Elles sont harcelées… Et pourtant, elles sont modestement vêtues et portent le foulard. De plus, 90% d’entre elles sont excisées…
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LE CAIRE – Les égyptiennes organisent elles-mêmes la lutte au harcèlement sexuel après avoir échoué à convaincre leur gouvernement d’agir. Un mouvement pour éliminer l’un des problèmes sociaux les plus durables de l’Égypte s’est mis en branle après l’attaque collective révoltante contre des dizaines de femmes autour d’un cinéma au centre-ville du Caire en 2006.
De toute évidence, un changement s’est produit dans les attitudes des femmes, tant égyptiennes qu’étrangères. N’acceptant plus de subir les abus en silence, elles ont commencé à parler de leur expérience quotidienne de harcèlement.
L’abus sexuel verbal, les regards inappropriés, les tâtonnements, et même la violence, sont de plus en plus répandus dans les rues animées d’Égypte, comme l’ont signalé la quasi-totalité des femmes.
«Les femmes ont enfin commencé à parler et à comprendre qu’elles ne sont pas seules, surtout après ce qui s’est passé en 2006», a déclaré Nehad Abou Komsan, présidente du Centre égyptien pour les droits des femmes (ECWR).
En octobre 2006, au cours des célébrations de l’Eid qui suivent le mois sacré du Ramadan, ce qui semble avoir commencé par un ou deux incidents a éclaté spontanément en émeute. Des dizaines de jeunes hommes ont saccagé le secteur, attaquant les femmes, les tâtonnant et déchirant leurs vêtements. Les commerçants ont dû ouvrir leurs portes pour permettre aux victimes d’échapper à la terreur. Un certain nombre de blessures ont été rapportées aux médias, notamment au Middle East Times.
Lorsqu’on lui a demandé d’agir contre la violence, le gouvernement égyptien a nié les faits, disant que «si quelque chose s’était produit, les gens auraient déposé des accusations».
Dans les deux années qui ont suivi l’attaque au centre-ville du Caire, des représentants du gouvernement ont souvent dit que les femmes sont au coeur du problème.
Mohsen Reda, un député égyptien, a dit que les femmes devraient s’habiller plus modestement car «un grand nombre de nos jeunes n’ont pas les moyens de se marier, alors c’est normal qu’il y ait du harcèlement».
Les égyptiennes sont tout à fait en désaccord.
«C’est étrange», a commencé Ola, 65 ans, mère retraitée de deux filles, en réponse à une question sur la modestie dans les rues animées d’Égypte.
«Il doit parler d’un autre pays. Si vous marchez dans la rue, vous verrez la vérité: les femmes sont modestes», a-t-elle dit. «Bien sûr, vous pouvez voir un faible pourcentage de collégiennes qui aiment suivre la mode, mais c’est tout».
«Les femmes qui portent le foulard sont aussi constamment harcelées», a-t-elle ajouté.
Une autre femme accuse le gouvernement d’être partie du problème. Asma Abdel Khalek, 30 ans, dit que l’inaction des autorités permet implicitement au harcèlement de continuer.
«Je pense que notre gouvernement a une part de responsabilité. En n’arrêtant pas les auteurs du harcèlement, il les encourage à continuer », a-t-elle dit.
Malgré la perception de léthargie du gouvernement, de nouvelles campagnes gouvernementales ont récemment vu le jour, dont une visant essentiellement les hommes. Elle demande aux Égyptiens de réfléchir avant de harceler.
En utilisant des phrases telles que «ta mère» ou «ta soeur», des activistes locaux ont tenté d’amener les hommes à réfléchir aux membres de leur famille avant d’abuser des femmes.
Mais ces tentatives ont échoué parce que les hommes se sont moqués des slogans.
La campagne ayant connu le plus grand succès à ce jour a été celle de ECWR «Préserver la sécurité de nos rues», étalée sur près de deux ans. Elle vise à s’attaquer au cœur du problème, par la recherche et des ateliers qui mobilisent la société.
L’ONG explique sa stratégie: «Nous constatons qu’en améliorant la compréhension des faits, les gens comprennent mieux ce qui se passe. C’est un vrai problème qui doit être confronté par tous les Egyptiens, pas seulement les femmes».
Pour Abou Komsan, même si les campagnes et l’activisme sont importants dans la lutte contre ce problème persistant, les femmes ordinaires peuvent jouer un rôle.
«Ça n’a pas d’importance qu’on soit un défenseur des femmes ou une personnalité féminine. Les femmes forment une partie essentielle de la société, et tant qu’elles seront actives dans différents secteurs, elles défendront leurs droits et ceux des autres», a-t-elle fait valoir.
«Le problème est que les femmes ne pouvaient parler, elles avaient honte et craignaient d’être blâmées par la société. Maintenant, elles ont moins peur de parler et elles savent qu’elles ne sont pas seules et que le harcèlement n’est pas leur faute. Ce qui, à son tour, encourage la société égyptienne à comprendre ce qui se passe et contribue à le résoudre», a dit la responsable de ECWR.
Elle a évoqué la première notaire du monde islamique, Amal Soliman, qui délivre des certificats de mariage et de divorce en Égypte. Sa nomination a créé des remous dans cette profession masculine, mais Abou Komsan estime que ce sont des femmes comme elle, qui innovent dans la société, qui finiront par aider à abattre les préjugés sur les femmes.
La dirigeante du ECWR est tout à fait convaincue que les choses vont dans le bon sens: «Je suis optimiste quant à l’avenir», dit-elle.
La question de savoir si les hommes prendront ce problème au sérieux et changeront leurs comportements est un sujet de débat quotidien chez les analystes et les Égyptiens ordinaires. Une chose est toutefois certaine, les femmes dans tout le pays en ont assez d’avoir peur de sortir de chez elles, et elles ne veulent pas que leurs filles et les générations futures de femmes en Égypte aient à subir une telle discrimination.
Voir aussi:
Régression tragique de la condition des femmes dans les pays arabes
Égypte – Les Frères musulmans réclament l’arrestation d’une féministe pour “blasphème”