« Les musulmans doivent réaliser que les terroristes islamistes ne sont pas simplement des individus dans l’erreur qui agissent par caprice mais plutôt des individus qui savent exactement ce qu’ils font et qui le font délibérément au nom de l’islam ». (Hasan Suroor, juillet 2007)
C’est le message du commentateur indien musulman Hasan Suroor publié dans le grand quotidien indien de gauche The Hindu peu après les attentats manqués de Londres et Glasgow en Grande-Bretagne [a] dans lesquels 3 médecins d’origine indienne étaient impliqués. Hasan Suroor espère susciter un débat au sein de la communauté musulmane sur les facteurs qui engendrent le terrorisme islamique. Il déplore que la communauté musulmane soit dans un état de déni perpétuel, qu’elle se présente comme une victime et qu’elle blâme les autres au lieu de faire son auto-critique.
Nous traduisons ici le texte de Hasan Suroor.
Si on en juge par la réaction de la plupart des musulmans à la dernière manifestation de rage des islamistes – les attentats manqués de Londres et Glasgow – il semble que la communauté se soit repliée sur une « position par défaut » concernant l’extrémisme islamique violent. Les mêmes arguments réchauffés sont encore servis, ce qui démontre l’absence de volonté de reconnaître tant l’ampleur du problème que sa nature. La crainte de projeter une mauvaise image de la communauté ou de l’islam se traduit par un étrange silence sur les sujets qui reposent pourtant au cœur même du débat sur l’islamisme.
En gros, les arguments invoqués par la communauté musulmane consistent à blâmer des facteurs externes. En tête de liste se trouve la politique étrangère occidentale, particulièrement la question palestinienne, ainsi que l’invasion et l’occupation de l’Irak. Il y a ensuite des facteurs économiques et sociaux comme le manque d’éducation et le taux élevé de chômage dans la communauté musulmane – encore là attribués à des causes externes comme la discrimination raciale et religieuse.
En d’autres mots : ne nous blâmez pas, c’est entièrement la faute des autres. Nous sommes des victimes. Étant moi-même soumis aux mêmes pressions que les autres musulmans, je souhaiterais que ce soit la vérité. Mais ce n’est pas le cas. Ce n’est pas entièrement la faute des autres. Nous ne sommes pas que des victimes [b]
J’ai utilisé l’expression « position par défaut » comme euphémisme. Il y a un terme beaucoup plus approprié qui est de plus en plus utilisé pour décrire la position des musulmans : le déni. L’opinion selon laquelle les musulmans nient la réalité de l’étendue du problème et que c’est leur responsabilité de l’affronter n’est plus confinée aux islamophobes d’extrême-droite. L’opinion libérale commence aussi à changer.
Lors de ma participation à un panel de discussion diffusé sur NDTV la semaine dernière, j’ai été frappé de constater à quel point mes distingués co-panélistes – l’un à New Delhi et l’autre à Bangalore – étaient proches de la « position par défaut ». Ils persistaient à référer aux images en provenance de l’Iraq et de la Palestine; et à la frustration et la « rage » qu’inspire la politique étrangère américaine et britannique. Ils référaient aux privations sociales etc.., etc. Quant aux trois médecins indiens soupçonnés de complicité dans les attentats manqués de Londres et Glasgow, ils étaient considérés comme des individus « dans l’erreur » agissant seuls.
Il y a eu beaucoup d’agitation des mains lorsque l’animateur a rappelé que des musulmans étaient impliqués dans tous les récents actes de terrorisme. Oui, c’était préoccupant. Bien sûr, la communauté condamne toute violence au nom de l’islam, qui est une religion de paix. Et oui, il y a un besoin d’introspection et de discussion. Mais le tout était enrobé de tant de « si » et de « mais » que le débat a pris l’allure d’un énorme exercice de déni.
C’est la réponse d’une communauté qui se voit comme étant assiégée et qui est irritée qu’à chaque fois qu’un musulman fait quelque chose de stupide elle doive prendre position et s’excuser. Ajouter à ça l’islamophobie ambiante (qui est répandue), et ce n’est pas difficile de comprendre pourquoi les musulmans sont sur la défensive. Mais pendant combien de temps vont-ils continuer de se cacher la vérité? Et la vérité, c’est que plusieurs de leurs explications sur les causes profondes de l’extrémisme sont fausses. Chaque nouvel attentat terroriste [c]] discrédite la thèse que la politique étrangère ou des facteurs socio-économiques soient les seuls facteurs à l’origine de l’extrémisme islamique, ce qui rend la « position par défaut » des musulmans de plus en plus intenable.
Hassan Butt, un ex-extrémiste britannique, se rappelle comment « nous nous esclaffions de rire chaque fois que des gens proclamaient à la télévision que la politique étrangère était la seule cause du terrorisme islamique, comme les attentats du 11/9, les attentats de Madrid et ceux du 7 juillet. » Écrivant dans The Observer, il relate que s’il était encore extrémiste, « il s’esclafferait encore de rire » en écoutant ceux qui disent que les attentats manqués de Londres et Glasgow étaient motivés par la rage engendrée par la politique étrangère britannique.
Hassan Butt critique les musulmans, les intellectuels libéraux non-musulmans ainsi que les politiciens pour leur défaut de reconnaître le rôle que joue l’idéologie islamiste dans le terrorisme – une idéologie qui, selon l’autre extrémiste réformé, Shiraz Maher, prêche un « message séparatiste de suprématie islamique » et cherche à établir un « califat puritain ». Shiraz Maher connaissait Kafeel Ahmed, l’Indien qui a tenté de faire exploser l’aéroport de Glasgow et qui lutte maintenant pour sa vie dans un hôpital écossais.
Hassan Butt et Shiraz Maher étaient tous deux des activistes du Hizb-ut-Tahrir, l’un des groupes radicaux les plus controversés de Grande-Bretagne qui a une longue et notoire tradition de recrutement de djihadistes potentiels dans les mosquées et sur les campus universitaires. Mohammed Siddique Khan, qui a conçu les attentats du 7/7, était un membre du Hizb en même temps que Hassan Butt. Les attaques du 7/7 ont été attribuées dans une large mesure à l’invasion de l’Irak et à d’autres « atrocités » occidentales commises contre les musulmans. Selon Hassan Butt, malgré que de nombreux extrémistes soient enragés par la mort de leurs coreligionnaires autour du monde, « ce qui me motivait ainsi que plusieurs de mes pairs à comploter pour commettre des actes de terreur extrême en Grande-Bretagne et à l’étranger, c’était le sentiment que nous nous battions pour l’émergence d’un état révolutionnaire qui amènerait éventuellement la justice islamique dans monde ».
Les défecteurs ne sont peut-être pas les sources les plus fiables et il y a inévitablement de l’exagération dans ce qu’ils disent au sujet de l’organisation qu’ils ont quittée et du rôle qu’ils y jouaient. Mais en autant qu’on n’oublie pas d’où ils viennent et qu’on ne se laisse pas enjôler par leur récit, ils demeurent notre meilleur guide pour comprendre le monde qu’ils ont laissé derrière eux. Seul un ex-extrémiste peut nous aider à lever le voile sur ce qui se passe à l’intérieur d’une organisation extrémiste et parfois, cela peut changer nos perceptions d’une manière fondamentale. Quand des personnes comme Hassan Butt et Shiraz Maher démolissent les hypothèses les plus répandues sur la nature de l’extrémisme islamique, c’est important d’en tenir compte. Et ils ne sont pas les seuls. Ed Husain, un autre ex-islamiste, a écrit un livre complet (The Islamist) mettant en garde contre la complaisance.
En premier lieu, les musulmans doivent reconnaître ce que Ziauddin Sardar, l’un des intellectuels musulmans européens les plus reconnus, appelle « la nature islamique du problème ». L’extrémisme islamique n’est pas tombé d’une autre planète et n’a pas été imposé à la communauté de l’extérieur. Il est engendré par la communauté et il est le produit d’une certaine interprétation de l’islam. Selon Ziauddin Sardar, les terroristes sont « le produit d’un état d’esprit spécifique qui a de profondes racines dans l’histoire de l’Islam ».
Dans un essai magistral intitulé « The Struggle for Islam’s Soul » (18 juillet 2005), Ziauddin Sardar argumente que les islamistes « ont été nourris par une tradition islamique qui est intrinsèquement inhumaine et violente dans sa rhétorique, dans sa pensée et dans sa pratique », ce qui impose aux musulmans eux-mêmes le fardeau de fournir une explication pour les actes que leurs coreligionnaires commettent au nom de l’islam. « De nier qu’ils sont le produit de l’histoire et de la tradition de l’Islam est plus que de la complaisance. C’est un déni de responsabilité et un déni de ce qui arrive dans nos communautés. C’est un refus d’affronter la réalité » écrit-il.
L’opinion de Ziauddin Sardar est significative. C’est est un musulman pratiquant ayant une connaissance approfondie de la théologie islamique. Il a été profondément perturbé par les Versets sanatiques de Salman Rushdie et il est fréquemment impliqué dans des duels oratoires avec des commentateurs islamophobes. Mais comme il le souligne, il est musulman et d’est au nom de sa religion que des terroristes agissent. Il croit qu’il est de sa « responsabilité d’analyser de manière critique la tradition qui les nourrit. »
Un plus grand nombre de musulmans doivent réaliser que les terroristes islamiques ne sont pas seulement des individus dans l’erreur qui agissent seuls par caprice mais qu’il s’agit d’individus qui savent ce qu’ils font et qui agissent délibérément au nom de l’islam. Même si leur interprétation de l’islam est pervertie, ça demeure une interprétation de l’islam. Ce n’est pas suffisant de condamner leurs actions ou de les accuser de pervertir l’islam. Il faut faire quelque chose pour remédier à la situation.
Regardons la vérité en face : il y a des versets du Coran qui justifient la violence. Comme l’affirme Hassan Butt, les musulmans doivent reconnaître que « l’islam autorise le recours à la violence ». Quand l’islam en était à ses débuts et s’opposait aux non-croyants, la violence était vue comme légitime. Aujourd’hui, alors que l’islam est la 2e plus grande religion du monde avec plus d’un milliard d’adhérents et que ce nombre augmente, ce contexte a perdu sa pertinence. Pourtant, des groupes de djihadistes poursuivent leur projet dément d’établir le Dar-ul-Islam (Terre d’islam) en continuant d’utiliser ces passages du Coran pour influencer de jeunes musulmans impressionnables. Et il n’y a aucun signe d’un débat dans la communauté au-delà des platitudes faciles. Elle persiste dans le déni.
Traduction: Point de BASCULE
- Laissez-nous les mots pour parler de Londres et Glasgow 2007, Par Marc Lebuis, Point de BASCULE [https://pointdebasculecanada.ca/spip.php?article57->https://pointdebasculecanada.ca/spip.php?article57]
- We Muslims have work to o, par Salim Mansure, Toronto Sun, le 10 juin 2006 [http://www.torontosun.com/News/Columnists/Mansur_Salim/2006/06/10/1623710.html->http://www.torontosun.com/News/Columnists/Mansur_Salim/2006/06/10/1623710.html].
- Plus de 10 000 attentats terroristes islamiste depuis 9-11, [http://www.thereligionofpeace.com/->http://www.thereligionofpeace.com/