Par Fabrice de Pierrebourg, Rue Frontenac, publié le Mercredi, 24 juin 2009
Fabrice de Pierrebourg est l’auteur de Montréalistan
L’avion d’Air Canada qui ramenait Adil Charkaoui de Fredericton à Montréal le 3 juin a été forcé de faire demi-tour en plein ciel, à la demande des autorités américaines, puis de revenir à son point de départ. Le Montréalais a alors été prié de descendre de l’appareil qui est reparti vers la métropole en le laissant en plan.
L’événement, plutôt embarrassant pour le gouvernement canadien, a été gardé soigneusement secret par tous les protagonistes. Pour ceux qui en douteraient encore, c’est une preuve de plus que les Américains ne badinent pas avec la sécurité aérienne. Cela démontre aussi qu’ils ont toujours Adil Charkaoui dans leur mire, lui qu’ils avaient déjà longuement interrogé en janvier 2001 lors d’une escale à l’aéroport JFK de New York.
Adil Charkaoui avait obtenu l’autorisation du gouvernement de quitter l’île de Montréal pour se rendre en avion à Halifax et Fredericton les 2 et 3 juin.
Selon les informations obtenues en exclusivité par RueFrontenac.com, Charkaoui était accompagné de deux fonctionnaires de l’Agence des services frontaliers.
Le Montréalais faisait ce déplacement dans le cadre de sa campagne pancanadienne de dénonciation des certificats de sécurité, une procédure extraordinaire et controversée dont il est lui-même l’objet depuis 2003 en raison de ses supposées accointances avec Al-Qaida, et avec pour autre conséquence que son nom est inscrit en bonne place sur la no-fly list américaine.
Vol au-dessus des États-Unis
Un détail qui a probablement échappé à Adil Charkaoui et surtout, plus grave encore, à l’Agence des services frontaliers du Canada, c’est que la route empruntée par le vol Fredericton-Montréal survole en partie le territoire américain (le Maine). C’est là que les affaires se sont corsées pour le Montréalais et son escorte.
Comme le prévoit la procédure, la compagnie aérienne a fait parvenir la liste de ses passagers aux autorités américaines. Les ordinateurs des services de renseignement ont passé la liste au crible et se sont arrêtés sur le nom d’Adil Charkaoui. L’alerte a alors été donnée.
Il faut se rappeler qu’un document rédigé par la Direction de l’évaluation du renseignement du Service canadien de renseignement de sécurité (SCRS), classé «secret» et déposé en Cour fédérale, mentionne qu’Adil Charkaoui, «lors d’une rencontre en juin 2000, a discuté en présence de deux individus de la prise de contrôle d’un avion commercial à des fins agressives».
Des révélations très graves – qui ont fait l’objet d’une fuite dans le quotidien La Presse –, mais non prouvées, comme le fait remarquer le juge Simon Noël dans une décision en date du 18 janvier 2008.
Entre-temps, l’avion avait déjà décollé en direction de Montréal.
«Nous avons alors reçu une demande des autorités américaines afin que l’avion retourne à son point de départ», explique Isabelle Arthur, porte-parole d’Air Canada. Celle-ci ajoute qu’Adil Charkaoui a alors été invité à sortir de l’appareil.
Retour en voiture
Isabelle Arthur n’a pas souhaité émettre de commentaires sur cet événement plutôt inusité. Ce genre de contretemps, en plus de causer un sérieux retard à l’arrivée, et des grincements de dents chez les passagers, représente aussi un coût pour la compagnie. En carburant, mais aussi parce qu’il faut payer une redevance à l’aéroport pour chaque décollage et chaque atterrissage.
Selon ce qu’a appris RueFrontenac.com, il semble que le pilote ne l’a pas trouvé drôle. Une fois son avion posé, il se serait dirigé, en colère, vers les agents du gouvernement pour leur dire sa façon de penser avant de mettre tout le monde dehors.
Adil Charkaoui et ses deux «anges gardiens» n’ont pas eu d’autre solution que de rentrer par la route à Montréal. Le voyage a dû leur sembler pas mal long.
À Ottawa, air connu, l’Agence des services frontaliers n’a voulu «ni confirmer ni infirmer» les faits, pas plus que ses agents qui étaient aux côtés d’Adil Charkaoui lors de cet incident.
«Les exigences en matière de vie privée et de protection des renseignements personnels m’empêchent de discuter des détails d’un cas particulier», a fait savoir Tracie Leblanc dans un courriel envoyé à RueFrontenac.com. Celle-ci rappelle que les conditions de remise en liberté imposées à Adil Charkaoui par la Cour fédérale «afin de neutraliser le risque envers la sécurité du Canada et des personnes» prévoit entre autres le port d’un bracelet GPS à la cheville, la confiscation du passeport et l’obligation d’avertir l’ASFC 48 heures avant de quitter Montréal. Celle-ci doit ensuite analyser la demande pour donner éventuellement son accord.
«La Cour fédérale souligne clairement que l’acceptation ou le refus d’une demande de sortie présentée par une personne sujette à un certificat de sécurité sont laissés à la discrétion de l’ASFC», écrit Tracie Leblanc.
Et d’ajouter: «Les décisions sont prises au cas par cas et prennent en considération toutes les circonstances entourant la demande. Plusieurs facteurs sont considérés. Les plus déterminants sont :
– le niveau de risque constitué envers la sûreté et la sécurité du public canadien, les agents de l’ASFC et la personne sujette à un certificat de sécurité et
– la capacité de surveiller adéquatement les activités d’une personne sujette à un certificat de sécurité afin d’assurer l’observation des conditions établies par la Cour fédérale.»
Et Abousfian Abdelrazik?
Selon nos sources, les deux agents du gouvernement auraient aussi ôté le bracelet GPS de la cheville du Montréalais dès le départ à Montréal-Trudeau afin de lui faciliter le passage à travers les systèmes de sécurité.
La question qui se pose maintenant est de savoir comment et si Adil Charkaoui pourra se rendre à Victoria et Vancouver jeudi et vendredi (25 et 26 juin) pour la dernière étape de sa tournée.
Il n’a pas été possible d’obtenir les commentaires d’Adil Charkaoui.
Il n’en demeure pas moins que cette histoire prend une tout autre résonance alors que le gouvernement fédéral s’apprête à rapatrier du Soudan, d’ici la fin de semaine, Abousfian Abdelarzik, placé lui-aussi sur la no-fly list américaine.
Rue Frontenac est publié par les 253 membres en lock-out du Syndicat des travailleurs de l’information du Journal de Montréal. Son nom s’inspire de la rue où se côtoient leurs bureaux et ceux du Journal de Montréal, le «quotidien de la rue Frontenac».
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