«Le problème du monde musulman est son incapacité à comprendre la nécessité d’un puissant ingrédient laïque dans la société. Les cultures fondées sur la parole de Moïse, Jésus, Bouddha, Confucius, et même de Karl Marx, se sont avérées assez souples pour créer des espaces distincts pour les valeurs et les institutions laïques. Parmi les grandes religions, l’islam est la seule à trouver cette idée intolérable. Des changements drastiques s’imposent.» — Robert Fulford, National Post
Il y a toutefois des intellectuels arabes progressistes qui croient en l’universalité des valeurs de liberté et de démocratie. Ils ont récemment sévèrement critiqué les états occidentaux qui soutiennent les dictatures du monde arabo-musulman plutôt que les forces progressistes, qualifiant leurs politiques de «racistes».
Sur un thème connexe, nous vous recommandons la vidéo de l’interview de l’ayatollah Iyad Djamel Eddine qui défend la laïcité, et l’entretien avec le philosophe syrien Sadik Jalal Al-’Azm. Comme entrée en matière, le grand poète syrien Adonis:
Adonis sur l’Islam, la laïcité et la démocratie dans le monde arabe
Traduction de: Islam and the problem of the sacred word, par Robert Fulford, National Post, le 7 mars 2009
Les pauvres sont ceux qui souffrent le plus dans les temps difficiles. Il est donc inévitable que les pays musulmans seront douloureusement touchés par la récession mondiale. La plupart des pays musulmans sont désespérément pauvres, même lorsque les prix du pétrole sont élevés. Les nations arabes, en particulier, sont accablées par des gouvernements incompétents, le manque d’éducation et une population nombreuse qui semble destinée à subir la pauvreté indéfiniment. Dans la plupart des cas, ces nations souffrent – et elles le savent – de leur échec à édifier des sociétés conformes aux standards modernes.
C’était la conclusion des universitaires arabes qui ont rédigé, pour le compte de l’ONU, le Rapport sur le développement humain dans les pays arabes pour l’année 2002, qui a été suivi de trois autres rapports plus détaillés. Ils ont décrit des économies dans un état de stagnation chronique, des libertés limitées ainsi que des institutions archaïques dans les sciences et la technologie. Les universitaires arabes ont dépeint une région qui a grand besoin de changements drastiques.
Leurs conclusions étaient crédibles, mais guère originales. En 1930, un journaliste libano-syrien, Chakib Arsla, publia un livre, « Pourquoi les Musulmans ont-ils pris du retard et pourquoi les autres ont-ils pris de l’avance ? » Les arabes éduqués avaient compris que leurs pays, à en juger par la vie qu’ils offraient à leurs citoyens, étaient inférieurs à l’Occident. Aujourd’hui, ils savent que de nombreuses sociétés non occidentales, comme la Chine, le Japon et la Corée, les ont aussi largement dépassés.
Ce phénomène me fascine depuis de nombreuses années. En décembre 1999, j’ai écrit ma dernière chronique du millénaire sur le déclin à long terme du monde islamique. En l’an 1000, le monde islamique était de loin supérieur à l’Europe dans les sciences et les arts. Mais ce qui avait débuté comme le millénaire de l’Islam est plutôt devenu celui de l’Europe.
Pourquoi?
Dan Diner, un historien d’origine allemande qui enseigne à l’Université de Leipzig en Allemagne et à l’Université hébraïque de Jérusalem en Israël, a offert une réponse convaincante dans son nouveau livre, Lost In The Sacred: Why the Muslim World Stood Still (Princeton University Press).
La prose académique de Diner peut être un obstacle, mais le contenu vaut l’effort. Dans sa recherche des réalités structurelles derrière la vie quotidienne, il rappelle Harold Innis, Marshall McLuhan et d’autres chercheurs de l’école de communications de Toronto.
Il situe le problème dans l’incapacité de l’Islam à comprendre la nécessité d’un puissant ingrédient laïque dans la société. Les cultures fondées sur la parole de Moïse, Jésus, Bouddha, Confucius, et même de Karl Marx, se sont avérées assez souples pour créer des espaces distincts pour les valeurs et les institutions laïques. Parmi les grandes religions, l’islam est la seule à trouver cette idée intolérable.
Diner critique Edward Saïd, qui a blâmé l’Occident pour la plupart des échecs des pays arabes. Dans son célèbre livre L’Orientalisme publié en 1978, Saïd fait valoir que le colonialisme a spolié les Arabes et les a humiliés, puis fourni aux universitaires occidentaux des justifications à leurs préjugés anti-arabes. Ses idées ont influencé des armées de professeurs qui, à leur tour, ont endoctriné deux générations d’étudiants.
Bien que Saïd était un sympathisant arabe, il n’a fait que fournir à cette région des excuses pour des siècles d’incompétence, ce qui n’est pas vraiment une grande faveur.
Dans l’Islam, comme Diner fait valoir, la loi divine est immuable. Le travail, l’éthique, la morale et la politique sont profondément influencés par le sacré. Se perdre dans le sacré, c’est vivre à l’extérieur des événements du monde et de la possibilité de progrès. L’observance stricte de la loi religieuse arrête la course du temps.
Il traite de Ibn Khaldoun, un historien islamique du 14ème siècle qui a écrit sur l’ascension et la chute des dynasties, mais n’a jamais imaginé l’évolution de l’histoire. Pour lui, les événements évoluent en cycles; tout est une répétition du passé. Comme l’a écrit Ibn Khaldun, le passé ressemble à l’avenir comme une goutte d’eau ressemble à une autre.
L’imprimerie, développée par Johannes Gutenberg au 15e siècle, fournit l’exemple classique d’une situation où le sacré envahit le profane. L’imprimerie a été interdite par les autorités islamiques qui croyaient que le Coran serait déshonoré s’il devait sortir d’une machine. En conséquence, les Arabes n’ont pas acquis de presses à imprimer avant le 18ème siècle. Pendant ce temps, les livres ont transformé la nature même de la pensée en Occident, alors que l’Islam a pris un retard de 300 ans.
Aujourd’hui, comme le soutient le Rapport arabe sur le développement humain, le développement d’une langue arabe populaire imprimée est une nécessité, mais les autorités religieuses y font obstacle.
Les apologistes des nations arabes argumentent parfois que la nécessité de lutter contre Israël les détourne du progrès social, et que les islamistes radicaux présentent une menace continue et coûteuse à leurs sociétés. Mais pour autant que je puisse le dire, la situation de la plupart des Arabes serait misérable même si l’État moderne d’Israël n’existait pas et si personne n’avait jamais entendu parler des Frères musulmans.
Les fissures dans les fondations des États musulmans sont beaucoup plus anciennes et plus profondes que n’importe quel événement récent.
Voir aussi:
Edward Saïd et le génocide littéraire de l’orientalisme, par Helios d’Alexandrie
Ibn Warraq défend l’Occident, critique Edward Saïd et l’islam
Un Musulman défend la laïcité – Iyad Djamel Eddine
Entretien avec le philosophe syrien Sadik Jalal Al-’Azm