Est-ce la fin de l’humour subversif?
Par Fabien Deglise
Le Devoir, 8 juillet 2010
Commentaire de Point de Bascule:
C’est dans le cadre de la 28e édition du festival Juste pour rire de Montréal, le plus important festival du genre au monde, que Le Devoir a décidé d’y consacrer sa première page inspirée par un livre intitulé Fini de rigoler. Peut-on encore se marrer quand on est de gauche ?. Une critique démontrant comment la liberté d’expression a concrètement reculé à travers l’industrie de l’humour.
Il y a quelques mois nous avons été informés de l’affaire South Park. Les créateurs de la série diffusée par Comedy Central – propriété de Viacom -devaient à l’occasion de leur 200e émission, diffuser un double épisode dans lequel le prophète Mahomet devait apparaître. La première partie représentait le fondateur de l’islam déguisé en ours alors que, dans la deuxième partie, les mots «prophète Mahomet» ont été couverts par un signal sonore et le terme «censuré» a été apposé sur l’écran. Les créateurs (humoristes) ont été victimes d’une politique interne de censure provoquée par des menaces de morts. De plus, encore tout récemment l’animateur Penn Jillette de la célèbre émission américaine Bullshit a déclaré ouvertement au journaliste du Las Vegas Weekly que « nous n’avons pas traité de l’islam » en précisant « parce que nous avons des familles. »
Ces deux derniers incidents ne nous montrent pas des comédiens qui cherchent à se soumettre au dictat de la rectitude politique, au contraire ils avouent et auraient souhaité rigoler de ces sujets chauds et tabous. Cependant, la tendance actuelle semble elle bien nous démontrer que ceux qui sont précisément responsables dans notre société de prendre la défense de nos droits et libertés, surtout de la liberté individuelle, ont tendance à donner des passe-droits et des outils à ceux qui veulent justifier la censure, l’intimidation et la violence.
Voici quelques extraits de l’article publié dans Le Devoir et plus bas, des suggestions de lectures pour mieux comprendre l’ampleur du problème de l’érosion de la liberté d’expression ici comme à travers le monde:
Marc Lebuis
Les rois de la blague se font maintenant moins mordants, moins subversifs, mais aussi plus consensuels et lénifiants. À qui la faute?
Ils sont peut-être drôles, mais ils trompent finalement leur public. À preuve: tout en prétendant pouvoir rire de tout, les humoristes, qui s’emparent doucement de Montréal pour la 28e édition du festival Juste pour rire, ont plutôt considérablement réduit, dans les dernières années, leur sujet et objet de dérision.
Et ce n’est pas tout: loin d’être les rebelles offusqués que plusieurs prétendent être, ces rois de la blague se font désormais moins mordants, moins subversifs, mais aussi plus consensuels et lénifiants. La faute à qui? À l’industrialisation de l’humour, un peu, mais surtout à une chape moralisante qui, en arrivant par le champ gauche, se serait abattue sur nos sociétés… (…)
«Les humoristes nous mentent», lance à l’autre bout du fil le responsable du bureau parisien du quotidien régional Nord Éclair. Le Devoir l’a dérangé pendant ses vacances au début de la semaine. «Ils aiment se présenter comme des trublions pour mieux se vendre, mais sont finalement des artistes frileux qui pratiquent l’autocensure et exploitent un humour qui se fait sur des chemins balisés. La rectitude politique qui a envahi nos sociétés a aussi poli cette sphère de la culture.» Et autant en prendre conscience, pour mieux s’en sortir, selon lui.
(…) «rire de ce qui n’est pas drôle n’est plus seulement une faute de goût, c’est une incitation à la haine», écrit-il dans son bouquin. «Nous croyions le rire libérateur, capable d’apaiser les tensions. Il ne ferait que les aggraver.»
(…)
Or, dans les années 1980, «les défenseurs du communautarisme ont réussi à imposer une rectitude dans la sphère politique, rectitude qui s’est déplacée ailleurs depuis», poursuit l’auteur. «Aujourd’hui, on ne peut donc plus rire des victimes, des religions, des handicapés, des homosexuels sans être publiquement taxé de xénophobie, de racisme, d’intolérance»… ou même d’infamie et de crime de lèse-majesté, que la blague soit bonne ou pas.
Martin Leprince (…) revendique haut et fort, comme remède à la rectitude ambiante, «le droit de rire des gens qui se prennent trop au sérieux», comme Coluche, un illustre comique de son pays, l’a souvent mis de l’avant. «Par nature, la bêtise est partout, à droite comme à gauche. On doit en rire, pas seulement dans les endroits balisés. Aujourd’hui, les humoristes, même ceux qui se disent engagés, ne s’inscrivent plus en opposition aux dogmes de notre époque. Ils incarnent ces dogmes». Un constat qui invite certainement à rire, pour éviter d’en pleurer.
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