DU TOTALITARISME D’HASSAN AL-BANNA À L’ISLAM ENGLOBANT DE TARIQ RAMADAN (2/3)
(Partie 1/3) et (Partie 3/3)
« Les Frères Musulmans doivent comprendre leur travail d’implantation en Amérique comme une sorte de grand jihad visant à éliminer, à détruire de l’intérieur la civilisation occidentale et à saboter sa misérable demeure afin que la religion d’Allah soit victorieuse sur toutes les autres religions. (…) C’est la destinée du musulman que de mener le jihad peu importe où il se trouve et ce, jusqu’à son dernier souffle. »
[Extraits du mémorandum des Frères Musulmans de 1991 – Investigativeproject.org]
Une bien curieuse défense d’Hassan al-Banna
Sur son site en langue anglaise, Présence Musulmane Canada présente un article de Mark Levine, un professeur d’histoire et d’études islamiques à l’Université de Californie (Irvine) qui défend la réputation d’Hassan al-Banna d’une façon bien étonnante. Il prétend qu’on ne peut pas parler du totalitarisme d’al-Banna car le terme « totalitarisme » n’aurait pas été en usage lorsque le leader islamiste commença à connaître la notoriété. Comme si les concepts précédaient les réalités qu’ils cherchent à décrire plutôt que de le contraire.
Au départ, le concept de totalitarisme fut développé pour décrire le fascisme. Il apparut quelques années après que la doctrine politique ait fait son apparition en Italie. Si Mark Levine est toujours convaincu que les concepts précèdent l’apparition des réalités qu’ils cherchent à décrire, il peut malgré tout s’autoriser à écrire sur le totalitarisme d’al-Banna puisque, contrairement à ce qu’il affirme, l’arrivée du concept précéda la fondation des Frères Musulmans de plusieurs années.
Voici la séquence des événements:
1919
Le fascisme fait son apparition comme doctrine politique en Italie.
1922
Mussolini prend le pouvoir.
1923
Le 12 mai, l’antifasciste italien Giovanni Amendola (1882 – 1926) fait paraître un article dans le journal Il Mondo où il utilise le concept de totalitarisme. L’information est rapportée par Simona Forti [Il totalitarismo, Bari, Laterza, 2001] (Wikipedia italien) et par Richard Pipes dans son ouvrage Russia Under the Bolshevik Regime [New York, Knopf, 1993, p. 243].
1925
Mussolini (1883 – 1945) utilise le terme « totalitarisme » de façon positive cette fois-ci pour faire ressortir l’idée que, sous le fascisme, toutes les activités humaines relèvent du politique, donc de l’État. Richard Pipes (p. 243) mentionne l’information dans son ouvrage déjà cité. C’est à la même époque que Mussolini résume sa doctrine politique par la formule « Tout dans l’État, rien hors de l’État, rien contre l’État ».
1926
Giovanni Amendola qui avait inventé le concept de totalitarisme meurt des suites de blessures que lui infligèrent des supporteurs de Mussolini qui vinrent l’attaquer à Cannes où il s’était réfugié (Wikipedia).
Luigi Sturzo (1871 – 1959), un autre antifasciste italien fait paraître son livre L’Italia e il fascismo (L’Italie et le fascisme). La traduction anglaise est généralement disponible dans les bibliothèques universitaires nord-américaines. Dans l’extrait suivant, Sturzo précise la notion de totalitarisme : « De plus en plus, le fascisme se révèle sous son vrai jour comme un mouvement d’intransigeance et d’intolérance, dans ce qu’on appelle aujourd’hui du totalitarisme. Il centralise la vie politique et économique, bannit toute les manifestations de libre expression, réduit tous les pouvoirs de l’État (exécutif, législatif et judiciaire) au seul pouvoir exécutif, ce qui le transforme en une véritable dictature. » [Italy and Fascism, New York, Howard Fertig, 1967, p. 214 – Première édition par Faber and Gwyer en 1926]
1927
Giovanni Gentile (1875 – 1944), un des idéologues de Mussolini, publie un texte sur les origines du fascisme. À son tour, il utilise le concept de totalitarisme de façon positive: « Le premier point qu’il convient d’établir dans une définition du fascisme, c’est la nature totalitaire de sa doctrine. Le fascisme ne se préoccupe pas seulement du domaine politique et de la direction qu’il faut donner à la nation mais de sa volonté, de sa pensée et de son sentiment. » [Origins and Doctrine of Fascism, London, Transactions Publishers, 2004, p. 21]
1928
Fondation des Frères Musulmans pas Hassan al-Banna.
1936
Début des activités politiques des Frères Musulmans.
Le troupeau et le corps social
Les tenants d’idéologies totalitaires conçoivent la société comme un tout indivisible qui ne peut et ne doit se mouvoir que dans une direction donnée. Les images fréquemment utilisées pour décrire cette utopie sont celle du troupeau et celle du corps humain. Les apologistes du totalitarisme comparent fréquemment le statut des membres de la société dont ils rêvent à celui des brebis dans un troupeau ou à celui des membres d’un corps humain.
Dès les toutes premières lignes de son texte Towards the Light (Vers la lumière), Hassan al-Banna utilise la métaphore du troupeau pour désigner la nation musulmane. Il écrit des leaders politiques qu’ils doivent se considérer comme des bergers responsables d’un troupeau.
De son côté, Youssef al-Qaradawi, le leader spirituel actuel des Frères Musulmans, compare l’oumma (la nation musulmane) à un corps humain au chapitre 2 de son texte Priorities of The Islamic Movement in The Coming Phase (Les priorités du mouvement islamique à la prochaine étape). Il écrit de l’organisation des Frères musulmans qu’elle doit devenir « l’âme d’un corps », le « sang qui coule dans les veines » de la nation musulmane, etc. En cela, la terminologie islamiste est identique à celle que les adeptes du fascisme et du corporatisme utilisèrent pour décrire leur propre nation.
En 1926, Mussolini déclarait dans un discours « qu’il n’y a pas un seul travailleur italien (…) qui ne souhaite pas être un atome vivant de ce grand, de cet énorme organisme vivant qu’est l’État fasciste. » [Fascism Doctrine and Institutions (La doctrine et les institutions du fascisme), Rome, Ardita, 1935 worldfuturefund.org]
Dans la même veine, en 1927 l’idéologue du fascisme Giovanni Gentile écrivait « qu’un peuple est une nation s’il a (…) uni tous ses membres éparpillés en un seul corps ». [Origins and Doctrine of Fascism, London, Transactions Publishers, 2004, p. 47]
Tirant les conclusions qui découlent de leur métaphore, des élites de totalitaires cherchent à se constituer en tête du corps social. Si l’une d’entre elles réussit à prendre le pouvoir, violemment ou non, elle déclarera connaître ce qui est dans l’intérêt du reste du corps et s’arrogera le droit de l’imposer.
Contrairement au fascisme et à l’islamisme, le libéralisme classique place l’individu au-dessus de l’État parce qu’il restreint au minimum le nombre de champs d’activités humaines où la présence de l’État est requise. Dans ces circonstances, les personnalités politiques ne sont plus des bergers, des führers ou des dictateurs mais seulement des représentants de ceux qui peuvent les congédier.
Quand des principes de la charia sont contestés dans les médias, des Frères Musulmans comme Tariq Ramadan et Salah Basalamah ne discutent jamais de la valeur de ces principes sur le fond avec des auditoires non-musulmans. Pour dissiper les soupçons qui les entourent, ils adoptent toujours la même attitude: ils réaffirment leur opposition au recours à la violence et ils prennent leurs distances par rapport à des organisations comme al-Qaida. Cette démarche est piégée.
D’une part, leur mentor Youssef al-Qaradawi a expliqué en 1990 au chapitre 3 de son texte Priorities (cité plus haut) qu’il serait irréaliste pour les islamistes d’attaquer l’Occident militairement de plein front à ce moment-ci en raison des lacunes technologiques du monde musulman. L’implication est claire: si et quand ces conditions devaient changer, Ramadan et Basalamah pourraient changer de chanson quant au recours à la violence. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter un précédent article de Point de Bascule qui reproduisait plusieurs appels au jihad armé lancés par des exégètes de l’islam endossés par Tariq Ramadan.
Un des sous-titres qui apparaît sur le site en langue anglaise de Présence Musulmane résume bien l’attitude des Frères Musulmans quant au recours à la violence : « Be mindful of Allah not fearful of the FBI » (Préoccupez-vous d’Allah et ne craignez pas le FBI). Tout est donc une question de rapports de forces. Tout est donc une question de timing.
Fréquemment Tariq Ramadan mentionne se conformer aux lois, mener des activités permises par les lois, etc. Comme s’il suffisait qu’une activité soit autorisée pour qu’elle soit compatible avec les libertés individuelles. Les documents internes des Frères Musulmans font état de leur stratégie de tirer avantage de tous les droits dont ils bénéficient comme citoyens pour détruire la civilisation occidentale de l’intérieur. Voilà pourquoi il faut discuter des objectifs visés par les islamistes et ne pas se laisser amener sur une voie d’évitement par leurs justifications légalistes.
Détruire une société de l’intérieur, c’est précisément ce qu’Hitler réussit à accomplir en prenant le pouvoir en toute légalité, sans coup d’État, en respectant les règles du multipartisme qui prévalaient dans l’Allemagne de son époque.
Pour donner plus de poids à ce rapprochement avec la situation allemande d’avant-guerre, mentionnons l’immense respect que les leaders des Frères Musulmans comme al-Banna et al-Qaradawi ont exprimé et continuent d’exprimer à l’égard d’Hitler. Le prochain article de la série aborde précisément cette question (HYPERLIEN À VENIR).
Quelques soient les moyens qu’ils utilisent pour prendre le pouvoir, tous les tenants du totalitarisme se comportent de la même façon une fois qu’ils ont réussi à s’en accaparer. Ils imposent un système de parti unique. Au tout début de son Manifeste en 50 points, al-Banna justifie cette mesure en plaidant qu’elle permet de « canaliser les forces politiques de la nation dans un front commun et dans une seule phalange ».
Il est révélateur que, dans ce manifeste publié à l’époque où le fascisme européen était en plein essor, l’islamiste al-Banna ait eu recours au terme « phalange » appartenant au jargon fasciste des années ’30 pour décrire ses objectifs. Le mot « phalange » était notamment utilisé par les fascistes espagnols associés à Franco pour désigner leur organisation.
Dans une société totalitaire, toute expression d’idée qui va à l’encontre de ce que la tête du corps social juge dans l’intérêt de ses membres est perçue comme un signe de dérèglement de l’organisme, comme une maladie qui menace le corps social dans son intégrité. Si la tête juge que la cure de la partie malade est impossible, elle plaidera pour l’amputation, pour l’élimination de la brebis galeuse du troupeau.
C’est ce qui explique que là où le totalitarisme, fusse-t-il islamiste, fasciste ou socialiste, arrive à s’imposer les opposants au berger ou à la tête du corps social soient fréquemment emprisonnés et tués.
Dans ce type de société, la liberté de parole, la liberté de conscience et la liberté de la presse indispensables au choc des idées et aux nouvelles découvertes sont perçues comme des sources de confusion pour les brebis. À quoi bon laisser les idées se faire compétition quand on se croit dépositaire exclusif de la vérité dans tous les champs d’activités humaines?
L’implication de cette structure organique c’est que la tête doit tout diriger, que le berger doit contrôler la vie des brebis dans les moindres petits détails. Telles étaient les aspirations d’al-Banna quand il plaidait pour une police des mœurs qui interdise la danse, censure les livres, les films et les pièces de théâtre, impose un code vestimentaire strict au troupeau, etc.
(Partie 1/3) et (Partie 3/3)
Lire aussi:
DU TOTALITARISME D’HASSAN AL-BANNA À L’ISLAM ENGLOBANT DE TARIQ RAMADAN Partie 1/3
LE MANIFESTE EN CINQUANTE POINTS D’HASSAN AL-BANNA
LE JIHAD DE TARIQ RAMADAN EXPLIQUÉ PAR SES SAVANTS MUSULMANS 1/3
La conquête de l’Occident par le jihad idéologique 2/3
Tariq Ramadan à la télévision iranienne 3/3
De la guerre froide à la guerre sainte des Frères musulmans partie 1/4
De la guerre froide à la guerre sainte des Frères musulmans / Saïd Ramadan partie 2/4
De la guerre froide à la guerre sainte des Frères musulmans partie 3/4