Libre opinion
Sociologie du vêtement 101
Par Daniel Baril
Le Devoir le 11 février 2010
Le 3 février dernier, un groupe d’universitaires lançait son Manifeste pour un Québec pluraliste qui est un appel à l’acceptation des signes religieux dans les institutions publiques et un rejet de l’idée d’une charte sur la laïcité. À leur avis, l’interdiction de signes et de vêtement religieux de la part des représentants de l’État «ne répond à aucune nécessité sociale» et serait «disproportionnée par rapport aux objectifs de neutralité des services publics». Ils affirment même que «le citoyen ne peut que constater ce signe religieux, de la même façon qu’il peut remarquer l’origine ethnique du fonctionnaire».
Le vêtement et le signe religieux seraient donc dénués de toute signification particulière; ce sont des choses qu’on constate comme on constate qu’il neige ou que le fonctionnaire a un bouton sur le nez. Ce seraient des objet insignifiants. Ces universitaires et les quelque 500 autres sociologues, théologiens, philosophes, anthropologues, juristes, criminologues, politologues qui, en date du 6 février, ont signé ce manifeste postmoderniste, sont-ils conscients de renier un fait sociologique fondamental? En tant que professeurs de sciences humaines, ils ont sûrement tous abordé un jour la question de la symbolique du vêtement.
Sinon, je leur suggère Histoire et sociologie du vêtement, de Roland Barthes, où on peut lire ceci: «Le signifié principal du vêtement […], c’est essentiellement le degré d’intégration du porteur par rapport à la société dans laquelle il vit. [En tant que langage, le vêtement] est, au sens plein, un modèle social, une image plus ou moins standardisée de conduites collectives attendues, et c’est essentiellement à ce niveau qu’il est signifiant» (p. 440).
Au-delà de sa fonction de protection, le vêtement est donc un moyen de communication des valeurs, du statut social, du rôle et de l’identité du porteur; c’est ainsi qu’il devient un costume. Daniel Weinstock, l’un des principaux promoteurs du Manifeste, tenait d’ailleurs des propos en ce sens dans le denier numéro de la revue À bâbord en parlant des tenues punks. C’est parce que le vêtement est un signe qu’on impose un costume ou un code vestimentaire dans certaines professions (policiers, avocats, représentants religieux, etc.) ou à certaines occasions (soirées mondaines, graduations, cérémonies religieuses, etc.). Refuser ce code, c’est refuser l’intégration au groupe ou l’identification à la fonction qu’on est censé remplir, nous dirait Barthes. C’est précisément l’image que renvoient ceux et celles qui réclament le port de leurs signes ou vêtements religieux dans des circonstances où leur fonction, en l’occurrence celle d’agent de l’État, leur commande un costume reflétant la neutralité religieuse et politique du service public.
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