C’est à un Philippe Val fort d’une victoire judiciaire en faveur de la liberté d’expression qu’ont dû faire face deux militants pour le respect de l’islam. En effet, le rédacteur en chef de Charlie Hebdo, un hebdomadaire satirique de gauche, est sorti victorieux des procédures judiciaires contre sa publication le 22 mars dernier. Il était poursuivi pour injures raciales après avoir publié les fameuses caricatures du prophète musulman Mahomet du journal danois Jyllands-Posten.
Vendredi denier, dans le cadre du débat intitulé « Quelles sont les limites de la liberté d’expression ? Le cas de Charlie Hebdo », Philippe Val opposait sa conception de la liberté d’expression à la notion de respect de Patrice Brodeur, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’islam, le pluralisme et la mondialisation et de Sarah Elgazzarporte-parole francophone pour le Canadian Council on American-Islamic Relations (CAIR-Can). Les deux québécois ont fait piètre figure devant un Philippe Val plein d’éloquence et qui a su gagner l’audience à son point de vue.
Elgazzar et Brodeur défendaient le principe de l’autocensure pour protéger la sensibilité musulmane. Selon eux, la publication des caricatures était un manque de respect flagrant envers une communauté musulmane déjà stigmatisée dans l’opinion publique. Elgazzar a soutenu que les organisations musulmanes danoises avaient tenté pacifiquement de faire comprendre aux rédacteurs du Jyllands-Posten pourquoi de telles caricatures étaient inacceptables. Elle a aussi déploré les débordements causés par cette affaire dans des pays musulmans, débordements qui n’auraient pas eu lieu si les Danois avaient accepté le dialogue.
Philippe Val a répliqué à la jeune femme en dénonçant l’attaque en règle orchestrée contre la liberté d’expression par les militants islamistes. Il a rappelé que les caricatures controversées ont été publiées en Égypte sans soulever aucune passion chez les arabo-musulmans. Ce n’est qu’après avoir ajouté trois caricatures jamais publiées par le journal danois et particulièrement injurieuses que les islamistes ont réussi à provoquer le scandale. Toute l’opération ne serait qu’une machination islamiste visant à discréditer la presse occidentale et à miner la liberté d’expression.
Cet argument n’a pas trouvé écho chez Patrice Brodeur ni chez Sarah Elgazzar. Ils ont persisté à juger les caricatures blessantes sans jamais se positionner sur la question du coup monté islamiste, sans le nier non plus.
Sarah Elgazzar a souligné que « Le défi de vivre ensemble mérite plus de souci que le droit de se moquer, que le droit d’humiliation. ». Ce à quoi Philippe Val a rétorqué vivement : « L’humiliation des musulmans c’est que des terroristes au nom de l’islam commettent des crimes abominables. De dire que c’est nous qui humilient les musulmans en publiant des caricatures, je trouve ça hallucinant, moi qui ai milité dans les mouvements antiracistes depuis les débuts. Ce n’est pas moi qui humilie l’islam, c’est Ben Laden. »
Val insiste qu’il n’y a pas d’offense dans la publication de telles caricatures : « Le sacré n’est sacré que pour celui qui croit ce qui est sacré. Le dogme lui-même peut être l’objet de toutes les critiques. »
Quant au choix des médias québécois de ne pas publier les caricatures, Patrice Brodeur l’a dénoncé parce qu’il était motivé par la peur de l’islamisme et non pas par le respect de l’islam. Lors d’une réunion à huis clos entre les rédacteurs de journaux québécois et les porte parole d’organisations musulmanes pour discuter de la publication ou non des caricatures, des éditorialistes auraient avoué à Brodeur ne pas oser publier les caricatures parce qu’ils avaient peur. Cette affirmation fait écho aux récents propos d’Yves Boisvert, chroniqueur à La Presse, qui confirme avoir eu peur de publier les caricatures: « Peur d’un fou de Dieu, peur de l’assassin de Theo Van Gogh, tué salement en pleine rue, aux Pays-Bas, pays de haute et vieille culture. Peur de ceux qui menacent aujourd’hui Philippe Val. » [a].
Lorsqu’une femme de l’audience a demandé à Patrice Brodeur s’il censurerait «Les Fées ont soif», une pièce de théâtre phare de la révolution tranquille et bien connue pour sa critique âpre de la religion catholique, il s’est embourbé : le théâtre ce n’est pas la même chose qu’un journal, a-t-il lancé. L’audience n’a pas manqué de protester devant une telle incohérence.
Concernant le procès contre Charlie Hebdo, Philippe Val a qualifié le jugement d’historique. Les juristes ont selon lui rendu une décision après un examen très méticuleux de tous les points exposés au procès. Il ajoute que la Mosquée de Paris n’a pas fait appel. Dans un communiqué officiel elle s’est dite satisfaite du jugement. Selon lui, c’est un signe de la volonté des musulmans en général d’adhérer au principe de liberté d’expression. Le dernier commentaire de Val allait aux islamistes: « L’intégriste quel qu’il soit est quelqu’un dont la foi est extrêmement fragile, sinon il nous ferait moins chier! »
Ce débat avait lieu dans le cadre du festival littéraire Métropolis bleu et était organisé par le Centre de recherche en éthique de l’Université de Montréal.
Bref historique de la poursuite contre Charlie Hebdo
-* En février 2006, Charlie Hebdo publie les caricatures controversées du prophète musulman Mahomet. L’équipe de Charlie Hebdo agit pour soutenir le rédacteur en chef du journal France Soir licencié pour la publication des dites caricatures.
-* En 2007, Différents groupes musulmans poursuivent Charlie Hebdo en justice.
-* Le 7 février 2007, s’ouvre le procès de Charlie Hebdo
-* Le jeudi 22 mars 2007, Charlie Hebdo obtient la relaxe, c’est-à-dire gagne sa cause.
Voir aussi:
Une entrevue avec Philippe Val.
Historique de l’affaire des caricatures de Jyllands-Posten.
Les caricatures de Mohammed dont il est question.
- Boisvert, Yves, [Le journaliste et le Prophète->http://www.cyberpresse.ca/article/20070427/CPOPINIONS/704270675/5034/CPOPINIONS], La Presse, Montréal, vendredi 27 avril, 2007