Dans le cadre des travaux de la Commission Bouchard-Taylor, l’Institut du Nouveau Monde (INM) présentait un forum d’une journée sur le thème suivant : Qui sont les Québécois musulmans?
[a]
Michel Venne, président de l’INM, décrivait ainsi les objectifs du forum : «Une journée comme aujourd’hui, ça permet de faire le ménage entre des préjugés et des réalités» [b] . Après l’évènement, M. Venne a exprimé une certaine déception : «Il aurait été souhaitable qu’il y ait davantage de personnes de confession non musulmane pour dialoguer avec nous». [c]
Et si la question était formulée autrement ? Puisqu’il y a une diversité d’opinions et de tendances au sein même de la communauté musulmane du Québec, ne serait-il pas souhaitable que les membres de cette communauté se réunissent pour dialoguer entre eux des problèmes qui les concernent et qu’ils fassent leur « ménage » avant de participer à un forum publique? Ce que M.Venne omet de mentionner, c’est qu’il a malgré tout offert une plateforme à un seul groupe religieux, les musulmans, connu pour ses demandes d’accommodement à caractère communautariste plutôt qu’individuel.
Lors du forum, on a rappelé que ce sont des chrétiens évangélistes et non des musulmans qui ont demandé le plus grand nombre d’accommodements. Cet argument ne cesse d’être mis de l’avant. Pourtant, les accommodements consentis aux chrétiens n’ont jamais été invoqués depuis le début des travaux de la Commission Bouchard-Taylor. Il serait intéressant de savoir comment les institutions visées par ces accommodements « chrétiens » ont été touchées. C’est la nature de certains accommodements qui ont choqué l’opinion publique.
Les accommodements qui choquent sont ceux qui heurtent le principe d’égalité entre les hommes et les femmes, ceux qui imposent des dépenses à des institutions publiques pour instaurer un privilège et ceux qui mettent en péril le caractère laïc de l’état. Dans ce créneau, nombreuses sont les revendications des groupes de pressions musulmans: de l’instauration de la charia aux locaux de prière en passant par le droit de ne transiger qu’avec des femmes dans l’espace public (hôpitaux, piscine, élections).
M. Venne et les commissaires n’ont pas jugé opportun d’organiser des forums consacrés aux bouddhistes, aux hindous, aux Sikhs, aux juifs, aux chrétiens, aux athées ou aux autochtones. Pourquoi ? On a l’impression que le mot immigrant est uniquement associé à celui de musulman ici. Pourtant, les commissaires Bouchard et Taylor rappellent constamment les termes du débat : « pluralité et diversité ». Les autres communautés ont-elles moins d’importance, de besoins, de visibilité ou d’exigences que les musulmans?
Si ces autres groupes requièrent moins d’attention, il serait intéressant de savoir pourquoi. La communauté musulmane aurait intérêt à explorer les facteurs qui expliquent le succès d’intégration des autres minorités religieuses du Québec.
Les autres groupes religieux, dont certains sont minoritaires, ont des caractéristiques particulières qui ne semble pas exister ou porter fruit dans la communauté musulmane. Les chrétiens ont leur conseil œcuménique, les juifs ont leurs propres lieux de rencontre et de dialogue malgré qu’ils connaissent une diversité de points de vue, les Sikhs ont leurs propres forums et les bouddhistes, eux, ont créé le conseil bouddhiste de Montréal (et du Canada). On n’entend jamais parler de ces groupes, bien organisés et structurés. Les espaces de dialogue intra-religieux qu’ils se sont donnés permettent probablement à leurs membres d’intervenir de manière plus efficace pour cibler et condamner les éléments extrémistes qui pourraient se manifester chez eux.
Prenons l’exemple de la communauté Sikh. Au lendemain de l’explosion du vol d’Air India, cette communauté a fait le nécessaire pour démontrer à la population canadienne qu’elle n’endossait pas ces actes. Il ne s’agissait pas uniquement de vaine parole de condamnation mais d’actions pour stigmatiser les éléments extrémistes de l’importante communauté sikh canadienne.
Le forum de l’Institut du Nouveau Monde aurait pu servir à faire ce ménage à l’intérieur d’une communauté musulmane éclatée dans ses opinions, ses messages et ses revendications. C’est cet éclatement qui permet à des groupes de pression extrémistes comme le Congrès Islamique du Canada et Présence musulmane, de monopoliser le débat public et d’amalgamer leur position radicale aux revendications de tous les musulmans du Québec. N’oublions pas qu’ils sont nombreux les musulmans à s’être réfugiés chez nous pour quitter des pays où ces radicaux faisaient la pluie et le beau temps.
Le manque d’intérêt manifesté par les non-musulmans pour le forum de l’INM s’explique par la teneur de propos habituels qui oscillent entre accusation de racisme (islamophobie) et déni d’un problème d’identité chez les musulmans eux-mêmes, le tout enrobé d’émotions et de justifications irrationnelles. Depuis le début de la commission Bouchard-Taylor, les Québécois démontrent en fait qu’ils ne sont pas en proie à une crise identitaire. Les valeurs fondamentales du Québec et du Canada sont claires aux yeux de la majorité des intervenants: laïcité, droit des femmes, religion dans la sphère privé, refus de discours qui encouragent la haine (fussent-ils prononcés par un leader religieux) et démocratie. Il est malheureusement tabou d’évoquer la crise identitaire que vivent les immigrants issus de pays à tendance théocratique.
Brisons le tabou. Les pressions pour faire modifier les lois canadiennes afin de privilégier l’orthodoxie islamique et les menaces réitérées d’actes de terrorisme contre le Canada et le Québec viennent de personnes qui s’assument comme musulmans, qui invoquent des écrits de l’islam et l’exemplarité de leur prophète, qui agissent au nom de l’islam, au nom de tous les musulmans. La communauté musulmane devrait admettre cette réalité plutôt que de pointer un doigt accusateur vers ceux qui exposent cette réalité. Les Québécois auront une certaine sympathie pour les musulmans le jour où ces derniers démontreront concrètement leur volonté de contrer la montée documentée [d] du radicalisme au sein des communautés musulmanes tant au Canada qu’à l’échelle internationale.
- [http://www.accommodements.qc.ca/forums-nationaux/index.html->http://www.accommodements.qc.ca/forums-nationaux/index.html]
- Marilou Séguin, [Des musulmans préoccupés->http://www.canoe.com/infos/quebeccanada/archives/2007/10/20071029-114900.html] Journal de Montréal, 29 octobre 2007
- idem
- [Quelques sondages->49]