Auteur : Philippe Teisceira-Lessard
Rérérence : La Tribune, 26 septembre 2013 (édition internet)
Extrait :
Selon lui (Esseghaier), d’ailleurs, les individus qui détournent des avions ou se font exploser au nom de leur religion ne sont pas particulièrement radicaux. «Il n’y a pas d’islamistes modérés, d’islamistes radicaux. Il y a un seul islam. […] Et les humains sont aussi censés avoir une seule religion parce qu’il n’y a qu’un seul Dieu.»
Titre original : Chiheb Esseghaier: le parcours trouble d’un ancien de l’UdeS
(Montréal) «Je ne suis qu’une goutte d’eau dans la mer, un détail», répète Chiheb Esseghaier jusqu’à plus soif.
Le Tunisien de 31 ans ne nie pas avoir comploté pour faire exploser un train de passagers de Via Rail, comme le lui reproche la Gendarmerie Royale du Canada. Bien au contraire. Mais il se fâche lorsqu’on insiste pour connaître sa version de l’histoire : l’épaisse vitre qui sépare les prisonniers des visiteurs devient constellée de ses postillons à mesure que la colère monte en lui. Une goutte de salive atterrit dans son épaisse barbe noire. Par moments, ses yeux sont exorbités.
À l’en croire, il ne manque pas de raisons pour mener un attentat terroriste en Amérique du Nord. Embargo américain contre l’Irak des années 90, intervention occidentale en Afghanistan («vous dénudez nos femmes»), appui à Israël : «Ça me touche d’une manière capitale à l’intérieur. Il faut libérer les Terres musulmanes, supporter nos frères et soeurs en Afghanistan», assure-t-il.
Le terrorisme est-il un bon moyen de les soutenir ? Les attentats comme ceux du 11 septembre 2001 sont comme une petite «tape sur la joue» après que l’Occident eut «planté un couteau dans le corps » du monde arabe, répond-t-il. «Et ça saigne.» Il ajoute que ces morts sont négligeables. «Dans mes expériences, quand j’ai un si petit résultat, je ne le vois pas, je considère que ça fait partie de la marge d’erreur», explique le doctorant à l’Institut national de recherche scientifique (INRS).
Selon lui, d’ailleurs, les individus qui détournent des avions ou se font exploser au nom de leur religion ne sont pas particulièrement radicaux. «Il n’y a pas d’islamistes modérés, d’islamistes radicaux. Il y a un seul islam. […] Et les humains sont aussi censés avoir une seule religion parce qu’il n’y a qu’un seul Dieu.»
La Presse a obtenu deux entrevues avec Chiheb Essaghaier dans la prison à sécurité maximale où il est détenu, dans l’ouest de Toronto. L’homme porte en permanence un survêtement orange. Les menottes extrêmement courtes qui lui serrent les poignets l’obligent à tordre ses mains pour empoigner le combiné téléphonique de la salle des visites.
Il semble en bonne santé, malgré ses deux incisives manquantes sur sa gencive inférieure. Son épaisse barbe noire et mal taillée ne contient qu’un seul long poil blanc, à gauche de son menton. Cette barbe, il ne la portait pas en quittant sa Tunisie natale, en 2008. «Je n’étais pas correct», se rappelle-t-il.
Direction Sherbrooke. Esseghaier s’y rend pour faire son doctorat en 2008. Il affirme y avoir été recruté par un professeur réputé. Celui-ci n’a pas répondu aux appels de La Presse.
«Les livres et Internet»
C’est en Estrie que l’Islam prend beaucoup d’importance dans sa vie. À Tunis, «j’étais sous la surveillance de mes parents. Ils se souciaient de connaître les personnes que je fréquentais, avec qui je sortais», explique-t-il. À l’Université de Sherbrooke, il fréquente l’Association des étudiants musulmans, ainsi que la mosquée Errahman.
Mais c’est surtout «dans les livres et internet» qu’il perfectionnera sa connaissance de l’Islam.
Esseghaier ne veut pas dire si l’événement a un lien avec la quantité croissante de temps qu’il passe à la mosquée et à l’étude de la religion. Mais en 2010, un conflit avec un superviseur éclate et il doit quitter l’Université de Sherbrooke, relate-t-il.
Suivra un séjour à Montréal, pendant lequel il étudie à l’INRS. Il habite alors sur le boulevard Rosemont et fréquente la mosquée al-Qods, rue Bélanger.
Est-ce là qu’il a rencontré Ahmed Abassi, accusé par le FBI de l’avoir radicalisé ? Esseghaier ne veut pas le dire et esquisse un sourire lorsqu’on lui parle de son «frère». «On se partage des points et on diffère sur des points», dit-il simplement.