La Presse canadienne 27 juillet 2010 – Justice
Publié dans Le Devoir du 27 juillet 2010
La mère de famille de la région de Montréal qui aurait poignardé sa fille d’un coup de couteau à la tête lors d’un présumé crime d’honneur, le mois dernier, est revenue devant la cour hier, au palais de justice de Montréal, pour son enquête sur remise en liberté.
Le compte-rendu des interrogatoires menés par la police a été présenté devant le tribunal. Il est frappé d’un interdit de publication. La Couronne s’oppose à la requête de Johra Kaleki, 38 ans, accusée de tentative de meurtre, de voies de fait graves et de voies de fait avec une arme.
Le ministère public avait déjà signifié qu’il craint une contamination de la preuve si la dame retourne à son domicile, en raison de la présence des témoins dans cette histoire.
L’incident à la source de cette affaire est survenu au domicile familial de Dorval, le 13 juin au petit matin. La fille de Mme Kaleki serait rentrée à la maison après une soirée passée à l’extérieur de chez elle. Selon la police, sa mère était alors dans un état hystérique.
Son mari, Ebrahim Ebrahimi, aurait tenté d’empêcher l’agression. Il a plus tard affirmé qu’il s’agissait d’un malentendu et a prié les autorités de remettre en liberté sa femme pour réunir leur famille.
Source: Le Devoir, mardi 27 juillet 2010, p. A3
Commentaire de Point de Bascule:
Le crime d’honneur a la particularité de se définir comme un acte meurtrier organisé, orchestré et planifié, en général, avec des proches ou carrément des membres de la famille immédiate de la victime. Il est donc courant de découvrir que le père, la mère, des fils et des cousins peuvent participer à ce crime. C’est ce qui le distingue d’un crime de nature “domestique”.
Un récent dossier sur le crime d’honneur intitulé An American Honor Killing publié dans le magazine américain Marie-Claire du mois de juillet 2010 rapportait comment les membres de la famille réagissaient à la suite du meurtre de la jeune Noor, une des deux victimes. Quelques extraits:
1) La réaction de la mère au moment de son interrogatoire par les détectives:
When a detective said that her husband had struck Noor and Amal with his car, she grew angry, saying in reference to Amal, “This woman is a liar. She is dirty.” The detective then said that Noor was “close to dying,” and Seham appeared to misunderstand. “Thank you. Thank you,” she said. “That’s what she needs. This is what Amal needs.”
2) Le dossier de la police démontre que la famille aurait aidé le père à fuir le pays. Sa femme et des membres de la famille élargie auraient aidé le père en fuite:
Police records indicate that her family tried to help her father flee abroad. Noor’s mother picked up a prescription for him at a pharmacy, and cell-phone records showed that Ali, despite what he initially told the police, had, in fact, spoken with his father on two different occasions within minutes of the crime. However, both Ali and his mother denied knowing of Faleh’s whereabouts.
3) La jeune victime Noor, juste avant son décès, a fortement réagi à la vue d’un membre de sa propre famille:
At the hospital, during a supervised family visit, a police officer observed that Noor’s heartbeat nearly doubled when her mother touched her and spoke in Arabic. A nurse ordered Noor’s mother not to touch her daughter again.
4) Banalisation du meurtre:
Le transcription d’une conversation entre le père et la mère démontre que le père justifiait son crime et blâmait sa fille pour avoir entaché l’honneur de la famille. Bref, l’honneur est, selon les propos du père, ce qu’il y a de plus précieux pour un Iraquien. Le père confime lors de cette conversation qu’il n’a en fin de compte pas réellement fait rien de mal.
“I’m not a criminal. I didn’t kill someone randomly. I didn’t break into someone’s house. I didn’t steal,” Noor’s father protested to his wife in a November jailhouse phone call, recorded by the police. Suggesting that his wife get protestors to demonstrate at an Iraqi consulate, he added, “For an Iraqi, honor is the most valuable thing.” Later, he lamented, “No one messed up our life except Noor…. No one hates his daughter, but honor is precious…and we are a tribal society. I didn’t kill someone off the street. I tried to give her a chance.”
Et la mère, conjointe du père meurtrier, défend son mari lors du même échange téléphonique:
“Honestly, you rushed into it,” his wife countered. But later she agreed with her husband, telling him, “You are not a criminal. I know how good-hearted and compassionate you are.”
Rappelons que lorsqu’ils mènent leur jihad idéologique, les islamistes ont fréquemment recours à la tactique qui consiste à nier que leur doctrine politico-religieuse endosse des pratiques comme le crime d’honneur.
Dans l’analyse de Point de Bascule sur l’islam et les mutilations génitales Étienne Harvey revient sur les arguments invoqués par Ibn Taymiyya, al-Misri, un des exégètes les plus respectés du monde islamique qui est l’auteur d’un des principaux ouvrages de droit islamique qui endossent le crime d’honneur, l’Umdat al-salik (La dépendance du voyageur). Tariq Ramadan réfère positivement à cet ouvrage et qualifie son auteur Ahmad ibn Naqib al-Misri (1302-1367) de « grand juriste de l’islam » dans son Radical Reform (déjà cité, pp. 302-303).
Outre Tariq Ramadan, plusieurs autres leaders et organisations islamistes reconnaissent que l’Umdat al-salik constitue un document de référence essentiel en droit islamique. La section de la Muslim Student Association (MSA) de l’Université Concordia à Montréal s’est engagée sur son site à « faire tous les efforts pour appliquer l’islam (…) tel qu’il a été compris dans le contexte contemporain par le regretté imam Hassan al-Banna ». Pour mener son programme, cette section montréalaise des Frères Musulmans possède sa propre bibliothèque islamiste dans les locaux de l’Université. Le manuel de charia Umdat al-salik y côtoie les classiques du jihad offensif d’al-Banna, de Sayyid Qutb, de Maududi et d’al-Qaradawi.
Le crime d’honneur est un principe de charia reconnu (notamment dans l’Umdat al-Salik, Ahmad ibn Naqib al-Misri, Beltsville, Amana Publications, 1994, pp. 583-584) qu’un père ne peut pas être puni pour le meurtre de ses enfants. Ce principe constitue un endossement du crime d’honneur.