Le New York Times a rapporté que l’American Anthropological Association tenait un congrès international à Washington en fin de semaine dernière. Des experts critiquent la campagne contre l’excision, y voyant une forme d’impérialisme culturel des féministes occidentales. Le congrès met de l’avant une « troisième vague » représentée par des « féministes multiculturalistes » favorables à l’excision, et créé un « espace discursif émergent » pour des opinions jusque-là ignorées dans le débat mondial sur l’excision.
Les femmes africaines doivent-elles être autorisées à continuer la pratique de l’excision? Les critiques de cette pratique sont-ils justifiés de lutter pour la bannir ou font-ils plutôt preuve d’ignorance et d’impérialisme culturel?
Des délégués d’organisations internationales opposés à l’excision ont débattu de cette question avec des anthropologues aux vues opposées, y compris des anthropologues d’origine africaine elles-mêmes excisées.
Le Dr Richard Shweder de l’Université de Chicago soutient que les occidentaux qui plaident pour la « tolérance zéro » face à l’excision ne réalisent pas que des femmes sont au centre de ce rite initiatique qu’elles voient comme une procédure cosmétique offrant des avantages esthétiques. Il fustige les Américains et les Européens pour leurs lois contre l’excision alors qu’ils permettent leurs propres formes de modification génitale comme la circoncision des garçons et la « réjuvénation vaginale » à des fins esthétiques. Il a passé en revue les études sur l’excision et comparé les données avec la « rhétorique » sur ses effets nuisibles. Il conclut que « le féminisme du premier monde », la rectitude politique et l’activisme l’ont emporté sur une évaluation critique des données.
Dr Ahmadu, post-doctorante à l’Université de Chicago, a été élevée aux États-Unis et est retournée au Sierra Leone à l’âge adulte pour se faire exciser. Elle reproche aux critiques de l’excision leur exagération des risques pour la santé, leur incompréhension de ses effets sur le plaisir sexuel, et leur prétention erronée que l’ablation d’une partie du clitoris est une pratique qui opprime les femmes. Elle déplore que les féministes occidentales « insistent pour nous priver d’un rituel initiatique important pour les femmes et qui est ancré dans notre patrimoine culturel unique et puissant.»
Le Dr Wairimu Njambi, originaire du Kenya, est professeur d’études féministes de l’Université Florida Atlantic. Elle consacre sa carrière à promouvoir la notion que la lutte à l’excision perpétue un discours colonialiste qui cherche à universaliser une vision occidentale de ce qu’est un « corps normal » et une « sexualité normale ». Pour le Dr Njambi, l’excision représente en fait un triomphe pour le féminisme.
L’excision vue par une anthropologue canadienne
L’approche postmoderne est aussi présente dans les milieux universitaires canadiens. Janice Boddy, doyenne du département d’anthropologie à l’Université de Toronto, a récemment publié un livre sous le titre Civilizing Women : British Crusades in Colonial Sudan. Elle refuse de condamner inconditionnellement l’excision, dont elle recommande la continuation, préférant plutôt fustiger le colonialisme. (National Post, 25 août 2007)
Motifs justifiant l’excision
Selon l’UNICEF, l’excision (« mutilation génitale féminine » ou MGF) garantirait une place reconnue dans la communauté, la possibilité de se marier, la chasteté, la santé ainsi que l’honneur de la famille (rapport PDF). Son but est l’intégration. C’est la femme non excisée qui est victime de discrimination. On la considère comme impure, on la méprise et on la juge inapte au mariage.
Pourquoi l’excision perdure?
Le consensus veut que l’éducation soit le premier instrument de lutte contre l’excision. Le magazine Afrik.com a toutefois donné la parole à une ivoirienne qui recommande que l’éducation vise non seulement les populations analphabètes, mais aussi les « intellectuels » qui véhiculent un message dangereux.
Yaya Fanta, Ivoirienne, 50 ans
« Certains intellectuels véhiculent un message dangereux »
Si des leaders, femmes de surcroît, tiennent ce genre de discours, cette pratique a encore de beaux jours devant elle. Donc il ne faut pas simplement axer la sensibilisation sur les analphabètes, mais aussi sur les citadins et les intellectuels.
« Un jour, la présidente d’une ONG très connue qui milite pour la promotion de la femme et spécialisée dans la santé m’a dit que l’excision est une bonne pratique, qu’il ne faut pas y voir qu’un acte que nous appelons mutilation, puisque la pratique entre dans le cadre d’une initiation. Une réflexion que je trouve complètement paradoxale et dangereuse car elle contribue à pérenniser l’excision. Si des leaders, femmes de surcroît, tiennent ce genre de discours, cette pratique a encore de beaux jours devant elle. Donc il ne faut pas simplement axer la sensibilisation sur les analphabètes, mais aussi sur les citadins et les intellectuels.»
L’excision et l’islam
Le 3 juillet 2007, le grand mufti du Caire Ali Gomaa responsable de la Haute commission des Affaires religieuses rendait publique la position de son organisation selon laquelle « L’excision est totalement interdite par l’islam en raison de ses effets physiques et psychologiques néfastes ». Gomaa a été nommé à son poste par le gouvernement égyptien et sa déclaration reflétait le point de vue du gouvernement sur la question.
Yousuf Al-Qaradawi, un théologien indépendant du gouvernement Moubarak et l’un des plus influents dans le monde arabe a toutefois émis une fatwa favorable à l’excision: « Celui qui pense que l’excision peut avoir des effets positifs sur ses filles devrait la pratiquer et personnellement, je soutiens cette pratique que je juge nécessaire dans le monde moderne. L’excision améliore la santé de la femme et ses relations conjugales. Mais si quiconque choisit de ne pas la faire, il ne commet aucun péché. » Le théologien prévient toutefois qu’ « il est important de rappeler que le prophète a dit “ne dépassez pas la limite”, c’est-à-dire, n’enlevez pas la totalité du clitoris. »
La Presse (10 octobre 2007) rapportait que malgré l’interdiction de l’excision en Égypte, cette opération est pratiquée dans les hôpitaux du pays. Le gynécologue Mounir El-Hao estime que l’excision est « prescrite par la religion ».
L’ablation du clitoris n’est pas nécessaire pour toutes les filles. « La sunna du Prophète dit de réduire sans mutiler », insiste le médecin. Il dit refuser les patientes « qui n’ont pas besoin de l’opération » malgré l’insistance des parents. Quelles sont ces jeunes patientes (de 9 à 13 ans) pour qui l’excision est nécessaire? « C’est une partie du corps qui peut être très douloureuse pour certaines, causant des problèmes de démangeaisons ou de frictions. Certaines sont allumées inutilement, dans des contextes non sexuels. On réduit donc la région pour régler le problème», explique le gynécologue qui compte 35 années de pratique et estime à 40% le nombre de filles qui ont besoin d’être excisées. Il réitère toutefois que la religion est la raison première de sa pratique.
L’aiguille contre couteau? Polémique autour d’une alternative à l’excision?
En 2004, le gynécologue Omar Abdulkadir qui pratique en Italie a déclenché une vive polémique après avoir proposé une alternative médicale à l’excision. Le spécialiste d’origine somalienne espérait anesthésier le clitoris au lieu de le couper, offrant à ses clientes d’origine africaine un « rite symbolique » respectueux de leur tradition. Son projet avait été retenu au niveau de la commission de bioéthique locale de Florence où il travaille. Mais il s’est attiré les foudres des associations de défense des droits de la femme qui estimaient que cette pratique « porte préjudice au combat mené pour éradiquer une fois pour toute les mutilations génitales féminines »
L’excision au Québec et au Canada
Selon un article paru dans le Journal du Barreau du Québec (Page 11), des groupes de femmes et des intervenants de la santé estiment que plusieurs immigrants font exciser leurs fillettes soit au Canada, soit en retournant temporairement dans leur pays d’origine. Selon le Centre de recherche et de formation CLSC Côte-des-Neiges de Montréal, « un nombre grandissant de fillettes vivant des problèmes de santé reliés à ces pratiques se présentent aux services de santé canadiens » Aucune statistique n’est disponible. Il semble que le phénomène soit en grande partie clandestin.
L’excision est criminalisée et médicalement interdite au Canada. La personne qui pratique une excision peut être accusée de voies de fait graves. Cette pratique constitue aussi une violation du droit des fillettes et des femmes à la dignité humaine et à l’intégrité physique protégé par les Chartes des droits. Le risque d’excision est un motif de signalement à la Direction de la protection de la jeunesse.
Le gouvernement du Québec avait promis un plan d’action pour contrer l’excision en 2005. Ce plan se fait toujours attendre .
Information sur les MGF
Les MGF regroupent les interventions aboutissant à une ablation partielle ou complète des organes génitaux externes de la femme. Elles sont généralement pratiquées sur des fillettes de moins de 10 ans.
Conséquences pour la santé
Selon l’OMS, l’excision peut entraîner des kystes et abcès, des lésions de l’urètre entraînant une incontinence urinaire, des rapports sexuels douloureux, un dysfonctionnement sexuel et des problèmes majeurs à l’accouchement. L’excision peut marquer à vie la mémoire de celles qui l’ont subie. A plus long terme, les femmes peuvent souffrir d’un sentiment d’inachèvement, d’angoisse ou de dépression.
Lorsque des campagnes ont été menées pour informer sur les conséquences de l’excision, cela a entraîné une augmentation rapide des excisions exécutées par des professionnels de la santé. L’OMS condamne fermement l’excision même si elle est pratiquée par des professionnels de la santé, affirmant que « du point de vue des droits humains, la médicalisation ne rend nullement la pratique plus acceptable.»
Prévalence et distribution
Selon l’OMS, la plupart des cas de mutilation sexuelle chez des fillettes ou des femmes concernent 28 pays d’Afrique, mais quelques-uns concernent l’Asie et le Moyen-Orient. On trouve d’autre part de plus en plus de cas en Europe, en Australie, au Canada et aux États-Unis, avant tout parmi des immigrants de ces pays.
A l’heure actuelle, on estime qu’entre 100 et 140 millions de fillettes et de femmes ont subi une mutilation sexuelle. On pense que, chaque année, deux autres millions de fillettes risquent d’être soumises à cette pratique.
Lire aussi:
Voir les dossiers de l’Organisation mondiale de la santé
http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs241/fr/index.html
http://www.who.int/mediacentre/news/releases/2006/pr30/fr/index.html
Voir aussi le dossier sur wikipedia: http://fr.wikipedia.org/wiki/Mutilations_g%C3%A9nitales_f%C3%A9minines#L.E2.80.99excision_en_Occident
Voir vidéo: Égypte : Débat sur l’ablation du clitoris
Aussi à lire sur Yusuf Al-Qaradwi: I’m sorry…. For the terrible crimes committed by Muslims, par Salim Mansur, Toronto Sun, le 30 septembre 2006