Le chroniqueur Masood Hasan de Lahore décrit l’aboutissement du processus de talibanisation de son pays. «En 2115, le monde avait tout à fait oublié qu’il avait autrefois existé un pays appelé le Pakistan. Personne n’y était allé, personne n’en était venu et, de toute manière, personne n’y vivait plus. Bien sûr, les choses avaient été facilitées par le fait qu’on avait fini par tuer toutes les femmes.»
Tarek Fatah dit que «l’islam est à l’islamisme ce que l’uranium est aux armes de destruction massive». De son côté, le philosophe et théologien Merzi Haddad rappelle, à juste titre, que «la secte talibane est … une excroissance du wahhabisme saoudien», et que «passer du wahhabisme au talibanisme est un processus psychologique et idéologique tout à fait naturel».
L’idéologie wahhabite rétrograde est pourtant ouvertement promue chez nous par les centaines de mosquées et centres islamiques affiliés à la Ligue islamique mondiale basée à La Mecque. Voir entre autres (ici). La progression de ce fascisme vert est d’ailleurs facilitée par l’idéologie multiculturelle, ce néo-totalitarisme soft qui s’emploie activement à saper toute résistance en reformatant la psychologie du peuple.
Dans une chronique sous forme de pastiche publiée dans un grand quotidien du Pakistan (le «pays des purs»), Masood Hasan se projette dans le futur et se désole de la destruction massive de son pays, emporté par une overdose de «pureté» islamique.
Brave new world, par Masood Hasan, The News, 19 avril 2009. Adaptation française: Jean-Marc Léger
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En 2112 aucun homme pakistanais de plus de 15 ans n’avait de main droite : elle leur avait été coupée, pour la bonne cause, par les saints hommes de la Brigade des Talibans (BT) qui détenait à l’époque tout le pouvoir au Pakistan. Son mode de pensée – mais quelques plaisantins se demandaient s’il était possible, même vaguement, de qualifier de ‘pensée’ ces idées imbéciles – était centré sur la piété, et l’amputation des mains avait pour but de nettoyer la société. Le slogan de la Brigade, ‘clac clac – tchac tchac’, le fouet et le sabre, avait un succès fou, mais les hommes n’applaudissaient pas : en 2112, l’applaudissement à une main n’était pas encore au point.
Il y avait d’autres changements. Tous les véhicules avaient été confisqués et enlevés des routes. Dorénavant, à l’exception des grands chefs de la BT qui se déplaçaient en convois de 4 x 4 ‘Dallaas’, tout le monde en était réduit au chameau ou à la marche à pied. Ce n’était pas trop difficile puisqu’il y avait, dans ce que l’on pouvait voir du pays, uniquement des hommes à une seule main et des enfants.
La dernière fois qu’on avait vu une femme remontait à l’automne 2111, mais on découvrit plus tard que c’était une erreur. Certains experts pensaient que le yeti avait peut-être fait une sortie imprévue vers le Pakistan et que son image avait été saisie par un photographe nerveux. Les femmes étaient bannies de tous les lieux publics et étaient confinées aux quatre murs de leur maison. Cependant, si leur maison avait plus de quatre murs, la BT n’y voyait pas d’inconvénient tant qu’elles y restaient cloîtrées. « Hors de la vue, hors de la pensée », telle était la pierre angulaire de la pensée de la BT sur ce sujet. Une fois les femmes retirées de l’équation, la courbe du péché avait piqué vers le bas, et le péché avait été remplacé par d’autres plaisirs dont il est impossible de parler ici car nous sommes un journal familial.
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Tous les établissements d’enseignement avaient été incendiés ou démolis et, dans certains cas où ils étaient trop grands pour être abattus, comme les grandes universités, ils avaient été convertis en entrepôts à blé. Cependant, le Pakistan ne produisant plus de blé (la culture du blé d’une seule main reste une science que les Pakistanais ne maîtrisent pas), ces bâtiments étaient utilisés pour des conférences sur l’art de se laisser pousser la barbe. C’était indispensable car aucun homme ne pouvait sortir sans porter une barbe luxuriante, et les concours nationaux de la plus belle barbe avaient beaucoup de succès. Le dernier avait été gagné par un homme dont la barbe allait de Peshawar à Kandahar et retour, mais il avait été incapable de trouver la rédaction d’un journal parce qu’il n’y voyait plus rien. La nouvelle n’était donc pas sortie du Pakistan.
Quoi qu’il en soit, même Incroyable mais vrai n’y aurait pas cru. Les lames de rasoir ayant été interdites au milieu de l’année 2009, les économies réalisées de ce fait avaient fortement relancé l’économie du pays et la BT vantait cette décision comme l’une de ses plus belles réussites. La popularité des concours de barbe était telle que, dès l’âge de six mois, les garçons se voyaient coller une fausse barbe par leurs parents en adoration. Les enfants portaient ces postiches jusqu’à pouvoir les remplacer par une vraie, un peu comme dans l’ancien slogan de Coca Cola. Mais les usines de Coca avaient été brûlées parce qu’un Qazi (un juge) de la région de Buner avait décrété qu’il s’agissait d’une boisson alcoolique, et plus rien n’avait donc aucune importance pour Coke.
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Dans le domaine de la couture et de la mode, les Talibans étant très bons pour singer les dernières modes en pyjamas de harem de six mètres de long souvent appelés ‘shalwars’, il y avait régulièrement des défilés de mode avec des hommes jeunes et âgés qui se dandinaient sur la piste au rythme des tambours à une main. Aucun autre instrument n’était autorisé et en fait tous avaient été réunis et brûlés depuis longtemps. Les simples bains suscitaient des froncements de sourcil. Des fronceurs de sourcil spécialisés avaient été formés ; leur travail consistait à se présenter dans tous les endroits où une activité non conforme aurait pu avoir lieu, et à froncer les sourcils jusqu’à ce que tout le monde s’enfuie. Ils mettaient alors le feu à l’endroit puis partaient pour l’opération suivante.
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La justice pour tous était demeurée la pierre angulaire des Talibans jusqu’à ce que quelqu’un s’aperçoive que la pierre angulaire avait été volée. Tous les efforts pour la retrouver étaient restés vains. Elle avait purement et simplement disparu. La justice était donc dispensée gratuitement au moyen de distributeurs spéciaux installés au coin des rues. Il s’agissait initialement de distributeurs de Nescafé mais personne ne buvait plus de café depuis qu’il avait été interdit parce qu’il contenait de l’alcool. La justice était si libre qu’il y avait dans tout le pays une pénurie de potences et de cordes. Il était impossible d’en fabriquer localement parce qu’il n’y avait plus d’arbres. Les gibets fabriqués en palmiers-dattiers cassaient facilement et on s’aperçut qu’ils étaient nuisibles à la moyenne nationale de pendaisons qui suivait pourtant jour après jour une courbe ascendante régulière et prometteuse.
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La justice étant désormais pour l’essentiel à sens unique, il n’y avait plus besoin d’avocats. Ils avaient tous été réunis et noyés dans le lac du barrage de Tarbela, qui n’était plus en fonction depuis que l’électricité avait été interdite parce qu’un religieux avait affirmé que l’eau du barrage contenait de l’alcool. Depuis, c’était la folie sur les lampes à huile. La brigade qui avait eu le bonheur de faire sauter les Bouddhas de Bamyan avait demandé à faire sauter le barrage, mais elle en avait été empêchée. Pour calmer sa frustration, elle avait fait sauter le port de Karachi, mais ce n’était pas une grande perte puisqu’aucun bateau n’y entrait ni n’en sortait plus. Dans les aéroports, la situation était la même. La compagnie PIA avait été clouée au sol – ce qui au fond n’était pas une si mauvaise idée. Les compagnies aériennes refusaient de s’y poser. Les gens qui voulaient partir en pèlerinage vers des lieux saints en étaient réduits aux chameaux.
Quant au sport, les choses avaient un peu empiré par rapport à la situation au début du 21ème siècle – pardon, le 15ème, à moins que ce soit le 16ème. Quoi qu’il en soit, l’équipe de cricket du Pakistan n’était plus très performante parce que non seulement les joueurs n’avaient qu’une seule main mais aussi parce que les terrains étaient des surfaces désertes, sans doute parfaites pour le polo-chameau mais pas pratiques pour courir. Finalement, les Talibans avaient interdit tous les sports, parce que ce n’était qu’une perte de temps. Seuls étaient autorisés les combats de coqs, qui avaient un effet excitant sur tout le monde. Le Dr Nasim Ashraf avait élaboré de nouvelles règles pour populariser le cricket du désert, mais il avait découvert que sa seule rémunération pour ce rude travail consisterait en pierres rondes destinées à son usage personnel. Il avait poliment décliné cette proposition et s’était discrètement éclipsé en pleine nuit pour tenter sa chance au Swaziland.
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En 2115, le monde avait tout à fait oublié qu’il avait autrefois existé un pays appelé le Pakistan. Personne n’y était allé, personne n’en était venu et, de toute manière, personne n’y vivait plus. Bien sûr, les choses avaient été facilitées par le fait qu’on avait fini par tuer toutes les femmes. À la fin, il ne restait plus qu’un désert désolé et balayé par le vent, mais cela même n’était pas confirmé car personne ne l’avait vu et n’était revenu de là-bas pour raconter.
Voir aussi:
Pakistan : Les talibans exécutent un couple devant la caméra
Pakistan – Islamabad se barricade et se fortifie en prévision d’un assaut djihadiste