https://www.youtube.com/watch?v=NsArto3UVT0 Image (vidéo entre 01:05 et 01:15)
Le discours officiel présente les terroristes et les radicaux de la communauté musulmane comme une ‘infime minorité’ que la communauté désapprouve et veut même expulser de son sein (Image 1). L’article de Christian Rioux nous présente le cas de la communauté de Molenbeek qui a plutôt été une source d’appui aux terroristes même si la majorité des personnes qui la composent ne sont pas elles-mêmes des terroristes. Dans cette seconde hypothèse, le noyau dur qui bénéficie de la protection ambiante est au cœur du processus de radicalisation (Image 2).
L’image qui illustre le texte ne fait pas partie de l’article du Devoir. Elle est reproduite d’un exposé de l’ancien conseiller du Pentagone Stephen Coughlin sur le jihad.
CHRISTIAN RIOUX : On l’oublie trop souvent, les terroristes ne peuvent pas survivre et se mouvoir s’ils ne jouissent pas d’un terrain favorable, s’ils n’ont pas des réseaux, des sympathisants, des voisins compatissants ou tout simplement des amis qui se taisent ou qui regardent ailleurs. […] Répétons-le, les habitants de Molenbeek ne sont pas des terroristes — ce que personne ne dit d’ailleurs —, mais c’est bien la création de telles zones de non-droit qui a fait de Bruxelles depuis une bonne décennie « la capitale logistique de l’État islamique » en Europe, selon les mots de CNN.
Auteur : Christian Rioux
Référence : Le Devoir, 25 mars 2016
Titre original : La fin de la récréation / Archive.Today
[EXTRAITS] L’information est passée inaperçue. Vendredi dernier, lorsque les forces de l’ordre se préparaient à donner l’assaut à Molenbeek afin d’arrêter le djihadiste Salah Abdeslam, qui se terrait dans la cave de l’appartement de la mère d’un ami d’enfance, des policiers ont été pris à partie. Des jeunes du quartier ont caillassé et insulté ceux venus les protéger et arrêter l’homme le plus recherché d’Europe. Selon les journalistes qui étaient sur place, les forces d’intervention devaient avoir des yeux derrière la tête, tant l’animosité était grande.Ce n’était pas la première fois que des jeunes de Molenbeek, d’où sont issus la majorité des djihadistes belges, s’en prenaient à des policiers ou à des journalistes. En janvier dernier, deux équipes de télévision avaient été agressées alors qu’elles enquêtaient sur Chakib Akrouh, un proche d’Abdelhamid Abbaoud. Réfugié avec son ami dans un appartement de Saint-Denis, Akrouh est celui qui s’est fait exploser lors de l’assaut des forces spéciales.
On l’oublie trop souvent, les terroristes ne peuvent pas survivre et se mouvoir s’ils ne jouissent pas d’un terrain favorable, s’ils n’ont pas des réseaux, des sympathisants, des voisins compatissants ou tout simplement des amis qui se taisent ou qui regardent ailleurs. Qu’on pense simplement au FLQ dans les années 1960. Celui-ci n’aurait pas survécu une semaine s’il n’avait pas joui de sympathies réelles dans une partie de la jeunesse québécoise et dans les milieux intellectuels et universitaires. Cela ne faisait pas de ces personnes des terroristes, mais sans elles, les terroristes se seraient vite retrouvés hors sol. Il en va de même des groupes terroristes européens des années 1970 qui s’appuyaient sur une jeunesse qui sympathisait avec le gauchisme et le marxisme radical.
Les femmes voilées de Molenbeek ne sont pas plus des terroristes que ne l’étaient les gauchistes échevelés des années 1970. Mais, cela n’empêche pas ces ghettos de représenter un terreau favorable où Abdeslam et ses complices ont pu se mouvoir sans trop de problèmes pendant quatre mois entiers, en dépit de mesures de sécurité tout à fait exceptionnelles. C’est ainsi qu’ils ont pu préparer sans être trop importunés les attentats de l’aéroport et du métro de Bruxelles.
Des ghettos comme ceux-là, il en existe à Bruxelles, à Marseille, à Birmingham et à Amsterdam. Ce sont des lieux où la loi qui s’impose ressemble de moins en moins à celle de la société majoritaire. Des ghettos où la pression sociale force les collégiennes à porter le voile pour ne pas être traitées de salopes, où les couples ne peuvent plus se promener en amoureux, où un certain islam rigoriste est devenu une norme parallèle qui impose ses moeurs rétrogrades, ses règles et son silence en rupture avec celles d’une société démocratique moderne.
Répétons-le, les habitants de Molenbeek ne sont pas des terroristes — ce que personne ne dit d’ailleurs —, mais c’est bien la création de telles zones de non-droit qui a fait de Bruxelles depuis une bonne décennie « la capitale logistique de l’État islamique » en Europe, selon les mots de CNN.
L’enquête en cours à Bruxelles montre de plus comment le petit banditisme est intimement lié au terrorisme, comme si les petits voyous trouvaient dans la rédemption islamique une façon de racheter leurs fautes. Il fallait peut-être justement un spécialiste de la mafia comme l’historien français Jacques de Saint-Victor («Quelques réflexions sur les “zones grises” mafieuses», Revue des deux mondes) pour nous expliquer comment dans une population qui n’est pas majoritairement salafiste peut quand même s’instaurer ce qu’il nomme un « ordre islamiste ». Exactement comme dans une population dont seule une infime minorité appartient à la mafia peut s’instaurer un « ordre mafieux ».
Pour la « culture islamiste » comme pour la « culture mafieuse », explique l’historien, la « communauté » et la famille seront toujours au-dessus des lois. La meilleure chance de survie des djihadistes, c’est donc de pouvoir évoluer dans une « communauté » distincte où une large partie de la population vit en rupture avec les valeurs, les règles, la culture et les moeurs de la société majoritaire.
Références supplémentaires
Point de Bascule : FICHE Belgique
Samuel Laurent (RTS.ch Radio – 10 juin 2014) : Des réseaux islamistes «qui existent partout aujourd’hui» recueillent les combattants syriens à leur retour en France
Le Vif/L’Express (6 mars 2015) : DOSSIER Comment les Frères Musulmans ont pris la Belgique en otage
Gilbert Dupont (La Dernière Heure – 21 avril 2015) : Un aspirant policier accepté en Belgique malgré sa sympathie affichée pour l’État islamique sur Facebook recueillait des informations sensibles
Marie-Cécile Royen (Le Vif / L’Express – 10 mars 2016) : Le Qatar et le Koweït financent le relai des Frères Musulmans en Belgique
Isabelle Hachey (La Presse – 23 mars 2016) : Deux spécialistes du renseignement accusent les autorités politiques de Belgique d’avoir freiné les efforts de la police contre la menace islamiste pour des motifs électoralistes