On peut s’attendre à ce que les élus d’Ennahda (Frères Musulmans) seront « démocrates » quand ça les arrangera mais toujours à l’affût pour poser, ici ou là, des formulations « théocrates » dans la Constitution.
L’article complet est disponible sur le site du Monde (14 octobre 2011)
La Tunisie joue sa liberté
Dans cette démocratie balbutiante, les Tunisiens doivent choisir les rédacteurs de leur avenir parmi cent listes où surnagent cinq grands partis, dont le parti islamiste Ennahda, sans doute le plus connu. Le délai a été court pour rattraper ces écarts de notoriété.
Les premières enquêtes situent les islamistes entre 20 % et 30 %. Mais le danger réside moins dans le score d’Ennahda que dans le manque de lucidité des politiques qui lui font face. A l’exception du tout nouveau parti Doustourna de Jawhar Ben Mbarek (jeune, juriste et laïque), tous semblent avoir renoncé à mener une bataille sémantique capitale : éviter que l’islam apparaisse comme la religion de l’État tunisien.
Ce sera l’obsession inavouée des élus d’Ennahda, souvent avocats et maîtres dans l’art du double discours. « Démocrates » quand ça les arrange mais à l’affût pour poser, ici ou là, des formulations « théocrates » dans la Constitution. Avant même d’entamer les négociations, ils sont parvenus à assimiler la « laïcité » à une forme d’athéisme, voire à de la colonisation occidentale. Qu’en sera-t-il pendant et après ?
Selon un scénario bien rodé et bien connu, Ennahda se présente déjà comme un « juste milieu » comparé aux excès salafistes qui se déchaînent. Après avoir attaqué des maisons closes et le film de Nadia El Fani, Laïcité Inch’ Allah, les voilà qui s’en prennent à la chaîne de télévision privée Nessma… pour avoir diffusé le très beau film de Marjane Satrapi, Persepolis, qui raconte la prise de pouvoir des intégristes en Iran et représente Dieu dans une scène. Le directeur de la chaîne, Nebil Karoui, a commencé par tenir bon, avant de commettre une volte-face spectaculaire. Allant jusqu’à présenter ses excuses pour avoir porté atteinte au « sacré ». Cette capitulation en rase campagne envoie un signal terrible. L’intimidation paie, et rien ne lui résiste. A moins d’un sursaut, laïque et déterminé, la liberté d’expression – si chèrement acquise – est en sursis en Tunisie.