Pourquoi l’Université de Yale a-t-elle retiré des images de Mahomet d’un livre sur les caricatures danoises?
Par Christopher Hitchens
Slate Magazine, le 17 août 2009
Traduction non authorisée de Point de Bascule
La capitulation des Presses de l’université de Yale devant des menaces jamais proférées restera l’un des pires exemples de soumission à l’extrémisme religieux.- particulièrement le radicalisme musulman – qui infiltre de plus en plus notre culture. Un livre intitulé The Cartoons That Shook the World (Les caricatures qui ont ébranlé le monde) de la Danoise Jytte Klausen professeur de sciences politiques à l’Université Brandeis, porte sur la campagne de manifestations et de boycottage orchestrée en 2005 après la publication de 12 caricatures de Mohomet par le journal Jyllands-Posten dans le cadre d’un concours (un concours organisé par le journal en réaction au refus d’un éditeur danois de publier une biographie de Mahomet destinée aux enfants de peur qu’elle ne choque). Il faut rappeler que près de 200 personnes innocentes ont été tuées ans des pays musulmans à cause de cette controverse.
Le directeur des presses de l’université de Yale a accepté de publier le livre du politologue, mais sans les 12 caricatures controversées. Et en plus, il a décidé de retirer des illustrations historiques de Mahomet, dont une gravure de Gustave Doré sur le passage de Dante aux enfers où l’on voit Mahomet démembré. D’autres grands artistes comme William Blake, Sandro Botticelli, Salvador Dali et Auguste Rodin ont été inspirés par cette scène de la Divine Comédie. On peut donc imaginer de nombreuses autres possibilités de censure à l’avenir si l’on permet qu’un tel précédent soit établi.
À l’origine, l’interdiction faite aux musulmans de représenter Mahomet (soulignons que ce genre d’interdictions et les fatwas ne sont pas destinées aux non-musulmans) avait pour but louable de décourager l’idolâtrie. Les théologiens-juristes (oulémas) craignaient que les musulmans ne vouent un culte à Mahomet au lieu d’Allah dont il n’était que le messager. Il est donc abusif d’utiliser le terme ‘mahométan’ pour désigner les musulmans. Néanmoins, l’art islamique, particulièrement celui de l’Iran, fournit de nombreux exemples de peintures montrant Mahomet avec un visage et on n’a jamais vu des musulmans protester contre des représentations de Mahomet par des artistes occidentaux.
Si cela devait changer, et c’est maintenant une possibilité à envisager, Yale a déjà formulé le genre d’argument que des directeurs de musées pourraient invoquer pour mettre ces œuvres d’art sous clé. Selon la logique de Yale, ces oeuvres sont susceptibles de provoquer de la violence et de plus, ceux qui les montrent peuvent être tenus directement responsables de cette violence.
La preuve: un article du New York Times (13 août) portant sur la capitulation des Presses de l’université de Yale (a report of the university press’ surrender) qui cite son directeur, John Donatich. Donatich affirme «qu’il n’a jamais faibli face à la controverse», mais ajoute «qu’il en va autrement quand je risque d’avoir du sang sur les mains».
Donatich est un ami. Il a déjà été mon éditeur. Dans une lettre, je lui ai demandé comment on pourrait tenir un éditeur responsable d’un attentat à la bombe contre une librairie qui vendrait le livre du professeur Klausen. Il m’a répondu que l’Université avait consulté plusieurs experts avant de prendre sa décision et que «tous ont affirmé que la publication des caricatures risquait fort de provoquer de la violence.» Rien de plus navrant que de constater que «des spécialistes du renseignement, de la sécurité nationale, de l’application des lois ainsi que des islamologues réputés» supposément consultés, utilisent de manière aussi inappropriée le mot «provocation». Si vous provoquez quelque chose, cela veut dire que vous souhaitez que cela arrive. Si vous avez provoqué une émeute, par exemple, cela veut dire que vous l’avez fomentée. Si c’est un meurtre, cela veut dire que vous en êtes complice. Il n’y a pas d’autre sens dans le dictionnaire, sauf un sens passif. Après tout, il y a des gens pour affirmer qu’une femme qui n’est pas voilée «provoque» ceux qui la violent ou la défigurent….et voilà maintenant qu’une université aussi prestigieuse que Yale adopte cette logique!!!
Il était déjà assez navrant que la plupart des journaux refusent par peur de publier les caricatures. Mais la gangrène de l’intimidation a progressé. Maintenant, il faut admettre que la violence redoutée, peut être aussi de notre faute et même notre responsabilité directe. C’est la pire sorte de masochisme. Cela implique non seulement la distorsion du sens premier des mots de notre langue mais aussi de notre conception de la responsabilité morale.
La dernière fois que cela est arrivé j’ai créé un hyperlien permettant de voir les caricatures danoises ( http://www.humanevents.com/article.php?id=12146&offer=&hidebodyad=true ) pour que vous formiez votre propre jugement. Je récidive aujourd’hui. La dernière fois, il ne m’est rien arrivé, mais qui sait, cette fois un théocrate aux pulsions meurtrières pourrait s’en offenser et agir. Je déclare à l’avance que je le tiens pour seul responsable du sang qu’il aura versé. Le premier amendement de la Constitution interdit toute restriction à la liberté d’expression de la presse. Quelle honte que l’Université de Yale ait dressé le drapeau blanc avant toute attaque et qu’elle se sente coupable du sang que pourrait faire couler des assassins ou tyrans en puissance.
Lire aussi:
La peur d’Yves Boisvert (PdeB, mai 2007)
Des limites à la liberté d’expression? (PdeB, mai 2007)
Historique de l’affaire des caricatures de Jyllands-Posten. (Wikipédia)
Inquisition sur les campus américains (PdeB, décembre 2008)