncé dans des journaux rivaux.
Le 26 janvier 1986 – Fête de la république en Inde – une bombe a été enveloppée dans des pages du Montreal Gazette et laissée à l’extérieur du bureau du journal de Hayer à Surrey, un geste que les policiers considèrent comme la première tentative de le tuer. Personne n’a été blessé.
Moins de trois ans plus tard, le 26 août 1988, la deuxième tentative de le tuer a fait plus de dommages. Un jeune homme de 17 ans nommé Harkirat Singh Bagga s’est présenté au bureau de Hayer, disant qu’il voulait lui parler. Quand Hayer est arrivé à la réception, Bagga tiré six fois, blessant Hayer grièvement.
Bagga a été attrapé par un employé de Hayer qui l’a pourchassé dans la rue. Le jeune a initialement déclaré à la police qu’il avait été aidé tant par des membres de la ISYF que par le Babbar Khalsa, mais plus tard il a affirmé qu’il avait menti. Il a plaidé coupable et a été condamné à 14 ans de prison.
La police a appris plus tard que l’un des fusils de Bagga – un Magnum .357 – provenait d’un homme de Yuba City, en Californie, qui était également le propriétaire d’une arme à feu que la police a trouvée à la maison de Inderjit Singh Reyat à Duncan, le seul homme condamné dans l’attentat contre le vol d’Air India.
La récupération de Hayer à la suite de l’attaque de 1988 a été longue et douloureuse. Il a été confiné à un fauteuil roulant et souffrait énormément de l’une des balles que les médecins n’ont pu retirer. Mais il est retourné à son journal avec vigueur, se retournant complètement contre le mouvement séparatiste, disant que le rêve avait été détruit par les tactiques violentes.
Les mois qui ont précédé l’assassinat de Hayer ont été volatiles pour la communauté sikh. Des congrégations dans des temples à travers tout le Vancouver métropolitain ont été déchirées entre les vestiges du mouvement séparatiste sikh et une nouvelle faction modérée qui dénonçait les Khalistanis et exigeait des actes d’accusation dans les dossiers non résolus comme le vol d’Air India.
Des menaces d’une petite minorité d’extrémistes ont été fréquemment envoyées à Hayer et d’autres dirigeants modérés dans les mois précédant son assassinat.
L’une d’elles est arrivée par lettre à la salle des nouvelles du Sun le 23 décembre 1997, disant que Hayer serait tué s’il n’arrêtait pas de critiquer Ripudaman Singh Malik, le fondateur de la Khalsa School qui a été accusé, puis acquitté dans l’affaire Air India.
«Tu vas mourir, Hayer. Tu vas mourir comme la femme Gandhi», disait la lettre, se référant à l’assassinat de Indira Gandhi le 31 octobre 1984.
Mais Dave Hayer a dit que son père n’a jamais hésité, malgré les risques pour sa vie. Il avait essayé de convaincre son père d’abandonner le journal quelques jours avant le meurtre pour donner un peu de répit à son épouse, qui était constamment inquiète.
«J’ai dit: Peut-être qu’il est temps d’aller de l’avant et de laisser quelqu’un d’autre écrire sur Air India et le terrorisme, et peut-être qu’ils te laisseront tranquille», se rappelle Dave Hayer.
«Il a répondu: Penses-tu que la vie de quelqu’un d’autre est moins importante que la mienne?»
«Après son assassinat, je ressentais la même chose, que nous devions continuer».
Et sa mère, Baldev, a exhorté ses enfants à poursuivre la publication du journal à la mémoire de leur père, ce qu’ils font depuis 10 ans. «Elle a dit : Nous n’allons pas fermer le journal. Ils l’ont tué pour fermer le journal».
Ils reçoivent toujours des menaces. Ils sont la cible de propagande haineuse, mais ils continuent. «Nous ne pouvons pas permettre au terrorisme de gagner. Nous ne pouvons pas laisser ces criminels et ces terroristes venir ici et contrôler la vie du reste des Canadiens», a déclaré Dave Hayer.
Témoignage inclus dans le dossier d’enquête
Dans les 10 années écoulées depuis le meurtre, il y a eu beaucoup d’information sur les personnes soupçonnées de l’assassinat. Ajaib Bagri, l’homme que Hayer a impliqué dans sa déclaration aux policiers, a été inculpé en octobre 2000 pour complot dans la tentative de meurtre contre Hayer en 1988. Mais l’accusation a ensuite été suspendue quand un témoin clé a menti dans une affaire judiciaire indépendante, détruisant sa crédibilité. Et en décembre 2003, un témoin dans une affaire de gangs a témoigné que l’un de ses associés, un jeune gangster nommé Robbie Soomel, lui avait dit que Soomel Basran avait été engagé par le Babbar Khalsa à Kamloops pour tuer Hayer pour 50 000$.
Basran, le jeune homme maintenant présumé mort, a été bouleversé après avoir tiré sur Hayer, selon ce qui a été dit au procès.
«Vous auriez dû voir Umboo», aurait dit Soomel. «Il était près de pleurer. Umboo a dit que c’était comme voir son grand-père se faire abattre».
Le témoignage fait partie de la poursuite de l’enquête en cours sur le meurtre de Hayer. En fait, c’est le frère de Soomel Rajinder qui a plaidé coupable à une accusation de tentative de meurtre à la Cour provinciale de Surrey en mars dernier pour complot pour tuer le témoin qui a donné des informations à la police sur le cas Hayer.
La police continue d’enquêter sur les liens avec un autre complot impliquant des membres de la ISYF qui se sont réunis à Surrey dans les semaines qui ont précédé le meurtre de Hayer pour discuter d’un attentat à sa vie. Et les enquêteurs du Projet Expedio continuent de cibler des indices à Montréal, où un ancien chef de la Babbar Khalsa, Santokh Khela Singh, a confirmé au quotidien le Soleil plus tôt cette année que la police l’avait interrogé.
Khela a été catégorique qu’il n’a rien à voir avec le meurtre de Hayer et a dit qu’il n’avait aucune idée pourquoi la police l’avait approché.
Il y a eu des hauts et des bas dans l’enquête au cours des années. Les Hayer ont appris l’année dernière à l’enquête sur Air India, à Ottawa, que les caméras de la police à la résidence des Hayer ne fonctionnaient pas le soir du meurtre.
Apparemment, une antenne était tombée, ce qui signifie que la seule image filmée était de la neige. Mais Dave Hayer reste convaincu que quelqu’un finira par être traduit en justice pour le meurtre de son père.
«Toute notre famille garde espoir et je suis très optimiste qu’à la fin de la journée, toutes les personnes impliquées, ceux qui ont offert l’argent pour le meurtre, ceux qui ont embauché les tueurs, en paieront le prix».
kbolan@vancouversun.com
Voir aussi:
Crimes d’honneur – Depuis 2006 les Sikhs Canadiens prennent leurs responsabilités