Tawfik Hamid étudie le développement psychologique du djihadiste à travers sa propre expérience de première main en tant qu’ancien membre d’une organisation terroriste musulmane. Il parle de l’idéologie salafiste et encourage le monde civilisé à reconnaître l’immense menace que représente cette idéologie pour la paix mondiale.
Traduction de: The Development of a Jihadist’s Mind, par Tawfik Hamid, Front Page Magazine, le 22 janvier 2008
Qu’est-ce qui occupe l’esprit d’un musulman axé sur le djihad? Comment une telle ferveur est-elle implantée chez des croyants jeunes et impressionnables? D’où est-ce que ça origine? Comment ai-je pu – moi autrefois un enfant innocent qui a grandi dans une famille libérale, modérée et éduquée – me retrouver membre d’un groupe islamiste radical? Ces questions vont à la racine de la violence islamique et doivent être abordées si les sociétés libres veulent lutter contre l’islam radical. Pour réaliser cet objectif, je vais étudier le développement psychologique d’un esprit du djihadiste à travers ma propre expérience de première main en tant qu’ancien membre d’une organisation terroriste musulmane.
Je suis né au Caire dans une famille musulmane laïque. Mon père était un chirurgien orthopédique et agnostique dans son coeur, ma mère était professeur de français et libérale. Les deux considéraient l’islam, avant tout, comme une partie intégrante de notre culture. À l’exception de mon père, nous jeûnions durant le Ramadan. Même si mon père n’était pas religieux, il a compris notre besoin de s’intégrer dans la communauté et ne nous a jamais imposé ses vues laïques. Il a épousé diverses idées philosophiques, mais nous a incité à suivre nos propres convictions. Surtout, il a enseigné à mon frère et moi à penser de façon critique plutôt que d’apprendre par cœur.
Je n’ai jamais eu le moindre doute, cependant, que nous étions musulmans – que Allah était notre créateur, Mahomet son messager et le Coran, notre livre. Je croyais que si j’accomplissais de bonnes actions, je serais admis au paradis où je pourrais satisfaire tous mes désirs personnels. Je savais aussi, alternativement, que mes transgressions seraient punies par la torture dans l’enfer éternel. J’ai absorbé ces croyances en grande partie de mon environnement plutôt que de mes parents. Elles étaient partagées par la plupart des enfants autour de moi.
J’ai fréquenté l’école primaire privée Al-Rahebat dans la région de Dumiat, qui est à environ 200 kilomètres au nord du Caire, quand j’avais six ans. Bien que gérée par des religieuses chrétiennes, l’école était supervisée par le gouvernement égyptien et les étudiants musulmans étaient tenus d’assister à des cours sur l’islam.
Avant le début de chaque leçon sur l’islam, l’enseignant renvoyait les élèves chrétiens, qui étaient alors obligés de s’attarder en dehors de la salle jusqu’à ce que la leçon soit terminée. Ajoutant du sel sur les plaies des enfants chrétiens, de nombreux élèves musulmans se moquaient de leur foi – en leur disant qu’ils allaient brûler éternellement en enfer parce qu’ils mangeaient du porc et étaient des «infidèles». Cela fait forte impression sur moi. Je me suis senti désolé pour les chrétiens, pressentant qu’ils devaient souffrir d’être traités comme une minorité inférieure dans une société islamique. Dans ma courte vie, c’était la première fois que je percevais que mes amis chrétiens n’étaient pas mon égal. Mes parents n’ont jamais suggéré que nous étions supérieurs aux chrétiens, et j’en ai compté plusieurs parmi mes amis. Nous avions l’habitude de jouer à cache-cache et autres jeux ensemble.
Toutefois, ce ne sont pas que les enfants chrétiens qui étaient persécutés à l’école. Les enfants musulmans non pratiquants étaient aussi bafoués. Les enfants musulmans pratiquants se réunissaient autour de ceux qui ne jeûnaient pas durant le Ramadan et chantaient, «Vous qui mangez ou buvez pendant le Ramadan êtes les perdants de notre religion … le chien noir va déchirer vos tripes. » Un tel traitement des chrétiens et des musulmans non pratiquants nous a encouragés à penser que les non-croyants étaient des créatures inférieures, et que nous avions raison de les haïr – ils ne suivaient pas l’islam et le prophète Mahomet et, par conséquent, méritaient d’être torturés en enfer pour toujours. Bien que mon éducation laïque empêchait ces pensées de totalement dominer mon esprit à l’époque, les autres enfants étaient encore plus touchés.
Début d’un rêve
Quand j’avais neuf ans, j’ai appris le verset coranique suivant au cours de l’une de nos leçons d’arabe: « Ne crois surtout pas que ceux qui sont tombés pour la Cause d’Allah soient morts. Ils sont, au contraire, bien vivants auprès de leur Seigneur qui les comble de Ses faveurs (d’être martyrs); ils sont heureux d’être reçus au sein de la grâce du Seigneur, et ravis que leurs compagnons de combat qui ne les ont pas encore rejoints ne connaîtront ni peur ni chagrin ». (Coran, 3:169-70).
C’était la première fois que j’étais exposé à la notion de shahid (martyr), et naturellement, j’ai commencé à rêver d’en devenir un. L’idée d’entrer au paradis m’attirait beaucoup. Là-bas, je pourrais manger toutes les sucettes et les chocolats que je voulais, ou jouer toute la journée sans personne pour me dire: à l’étude.
Ce qui rendait la notion de shahid encore plus attrayante était son pouvoir d’apaisement de la crainte que j’ai connue comme jeune garçon – on nous a enseigné que si nous n’étions pas de bons musulmans (surtout si nous ne faisions pas nos prières cinq fois par jour), un « serpent chauve » nous attaquerait dans la tombe. L’idée de mourir en martyr offrait une parfaite échappatoire à l’effroyable angoisse du châtiment éternel. Mourir comme un shahid, en fait, était le seul acte qui garantissait pleinement le paradis après la mort.
À l’école secondaire, je regardais des films sur les premières conquêtes islamiques. Ces films promouvaient l’idée que les «vrais» musulmans se consacrent au djihad agressif. Alors que les graines du djihad ont ainsi été plantées dans mon esprit, elles n’ont pas sérieusement influencé ma personnalité ou mon comportement. J’étais surtout occupé avec les études et les loisirs tels que les sports, la collection de timbres-poste, les échecs et la musique. Mon père a activement encouragé mon frère et moi à participer à des activités ordinaires. En fait, nous étions membres d’un club privé exclusif où nous poursuivions nos loisirs et sports favoris. Dans mes premières années de lycée, j’étais également – comme beaucoup d’adolescents le sont – préoccupé par le sexe et les passe-temps. Une variété de contraintes religieuses et culturelles rendait cependant pratiquement impossible de faire l’expérience de l’activité sexuelle.
Au cours de ma dernière année de lycée, j’ai commencé à réfléchir sérieusement sur le concept de Dieu lors d’une lecture sur la structure moléculaire de l’ADN dans un livre de biologie.
Ces pensées m’ont poussé à en savoir plus sur l’islam et à me consacrer au service d’Allah. Je me souviens d’un moment déterminant en particulier dans une classe de langue arabe alors que j’étais assis à côté d’un ami chrétien nommé Nagi Anton. J’étais en train de lire un livre intitulé Alshaykhan par Taha Hussein, qui citait les paroles du prophète Mahomet: «Allah m’a ordonné de combattre et de tuer tous les non-musulmans jusqu’à ce qu’ils disent, « il n’y a pas de Dieu sauf Allah ». Suite à la lecture de ce hadith, je me suis résolument tourné vers Nagi, et lui ai dit: « Si nous voulons appliquer l’islam correctement, nous devrions appliquer ce hadith pour toi. » À ce moment j’ai soudain commencé à voir Nagi comme un ennemi plutôt que comme un ami de longue date.
Ce qui a davantage endurci mon attitude sur cette question a été l’avis que j’ai reçu de nombreux camarades de classe musulmans dévoués, qui m’ont mis en garde contre l’amitié avec des chrétiens. Ils ont fondé leurs conseils sur le verset suivant: « ô les croyants ! Ne prenez pas pour alliés les Juifs et les Chrétiens; ils sont alliés les uns des autres. Et celui d’entre vous qui les prend pour alliés, devient un des leurs (un infidèle). Allah ne guide certes pas les gens injustes.». (Coran 5:51).
Compte tenu de ce verset et du précédent, je me suis senti obligé comme musulman de limiter mes relations avec mes amis chrétiens. L’amour et l’amitié que je ressentais pour eux avaient été transformés en manque de respect, simplement parce que je tenais à obéir aux commandements de ma religion. Les idées séductrices de mes études religieuses ont dilué l’influence de mon éducation laïque. En limitant mon contact avec les chrétiens, j’ai senti que je faisais un grand geste pour satisfaire Allah.
Premières rencontres avec Jamaah Islamiyah
Mes hauts scores aux tests m’ont permis d’obtenir l’admission à l’école de médecine à l’Université du Caire à la fin des années 1970. À ce moment, l’islamisme proliférait rapidement. Cela était dû en partie à l’argent et aux manuels scolaires dont la secte wahhabite en Arabie saoudite a fait don pour promouvoir l’islam salafiste, mais plus important encore, l’islamisme a gagné des adeptes car les Égyptiens attribuaient la prospérité croissante de l’Arabie saoudite à sa stricte pratique du salafisme. Nous déplorions avec envie, «Regardez comment Allah a béni les Saoudiens avec du pétrole et de l’argent parce qu’ils appliquent la charia». Nous croyions que nos problèmes économiques seraient résolus si l’on faisait de même – tout comme Allah a béni les Saoudiens, Il nous bénirait.
À l’école de médecine, j’ai rencontré des membres de la Jamaah Islamiyah, une organisation islamique alors approuvée par le gouvernement égyptien et l’université, et qui a été classée plus tard comme une organisation terroriste. Jamaah a construit une petite salle de prière dans notre école de médecine qui, plus tard, est devenue une mosquée avec une bibliothèque associée. La mosquée était derrière les départements de physiologie et de biochimie, et les membres de Jamaah y venaient quotidiennement avant les cours de sciences pour nous enseigner l’islam. Ils nous ont mis en garde contre les punitions qui nous attendaient après la mort si l’on ne suivait pas strictement l’islam, et ont été efficaces dans la promotion de l’islamisme parmi beaucoup d’étudiants, y compris moi.
Notre crainte d’être punis après la mort a été exacerbée par notre travail dans la salle des cadavres, où nous faisions des dissections. Voir la mort régulièrement lors des cours d’anatomie et de physiologie nous faisait sentir que la vie de ce monde n’avait pas de sens par rapport à la «vraie» vie après la mort. Jamaah Islamiyah nous faisait comprendre cette idée en citant le verset coranique suivant: « Ceux dont l’ambition se limite aux plaisirs et au faste de ce monde, Nous rétribuerons leurs efforts dans ce monde même, sans leur faire subir la moindre injustice ; mais ceux-là n’auront dans la vie future que le Feu, car toutes leurs œuvres ici-bas seront vaines et tout ce qu’ils auront accompli sur Terre sera sans valeur. » (Coran 11:15-16). En effet, les prédicateurs utilisaient un groupe de versets pour avertir ceux qui ne suivaient pas rigoureusement Mahomet et l’islam qu’ils allaient souffrir éternellement en enfer.
Étudier l’anatomie et la physiologie du corps humain a augmenté ma croyance en un créateur et m’a rendu plus enthousiaste au sujet de ma foi. La montée en puissance de la Jamaah Islamiyah à l’intérieur de l’école de médecine a été un autre facteur déterminant dans la promotion de mon zèle religieux et celui de mes collègues étudiants. Jamaah Islamiyah, une fois devenu influent, a interdit les manifestations sociales comme écouter de la musique, qu’ils considéraient comme non islamique. Les étudiantes ont été séparées, elles n’ont pas été autorisées à s’asseoir avec les hommes. Les étudiants avaient peur de défier les décrets hostiles du groupe. Son contrôle a atteint le point où les professeurs chrétiens étaient menacés. Je n’oublierai jamais quand ils ont attaqué un professeur d’anatomie, le Dr Edward, parce qu’il a demandé aux dirigeants de Jamaah de mettre fin à leur sermon quotidien «obligatoire» afin qu’il puisse commencer son cours d’anatomie. Le contrôle de Jamaah Islamiyah sur notre école de médecine a progressivement limité nos droits. Ses membres ont exploité le manque de restrictions quant à leur comportement pour priver tous les autres de leur liberté.
Jamaah Islamiyah de l’intérieur
Au cours de ma première année à l’école de médecine, un membre de Jamaah nommé Muchtar m’a invité à rejoindre l’organisation. Muchtar était dans sa quatrième année, et la Jamaah lui avait donné le titre d’émir (prince ou calife) – une désignation tirée des premiers écrits de l’islam, qui est associée avec le califat islamique ou amir almomenin (prince des croyants). J’ai accepté son invitation, et nous avons marché ensemble vers la mosquée Jamaah pour la prière de midi. Sur le chemin, Muchtar a souligné l’importance centrale de l’islam dans le concept de al-fikr-kufr, l’idée que l’acte même de la pensée (fikr) transforme quelqu’un en infidèle (kufr). (En arabe les deux mots sont dérivés de la même racine de trois lettres, mais ont des significations différentes.) Il m’a dit, « Ton cerveau est comme un âne, [un symbole d’infériorité dans la culture arabe] qui peut seulement te mener à la porte du palais du roi [Allah]. Pour entrer dans le palais une fois que tu as atteint la porte, tu dois laisser l’âne [ton esprit inférieur] dehors. » Par cette parabole, Muchtar signifiait qu’un musulman vraiment dévoué ne pense plus mais obéit automatiquement aux enseignements de l’islam.
Au départ, je pensais que j’allais vivre une session ordinaire de prière comme dans les autres mosquées. Mais avant que les prières aient commencé, les participants étaient tenus de se tenir épaules à épaules et pied à pied. Le leader religieux, Mohammed Omar, a personnellement vérifié notre disposition pendant 15 minutes pour s’assurer qu’il n’y avait pas d’écarts entre nos épaules ou nos pieds. La raison de cet exercice est devenue évidente quand Omar récité le verset suivant: « Allah aime ceux qui combattent pour Sa Cause en ordre serré, tel un édifice» (Coran, 61:4). Cette attitude militariste pendant les prières a été la première étape dans ma préparation à la notion de djihad contre les «ennemis d’Allah», les non-musulmans.
Après la prière, les membres de la Jamaah m’ont accueilli et présenté à un «frère» nommé Magdi al-Mahdi, qui m’a conseillé de commencer à lire des livres salafistes. J’ai suivi ses conseils et me suis plongé dans ces textes. Après quelques mois d’écoute des sermons belliqueux de la Jamaah et de lectures qu’ils m’ont recommandé, ma personnalité a été complètement transformée. J’ai commencé à faire pousser ma barbe. J’ai arrêté de sourire et de raconter des histoires drôles. J’ai adopté un regard grave en tout temps et suis devenu très critique envers les autres. Des débats amers avec ma famille ont suivi. Ma transformation comportementale et intellectuelle a fortement alarmé mon père. Ma mère était également préoccupée; elle disait que le Coran devait être compris d’une manière plus modérée et m’a conseillé d’arrêter la lecture des textes salafistes.
Les enseignements salafistes interdisent expressément d’agir sur le désir sexuel. Ils interdisent à un homme de toucher une femme ou même d’en regarder une. S’adresser à une femme sur le plan personnel n’est pas autorisé. On croit qu’être seul à seul avec une femme sans la présence de parents « invite Satan à être la troisième personne. » Pour les membres de la Jammah, les femmes sont devenues, par conséquent, des créatures interdites. Mais alors que les relations avec les femmes sont strictement interdites, les passages érotiques dans les écrits salafistes suscitaient simultanément en nous un puissant désir sexuel. Ce dilemme nous a amenés à conclure que mourir pour Allah fournissait notre seul espoir pour satisfaire notre désir, parce que ce désir ne pouvait être satisfait que dans le paradis. Il n’est pas surprenant que Oussama ben Laden et d’autres chefs terroristes envoyaient des lettres à leurs meurtriers suicides décrivant les vierges qui les attendaient au paradis.
En plus de ses interdictions sévères régissant la conduite sexuelle, l’islam salafiste limite aussi de manière stricte toute expression artistique, qu’il considère comme satanique. La musique impliquant des instruments à cordes est haram (interdite). Les chansons, surtout les chansons romantiques, sont aussi interdites. Il est haram d’écouter la voix d’une femme qui chante. Même le dessin est restreint. Ces interdictions sévères supprimaient mon aptitude à apprécier la beauté et ont disposé mon esprit à accepter les éléments inhumains dans la doctrine salafiste. En revanche, il est intéressant de noter que les musulmans soufis apprécient la musique, le chant et la danse, et qu’ils sont rarement, sinon jamais, engagés dans le terrorisme.
Malheureusement, j’ai suivi l’islam salafiste. Ma haine envers les non-musulmans a considérablement augmenté, et la doctrine du djihad est devenue une seconde nature pour moi. Mon but d’être un médecin et de guérir les malades est devenu grandement entaché, infecté par mon vif désir de subjuguer les non-musulmans et d’imposer la charia.
Rencontre avec Ayman al-Zawahiri
Lors d’une session de prière de l’après-midi, un imam je n’avais jamais rencontré avant a donné un sermon. Il fut l’un des plus féroces orateurs que je n’aie jamais entendu. Sa passion pour le djihad était stupéfiante. Il plaidait pour la domination islamique totale, nous exhortant à poursuivre le djihad contre les non-musulmans et à les soumettre à la charia – le devoir de tout vrai musulman. Son discours nous a inspiré à nous engager dans la guerre contre les infidèles, les ennemis d’Allah. Il condamnait particulièrement l’occident pour la liberté des femmes. Il détestait le fait que les femmes occidentales soient autorisées à porter ce qui leur plaît, à travailler et à avoir les mêmes opportunités que les hommes.
Il rêvait de forcer l’Occident à se conformer à un régime de style taliban dans lequel les femmes sont obligées de porter le hijab islamique, sont battues légalement par des hommes pour les discipliner et sont lapidées à mort pour des relations sexuelles extraconjugales. Après le discours de l’imam, mon ami Tariq Abdul-Muhsin m’a demandé si je connaissais cet orateur. Quand j’ai dit non, Tariq m’a dit qu’il était le Dr Ayman Al-Zawahiri, et comme j’étais un nouveau membre de la Jamaah, il a proposé de nous présenter.
Zawahiri était exceptionnellement brillant, un des meilleurs étudiants de troisième cycle à l’école de médecine. Nous l’appelions par son prénom et titre – Dr Ayman.
Il venait d’une famille bien connue, très scolarisée et riche. Comme il était d’usage pour les membres de Jamaah, il portait une barbe et s’habillait parfois dans le style pakistanais des Talibans. Il désapprouvait le gouvernement laïque de l’Égypte, il voulait que l’Égypte suive la charia et que les chrétiens coptes soient traités en dhimmis – des citoyens de deuxième classe soumis à l’islam. Pour dénigrer les gouvernements arabes laïques, il citait le verset suivant: « Et ceux qui ne jugent pas d’après ce qu’Allah a révélé, les voilà les mécréants ». (Coran, 5:44).
Lorsque je l’ai rencontré, Zawahiri m’a accueilli avec affection. Il parlait doucement, me regardant intensément à travers ses épaisses lunettes. Avec une expression sérieuse, il a placé sa main sur mon épaule et dit: «Les jeunes musulmans comme toi sont l’espoir pour le futur retour du khilafa [califat ou domination islamique mondiale]. » J’ai senti un grand sentiment de gratitude et d’honneur. Je voulais lui plaire en contribuant à sa «noble» cause. Tout au long de mon appartenance à Jamaah, j’ai rencontré Zawahiri à plus de six occasions. Il n’avait cependant pas beaucoup de temps car il était profondément impliqué dans plusieurs organisations islamistes.
Une des réalisations importantes de Zawahiri a été de personnaliser le djihad – de l’avoir transformé d’une responsabilité de la oumma, la communauté islamique, en un devoir des individus musulmans. Son but est de répandre l’empire de l’Islam à travers les actions individuelles des musulmans radicaux, dont chacun est incité à mener une guerre sainte personnelle. Cela permet aux jeunes musulmans de mener des attentats-suicides sans l’aval de l’organe collectif.
Zawahiri et ses pairs djihadistes fondent leur philosophie sur le verset qui stipule: « Combats donc dans le sentier d’Allah, tu n’es responsable que de toi même, et incite les croyants au combat » (Coran 4:84).
La distorsion de mon esprit
Après plusieurs mois, j’ai été invité à me rendre en Afghanistan pour rejoindre les autres dans l’entraînement des jeunes musulmans au djihad. Il est assez commun d’être recrutés après la fin de la prière du vendredi. Se porter volontaire pour l’entraînement en Afghanistan était très simple: j’avais seulement besoin d’inscrire mon nom dans certaines mosquées, et les organisateurs s’occuperaient de procéder à toutes les dispositions logistiques et financières. J’étais excité d’y aller parce que je croyais que je remplissais le «commandement d’Allah» de faire le djihad. Ça semblait la meilleure façon de garantir mon salut dans l’au-delà et d’atteindre mon but dans la vie.
Nous voyions aussi bien les Soviétiques et les Américains comme des ennemis. Les Soviétiques étaient considérés comme des infidèles car ils ne croyaient pas en l’existence de Dieu, tandis que les Américains ne suivaient pas l’islam. Bien que nous ayons prévu de combattre les Soviétiques d’abord, notre objectif ultime était de détruire les États-Unis – le plus grand symbole de la liberté des infidèles. Mon rêve était d’être un guerrier islamique, de tuer les ennemis de l’islam, de frapper leur cou en conformité avec le verset coranique qui suit: « Lorsque vous rencontrez (au combat) ceux qui ont mécru frappez-en les cous » (Coran, 47:4).
Nous considérions le prophète Mahomet comme notre modèle. Le Coran nous commande de suivre ses traces: « En effet, vous avez dans le Messager d’Allah un excellent modèle [à suivre], pour quiconque espère en Allah et au Jour dernier et invoque Allah fréquemment » (Coran, 33:21).
Les textes islamiques salafistes montrent la nature intransigeante de Mahomet. Ils encouragent les musulmans fervents à émuler les actes du prophète, et à accepter et défendre ses actions, même dans les plus âpres passages. Face à l’extérieur, cependant, ces mêmes musulmans insistent sur le fait que ces histoires sont mal interprétées, car elles sont sorties de leur contexte – alors qu’ils donnent rarement, sinon jamais, le contexte. Ce déni auto-protecteur paralyse effectivement toute critique par l’Occident. Dans l’intervalle, ces textes sont appris et compris d’une manière très littérale tant par les jeunes membres de la Jamaah que beaucoup d’autres musulmans.
Je n’ai pas été autorisé à remettre en question un quelconque enseignement établi de l’idéologie salafiste. Les salafistes considèrent toute critique des textes islamiques comme redda (apostasie) passible de la peine de mort et de la damnation éternelle. Par pure crainte, j’ai alors tenté d’idolâtrer Mahomet et de l’imiter comme il est dépeint dans la Sunna. La crainte de telles punitions sévères dissuade aussi la plupart des autres musulmans de critiquer l’enseignement salafiste.
Je me suis senti de plus en plus à l’aise avec la mort parce que je croyais que je vaincrais les infidèles de la terre ou profiterais du paradis dans l’au-delà.
Le djihad contre les non-musulmans m’a semblé une situation gagnant-gagnant. Les versets suivants, cités couramment par les membres Jamaah, validaient mon devoir de mourir pour Allah: « En vérité, Allah a acheté aux croyants leurs personnes et leurs biens en échange du Paradis, en vue de défendre Sa Cause : tuer et se faire tuer. Le paradis est la promesse d’Allah pour eux » (Coran, 9:111).
J’ai passé par trois étapes psychologiques pour atteindre ce niveau de confort avec la mort: la haine des non-musulmans ou des musulmans dissidents, la suppression de ma conscience et l’acceptation de la violence au service d’Allah. L’endoctrinement religieux salafiste a joué un rôle majeur dans ce processus. Les salafistes font la promotion de la haine pour les non-musulmans en mettant l’accent sur le verset coranique qui suit: « Tu ne verras jamais ceux qui ont foi en Allah et au Jugement dernier sympathiser avec ceux qui s’insurgent contre Allah et Son Messager » (Coran, 58: 22).
Les écrits salafistes ont aussi réprimé ma conscience en maintenant que de nombreuses activités que j’avais considéré comme immorales étaient plutôt halal – admises par Allah et le prophète. Ma conscience devrait normalement rejeter la polygamie, par exemple, en raison des fortes douleurs psychologiques qu’elle causerait ma future épouse. L’enseignement salafiste encourage cependant la polygamie, permettant jusqu’à quatre épouses comme halal: «Épousez les femmes de votre choix, deux ou trois ou quatre» (Coran 4:3). J’ai accepté de telles idées – des idées qui contredisaient ma perspective morale – parce que j’en étais venu à croire que nous ne pouvons pas négocier avec Dieu au sujet de ses commandements: «Il n’a pas de compte à rendre de ce qu’Il fait, mais les hommes devront Lui rendre compte de leurs actes» (Coran, 21: 23).
Une fois que j’ai pu réprimer ma conscience, j’étais prêt à accepter la violence sans culpabilité – la troisième étape psychologique. Une méthode salafiste pour générer cette attitude cruciale est d’encourager la violence contre les femmes, une première étape dans le développement d’une mentalité brutale. Les salafistes mettent l’emphase sur le texte suivant: «Les hommes ont la charge et la direction des femmes en raison des avantages qu’Allah leur a accordés sur elles, et en raison aussi des dépenses qu’ils effectuent pour assurer leur entretien. En revanche, les épouses vertueuses demeurent toujours fidèles à leurs maris pendant leur absence et préservent leur honneur, conformément à l’ordre qu’Allah a prescrit. Pour celles qui se montrent insubordonnées, commencez par les exhorter, puis ignorez-les dans votre lit conjugal et, si c’est nécessaire, corrigez-les. Mais dès qu’elles redeviennent raisonnables, ne leur cherchez plus querelle. Allah est le Maître Souverain.» (Coran 4:34).
Un esprit qui accepte la violence contre les femmes est beaucoup plus susceptible d’être à l’aise à assassiner les infidèles haïs, et de répondre au verset suivant: « Ô Prophète ! Combats les négateurs et les hypocrites, et traite-les avec rigueur. Leur dernier refuge sera la Géhenne, cette détestable demeure ». (Coran 9:73). Il est clair que les trois étapes psychologiques du salafisme que je viens de décrire sont profondément interconnectées.
L’hésitation et la nouvelle compréhension
Comme je considérais fréquenter un camp d’entraînement terroriste, ma conscience s’est toutefois réaffirmée. L’habitude de la pensée critique que mes parents avaient instillée en moi quand j’étais jeune a commencé à saper le violent endoctrinement auquel j’avais été soumis. Si j’avais pris la prochaine étape vers le djihad, j’aurais bien pu devenir un terroriste meurtrier. Au lieu de cela, j’ai vécu une intense lutte intérieure que j’ai ressentie comme un tremblement de terre secouant mes principes. J’ai réalisé que nuire à des personnes innocentes est immoral et qu’une idéologie religieuse promettant la guerre contre les non-croyants doit être fausse.
Il est regrettable et désastreux que les fondements théologiques du salafisme sont à la fois puissants et répandus dans des librairies islamiques traditionnelles et approuvées. Ces textes enseignent, en outre, que les versets ultérieurs et plus violents du Coran abrogent les passages précédents plus pacifiques. Ce concept, appelé nasikh wa-l-mansukh, a effectivement diminué l’influence des versets pacifiques.
Lorsque j’ai examiné les répercussions des passages violents avec quelques religieux soufis, ils ont suggéré que l’on « devrait être bons et pacifiques envers toute l’humanité» et que «la compréhension des versets violents serait précisée le jour du jugement. » Ces points de vue n’étaient toutefois pas fondés sur l’eschatologie islamique rigoureuse, ni sur une analyse objective des livres religieux.
Ils incarnaient tout simplement une perception souhaitée de l’islam. Mes parents laïques proposaient la même perspective de tolérance, insistant sur le fait que l’islam est une religion de paix. Mais pour moi, les deux réponses ne sont pas satisfaisantes car elles souffrent du même problème – elles ne sont pas théologiquement fondées. Ma difficulté n’a pas été résolue, et j’ai continué à vivre avec un dilemme complexe.
Ma crise de conscience était le plus souvent interne, mais j’ai partagé certains de mes doutes avec ma mère. A une occasion, un autre étudiant en médecine nommé Abdul Latif Haseeb a commencé une conversation avec moi au sujet de la religion. Nous avons discuté de savoir si on a le droit de tuer les apostats ou de lapider des femmes à mort, et si Mahomet pouvait être considéré comme un pédophile car il a épousé une fillette de 7 ans, Aicha. Nous avons pesé les mérites de déclarer la guerre aux non-musulmans pour propager l’islam et sommes tombés d’accord que ça devrait être rejeté car c’est seulement toléré par des livres salafistes supplémentaires plutôt que par le Coran lui-même.
Haseeb appartenait à une secte connue sous le nom de Koranist, qui respectait strictement les enseignements du Coran, mais rejetait les autres écrits. Cela m’a ouvert les yeux. J’ai été impressionné de voir que mon nouvel ami était en désaccord avec de nombreux enseignements salafistes. J’ai également réalisé que Haseeb n’était pas seul dans ses convictions, son père et plusieurs connaissances mutuelles partageaient les mêmes idées. Ils s’appuyaient sur les nouvelles interprétations du Coran et dédaignaient les manuels traditionnels salafistes.
Ils acceptaient et toléraient des points de vue différents au sein de l’islam et, dans la plupart des cas, avaient une analyse pacifique des versets.
Haseeb m’a invité à joindre la secte, et j’ai accepté son invitation afin d’examiner les idées de Koranists de façon plus approfondie. Bien qu’elle ne soit pas sans problèmes, la secte possédait au moins une rigueur et était plus modérée que le salafisme. Elle m’a fourni un sanctuaire protégé qui m’a permis de conserver mon identité en tant que musulman tout en me donnant de la souplesse à réinterpréter les versets coraniques d’une façon non-violente. Le groupe comptait parmi ses membres l’activiste libéral pour la paix Mahmoud Mohamed Taha, que j’ai rencontré à une occasion.
Mahmoud a par la suite été assassiné au Soudan par des interprètes de la doctrine salafiste, pour le délit d’apostasie parce que son enseignement heurtait le leur. Je me suis finalement appuyé sur les idées des Koranists pour développer une nouvelle compréhension du Coran qui soit compatible avec les valeurs des droits de l’homme et de la modernité.
Combattre l’islam salafiste
En me plongeant dans l’idéologie salafiste, j’étais plus en mesure de juger de l’impact de ses violents principes sur l’esprit de ses adeptes. Parmi les plus effroyables des notions qu’ils soutiennent sont la réduction en esclavage et le viol des femmes de prisonniers de guerre et le passage à tabac des femmes pour les discipliner. Ils autorisent la polygamie et la pédophilie. Ils se réfèrent aux Juifs comme «des singes et des porcs» et exhortent les croyants à les tuer avant la fin des temps: «Dis : Voulez-vous que je vous indique la pire des sanctions auprès d’Allah? C’est celle qui est réservée à ceux qu’Allah a maudits, à ceux qui ont encouru Sa colère et dont Il fait des singes et des porcs, et à ceux qui adorent des idoles ! Voilà ceux qui sont voués au plus misérable des destins, ceux qui sont les plus éloignés du droit chemin !» (Coran, 5 : 60). Les homosexuels doivent aussi être tués. Pour ne citer qu’un des nombreux exemples, le 19 juillet 2000, deux adolescents homosexuels ont été pendus en Iran pour aucun autre crime que d’être gay.
Ces doctrines ne sont pas sorties de leur contexte, comme le prétendent beaucoup d’apologistes de l’islam : elles sont au cœur de la foi et de l’éthique de millions de musulmans, et sont actuellement enseignées dans le cadre du programme standard dans de nombreux systèmes d’éducation islamique dans le Moyen-Orient aussi bien qu’en Occident.
En outre, il n’existe pas un seul manuel scolaire islamique approuvé qui contredit ou qui fournit une alternative aux passages que j’ai cités. Il est donc devenu clair pour moi que l’idéologie salafiste est ce qui est largement responsable du soi-disant «choc des civilisations». En conséquence, j’ai choisi de combattre le salafisme en exposant et en fournissant une interprétation alternative, pacifique et théologiquement rigoureuse du Coran.
Mon approche réformiste contredit naturellement des principes salafistes bien établis, et conduit les musulmans qui suivent l’islam salafiste à me rejeter. Pourquoi? Je n’ai pas modifié le Coran lui-même. Mon système en est tout un système de commentaire dans lequel les passages dangereux sont signalés en vue d’être réinterprétés de manière non-violente. J’ai ajouté ces interprétations aux passages clés du coran et des exemples des commentaires sont librement et facilement disponibles.
Pendant plus de 15 ans j’ai essayé de prêcher ma vision dans des mosquées au Moyen-Orient, ainsi qu’à ma communauté locale en Occident, mais j’ai été confronté à l’hostilité de la plupart des indéfectibles musulmans salafistes dans les deux régions. Les musulmans qui vivent en Occident – qui insistent auprès des non musulmans que l’islam est une «religion de paix» et qui jouissent de la liberté d’expression, qu’ils exigent de leurs hôtes occidentaux – m’ont menacé de meurtre et d’incendie criminel. J’ai eu à choisir entre accepter les vues salafistes violentes et être rejeté par l’écrasante majorité de mes concitoyens musulmans.
J’ai choisi la seconde
Même si l’islamisme radical a commencé à s’affirmer dans les années 1970, il n’est devenu largement omniprésent que récemment. Au début des années 1990, de nombreuses personnes ont été intriguées par mes idées, et seuls quelques militants m’ont menacé par la violence. Un jour, après que j’ai donné un paisible sermon du vendredi, j’ai marché vers la maison avec un ami. À ma grande surprise, plusieurs hommes ont couru et ont jeté des pierres sur nous par derrière pour m’intimider et m’inciter à ne pas retourner parler dans leurs mosquées. Avec le temps, ce comportement violent et menaçant est devenu plus courant: Dr. Wafa Sultan aux États-Unis, Abdul Fatah en Egypte et de nombreux autres ont reçu et continuent de recevoir des menaces de mort. Récemment, le Dr Nawal Al-Sadawi, une intellectuelle musulmane libérale et une activiste des droits des femmes, a été contrainte de fuir l’Égypte en raison de ses déclarations publiques. Dr. Rashad Khalifa a été assassiné aux États-Unis après avoir publié sa propre réinterprétation du Coran, moins violente que la traditionnelle.
En Égypte, le Dr Faraq Fuddah a été assassiné par balles après avoir publié des condamnations de djihadistes. Le Prix Nobel égyptien Najib Mahfouz a été poignardé dans le cou pour l’écriture de son roman, Awlad Haretna, perçu par les salafistes comme blasphématoire. La liste est longue. Pourtant, la majorité des membres dans de nombreuses communautés musulmanes ont adopté les enseignements violents des islamistes.
L’endoctrinement salafiste opère à travers des mots écrits et un coaching fait avec soin. Il est extrêmement séduisant. Il m’a rapidement transformé en djihadiste. Les textes sacrés des salafistes exercent une forte influence sur des millions de fidèles musulmans à travers le monde, et le terrorisme n’est qu’un symptôme de la maladie salafiste. La doctrine salafiste, qui est à l’origine de l’affrontement de l’Occident avec l’islamisme, fait peser une grave menace pour nous tous – y compris les musulmans.
En effet, le salafisme prive les jeunes musulmans de leur âme, il retourne les communautés occidentales contre eux, et il peut aboutir à la guerre civile quand les musulmans tenteront d’appliquer la charia dans leur pays d’accueil. Une interprétation de l’islam pacifique est possible, mais l’establishment salafiste bloque actuellement toute réforme théologique modérée. Le monde civilisé devrait reconnaître l’immense danger que fait peser l’islam salafiste. Il doit être informé, courageux et uni s’il veut protéger à la fois une génération de jeunes musulmans et le reste de l’humanité des conséquences désastreuses de cette idéologie militante
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