Gregory Baum, un des invités à la Seconde conférence mondiale sur les religions du monde après le 11 septembre 2001 a écrit un livre consacré à la théologie de Tariq Ramadan intitulé Islam et modernité : la pensée de Tariq Ramadan. Gabriel Said Reynolds, assistant-professeur de théologie à l’Université Notre-Dame, a écrit du livre de Baum qu’il « est remarquable non seulement par ses erreurs de translitération et de traduction mais également par celles qui concernent l’islam ».
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À quelques semaines de la tenue de la Seconde conférence mondiale sur les religions du monde après le 11 septembre 2001 qui doit se dérouler à Montréal le 7 septembre prochain, Point de Bascule présente la critique d’un livre complaisant rédigé par Gregory Baum au sujet de la pensée de Tariq Ramadan.
Gregory Baum est professeur à l’Université McGill. Il fait partie des invités qui participeront à la conférence de Montréal en compagnie de Tariq Ramadan et du Dalaï Lama en septembre prochain.
L’ouvrage de Baum a d’abord été publié en anglais sous le titre The Theology of Tariq Ramadan – A Catholic Perspective par University of Notre Dame Press (Notre Dame, Indiana) et par Novalis au Canada (Montréal, 2009). L’ouvrage est disponible en français depuis 2010, sous le titre Islam et modernité : la pensée de Tariq Ramadan (Bellarmin, Montréal).
Gabriel Said Reynolds, un assistant-professeur de théologie à l’Université Notre-Dame a produit la critique dont nous vous présentons la traduction de larges extraits sous le titre original Sanctifying Islam. Elle est disponible dans sa version intégrale anglaise sur le site First Things.
Une autre critique du livre de Gregory Baum signée Pierre Brassard et publiée par The Métropolitain (Montréal) est disponible ICI.
Sanctifier l’islam
Par Gabriel Said Reynolds
Tariq Ramadan a ses défenseurs. Parmi eux, on compte le théologien catholique Gregory Baum qui lui a consacré l’ouvrage The Theology of Tariq Ramadan. Baum cherche à démontrer que Ramadan, loin d’être un terroriste en veston est un érudit « brillant et fascinant » de qui les catholiques devraient se sentir particulièrement proches.
De son propre aveu, Baum n’est pas un spécialiste de l’islam. Selon lui, cela confère à son analyse de la pensée de Ramadan un caractère « audacieux » (il considère également que Ramadan fait preuve d’audace). En parcourant son livre, le lecteur cherche parfois d’autres adjectifs pour qualifier la démarche de Gregory Baum puisque son livre est remarquable non seulement par ses erreurs de translitération et de traduction mais également par celles qui concernent l’islam.
Baum rapporte, par exemple, que le calife Mu‘awiya a tué Husayn, le petit-fils de Muhammad, ce qui provoqua la scission entre les sunnites et les chiites. En réalité, c’est le fils de Mu‘awiya, Yazid, qui a tué Husayn; Mu‘awiya s’est opposé (mais n’a pas tué) Ali, le père de Husayn. Ailleurs, Baum insiste pour déclarer que « toute la tradition musulmane » soutient que les humains sont des « entités autonomes » alors qu’en réalité une grande partie de la tradition musulmane n’y croit pas. Ce qui est encore plus agaçant c’est la présentation que Baum fait du renouveau (nahda) qu’a connu le monde arabe au début du vingtième siècle. Il omet le rôle joué par les chrétiens et il décrit le phénomène comme étant exclusivement un mouvement islamique de renouveau religieux. En cela, il suit les traces de Tariq Ramadan.
Baum se conforme également à la description faite par Ramadan du Coran, de Muhammad et de l’histoire des premières années de l’islam. Il rapporte que le Coran « honore la tradition biblique des juifs et des chrétiens » et qu’il « accorde une meilleure place aux juifs que ne le fait le Nouveau Testament ». Voilà des énoncés particulièrement étranges concernant le Coran :
qui suggère quelqu’un d’autre est mort sur la croix à la place de Jésus (Coran 4:157);
qui demande à Dieu de combattre les juifs et les chrétiens parce qu’ils sont hérétiques;
qui rapporte que Dieu a maudit les juifs et endurci leurs cœurs (Coran 5:13);
qui déclare que les juifs ont hérité d’une loi sévère parce que Dieu les a punis pour avoir désobéi.
Baum s’appuie également sur Ramadan pour affirmer que Muhammad a seulement mené un jihad de type défensif et pour défendre le faible. Cette interprétation est introuvable dans les sources islamiques classiques qui présentent toutes les victoires militaires de Muhammad comme des manifestations de grâce divine.
Baum adhère également à la description que fait Ramadan de l’histoire islamique. Il se complait dans la « créativité spirituelle » de l’islam, dans « l’épanouissement culturel de la communauté musulmane » et dans « l’application intelligente de la sagesse coranique ». Il ne pose aucune question concernant les aspects de l’histoire de l’islam qui ont affecté les chrétiens. En fait, Baum semble ignorer ou ne pas se préoccuper du fait que dans l’histoire, les chrétiens ont souvent été traités comme des citoyens de seconde zone et même pire, que les sièges des patriarcats d’Alexandrie, de Jérusalem et d’Antioche ont tombé sous l’occupation musulmane et que la chrétienté a été violemment éliminée de la péninsule arabique.
(PdeB) : Muhammad sur son lit de mort donna l’ordre d’expulser les chrétiens et les juifs de la péninsule arabique : « Je vais expulser les juifs et les chrétiens de la péninsule arabique pour n’y laisser que les musulmans ». (Hadith Muslim 19.4366)
En général, Baum, qui décrit sa lecture des ouvrages de Ramadan comme une expérience « spirituelle » et « religieuse » manifeste une grande confiance envers les affirmations de celui qu’il étudie. Il se conforme, sans ne rien remettre en question, notamment quand Ramadan présente sa définition fleur bleue de la charia (loi islamique) comme étant une « direction divine ». Baum prend également pour acquis l’argument apologétique de Ramadan selon lequel toutes les modifications apportées par Muhammad aux lois de son époque ont constitué des améliorations par rapport aux coutumes détestables qui prévalaient chez les Arabes de l’ère préislamique. Alors que Baum est un critique très ferme de l’Église concernant ses positions sur la sexualité et les privilèges des hommes, il défend les positions ambigües de Ramadan sur la lapidation des femmes adultères, la polygamie, l’homosexualité, etc. Il conclut en affirmant que « Ramadan a une meilleure compréhension du dilemme éprouvé par les croyants homosexuels que n’importe quel pape ou n’importe quel évêque ».
Sur ces questions, Gregory Baum saute dans le ring pour défendre Ramadan contre les musulmans libéraux qui ne font que défendre les mêmes positions que lui face à l’Église. Voici son explication : « Puisque Ramadan promeut tellement d’attitudes nouvelles dans l’islam, ce serait mal avisé de sa part que de défier les enseignements traditionnels de l’islam en matière de sexualité. S’il le faisait, il nuirait au mouvement de renouveau ».
Il s’agit là d’une explication charitable qui n’est pas sans mérite. Ceci étant dit, il convient de faire remarquer que Baum ne manifeste pas la moindre dose de charité quand il parle de sa propre Église. Il dépeint constamment l’Église comme une institution entêtée dont les mérites proviennent essentiellement de « catholiques qui réfléchissent » comme Jean XXIII et Gregory Baum.
Il y a un point encore plus important que les sympathies de Baum à considérer dans ce livre. Il s’agit de la place que le christianisme occupe dans la théologie de Ramadan. Voici la question spécifique sur laquelle on se serait attendu de retrouver un commentaire dans un livre qui prétend apporter une perspective catholique sur la théologie de Ramadan. Le message islamique traditionnel est clair :
Jésus était un musulman.
Le christianisme est une religion falsifiée qui a été inventée par ceux qui ont supprimé le message de Jésus.
Jésus a apporté une écriture islamique nommée Injil.
La Bible est un livre corrompu concocté par ceux qui ont cherché (insidieusement) à la remplacer.
Le Coran condamne les chrétiens pour leurs croyances excessives et les qualifie d’infidèles.
Le Coran suggère que les chrétiens vénèrent Dieu, Jésus et Marie comme une Trinité et qu’ils vénèrent leurs prêtres plutôt que Dieu.
Cela conduit Jésus lui-même à désavouer les chrétiens.
Quelle est la position de Ramadan au sujet du christianisme? Baum ne pose jamais la question mais ce n’est pas difficile d’y répondre. Ramadan écrit que le Coran « complète et corrige les messages qui l’ont précédés » et il explique que « de croire dans un livre qui est venu après d’autres implique nécessairement que l’on croit qu’il y a des défauts ou des distorsions dans les premiers ». En d’autres termes, il maintient tout simplement la position traditionnelle de l’islam qui prétend que la Bible (et par extension le christianisme) a été falsifiée.
Il n’y a rien d’inhabituel à propos de cela et Baum n’avait pas à s’en sentir offensé. Malgré tout, il aurait pu prendre la peine de consacrer une phrase ou deux à la vision que Ramadan se fait du christianisme dans un livre dont la page couverture (de la version anglaise) nous annonce qu’il offre une « perspective catholique sur la théologie d’un penseur musulman ». C’est le silence de Baum sur cette question qui est paradoxal. Baum est également silencieux sur la position de Ramadan concernant le sort des chrétiens qui vivent en territoire islamique. Alors qu’il se préoccupe du sort des musulmans qui vivent en Occident, Baum ne remet jamais Ramadan en question, notamment en ce qui concerne le droit des chrétiens à faire du prosélytisme dans le monde musulman, un droit dont Ramadan (dont l’épouse est une convertie à l’islam) jouit et qu’il exerce en Europe.
Est-ce que Gregory Baum sait que de prêcher l’Évangile peut signifier une condamnation à mort dans de nombreux pays musulmans?