Transcription d’un reportage de Radio-Canada sur les mariages collectifs organisés à Gaza
Dans son émission du 4 mai 2012 à Radio-Canada, Michel Désautels a présenté un reportage de Ginette Lamarche sur les mariages collectifs organisés par le Hamas à Gaza.
AVERTISSEMENT – Même si le reportage de Ginette Lamarche témoigne de peu d’esprit critique, nous avons choisi de le reproduire car quatre éléments d’informations utiles en ressortent malgré tout :
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- Les femmes sont données en mariage par leur famille sans nécessairement y consentir.
- Dans ces mariages collectifs, seuls les hommes assistent à la cérémonie. Les femmes sont exclues de leur propre mariage.
- Les mariages collectifs sont récupérés à des fins politiques par les organisations islamistes qui en défraient les coûts.
- À l’instar de la prière, les mariages collectifs font partie de cette tendance favorisée par le Hamas à Gaza de faire tout en commun.
NOTE – Dans la transcription des réponses fournies aux questions de Ginette Lamarche, nous avons respecté la syntaxe et le choix des mots des répondants.
0:00 Michel Désautels
Plusieurs mariages collectifs se sont tenus dans la bande de Gaza en Palestine depuis janvier dernier. Ces mariages organisés, financés par les autorités locales visent à intégrer les ex-prisonniers dans la société.
Plusieurs Palestiniens qui ont été libérés par les autorités israéliennes en octobre dernier ont pu convoler en juste noce grâce à l’aide soit du Hamas, du Jihad islamique ou encore de l’Autorité palestinienne.
Notre correspondante au Moyen-Orient, Ginette Lamarche, nous a fait parvenir le témoignage d’un couple qui a pu bénéficier de ce type de mariage assez singulier à Gaza.
00:37 Ginette Lamarche
Anoud et Fatma ont uni leur destin le 15 mars dernier dans le centre communautaire de Gaza. Une trentaine de mariés assistaient à la cérémonie, accompagnés de leurs frères et des dignitaires du Hamas. Ici, Anoud partage son émotion en chantant avec les siens.
00:60 Ginette Lamarche
Fatma a 20 ans. Elle est originaire de Naplouse en Cisjordanie. Pour venir se marier à Gaza, elle a dû faire un long détour par l’Égypte. Elle nous raconte comment elle a rencontré Anoud.
1:12 Fatma (un traducteur masculin traduit pour elle)
Ça a commencé… Ses parents qui sont venus me voir et au début c’était difficile parce que le fait de venir à Gaza pour moi c’était un problème mais quand j’ai commencé à parler avec lui sur internet et par téléphone, ça m’a soulagée un peu et j’ai pris la décision de se marier, de venir à Gaza.
1:32 Ginette Lamarche
Anoud aussi est originaire de Naplouse en Cisjordanie. Il a 35 ans. Il a passé les douze dernières années de sa vie en prison. Il a été libéré en octobre dernier mais il doit maintenant rester à Gaza. Il remercie le Hamas de lui avoir donné la possibilité de se marier avec quelques-uns de ses compagnons de cellule.
1:54 Anoud
J’ai fêté mon mariage avec ceux que j’ai participé avec eux des moments très difficiles à la prison et donc on a participé le chagrin, on a participé la tristesse et je voulais très bien participer avec eux à la joie et pour moi c’était une joie double parce que ces gens-là, quand j’étais avec eux à la prison on rêvait de sortir et on voulait se marier et on est arrivé à réaliser ce rêve et c’est pour ça que pour moi se marier avec eux c’était la grande joie pour moi.
2:24 Ginette Lamarche
Anoud ne cache pas que c’est aussi pour des raisons économiques qu’il s’est marié collectivement.
2:33 Anoud
Moi, en tant que prisonnier qui vient de sortir des prisons de l’occupation et en même temps je suis loin de ma famille, de mon village et donc j’ai pris en considération le côté financier.
2:51 Ginette Lamarche
Dans ces mariages collectifs, seuls les hommes assistent à la cérémonie. Les femmes sont exclues de leur propre mariage. Fatma a accepté de bon cœur cette exclusion.
3:04 Fatma
J’étais très contente, j’étais avec mon mari, avec mon cœur. J’étais tout le temps avec lui et moi j’ai déjà fait deux petites fêtes dans mon village avant de venir ici et j’ai fait une ici quand je suis arrivée à Gaza.
3:21 Ginette Lamarche
Les conditions économiques difficiles, l’impossibilité de circuler librement hors de Gaza rendent ces mariages collectifs de plus en plus attrayants.
Marvette Arayesse et Bérémane Ajazzi qui gagnent bien leur vie en enseignant le français ne sont pas attirées par cette nouvelle tendance mais comprennent qu’il s’agit pour bien des couples d’une solution pratique.
3:40 Marvette Arayesse
Je veux pas faire un mariage pour mon fils à la mode de Hamas ou à la mode de Jihad. Je veux faire à ma mode à moi. Mais si j’ai les moyens je peux le faire, si je n’ai pas les moyens je vais me restreindre à ça. C’est ça.
3:60 Bérémane Ajazzi
C’est une façon d’aider les jeunes qui peuvent pas assumer toutes les dépenses. Une fête de mariage ça coûte cher. Ici, par exemple, c’est pas comme l’Égypte. C’est pas moitié moitié. Non, c’est toujours l’homme, le mari qui assume toutes les dépenses. Alors pour moi c’est intéressant. Pourquoi pas?
4:22 Ginette Lamarche
Mais ce qui gêne le plus Marvette et Bérémane c’est que la mariée ne puisse pas participer à la cérémonie.
4:25 Marvette Arayesse
C’est sûr c’est une humiliation mais elles se rattrapent parce que, ailleurs, avec les amies, avec les proches, tout le monde fait la fête et dans un mariage traditionnel chez nous il y a une grande partie qui n’est pas mixte, qui est isolée, séparée, alors là c’est la vraie fête et il y a une partie, disons 20% ou 25% du mariage qui est mixte. À ce moment là, les gens, même s’ils dansent, même s’ils chantent, mais avec timidité disons…
4:55 Bérémane Ajazzi
Pour eux, bien sûr, c’est une façon de sacrifier. Je veux pas être bien présente. Les femmes par exemple peuvent faire une petite fête entre les amies, les autres femmes, entre elles et comme ça elles peuvent faire la balance. Ça veut dire, dans le grand jour elle peut pas être présente mais la veille elle peut faire une fête avec ses amies, avec la famille et ça va. Comme ça, on gagne les deux.
5:27 Ginette Lamarche
Elles reconnaissent toutefois que dans certains mariages traditionnels les hommes et les femmes célèbrent séparément.
5:33 Bérémane Ajazzi
Je me suis mariée il y a un an et demi et j’étais bien présente dans mon mariage. Dans ma fête de mariage, il y avait mes amies, il y a mes proches. Tout ça. Non, non, on peut pas dire ça mais peut-être parce que c’est collectif ça veut dire il y a des autres hommes alors pour ça peut-être ils ont dit que la femme, elles peuvent pas être présentes. Mais sinon dans une fête de mariage traditionnelle et normale il y a deux types. Il y a des familles qui font par exemple un mariage mixte, on peut inviter les hommes, les proches tout ça. Ça va. Il y a d’autres types que la femme voilée, elle choisit que les invitées soient seulement des femmes.
6:12 Ziad Medouk, directeur du département de français de l’Université al-Aqsa
Les dirigeants ici essaient un peu de montrer que ces prisonniers ils doivent mener une nouvelle vie après leur libération. Le gouvernement de Gaza essaie un peu de manipuler ce mariage.
6:24 Ginette Lamarche
Ziad Medouk dirige le département de français de l’Université al-Aqsa. Il reconnait que ces mariages collectifs permettent à ces ex-prisonniers de recommencer une vie nouvelle.
6:36 Ziad Medouk
Le coût d’un mariage, les dots comme ça…ça coûte au moins 3 000 à 4 000 dollars. Les associations liées au gouvernement qui paient tout. Ils paient le logement, ils paient le loyer, ils paient les meubles, ils paient les frais parce que c’est des mariages dans une salle donc le prisonnier ou le marié, il paie rien.
6:55 Ginette Lamarche
Il s’inquiète toutefois du peu de choix, du peu de place laissée aux femmes.
6:58 Ziad Medouk
Je pense ici il y a un problème. C’est la femme palestinienne qui est perdante. Pour des familles il y a l’aspect social, c’est l’honneur. Ça veut dire pour eux c’est un honneur de donner ma fille à un ex-prisonnier parce que l’ex-prisonnier il a une image très positive dans les familles palestiniennes. Donc c’est un honneur. Donc ici reste le problème d(u) choix de (la) fille. Est-ce qu’elle était d’accord ou pas d’accord? Donc ici, je pense, il y a l’enjeu économique et social qui domine le choix de cette fille.
La femme palestinienne dans la bande de Gaza… comme d’habitude c’est elle l’opprimée parce qu’il y a pas vraiment un choix. Donc le choix c’était le prisonnier donc elle est obligée de choisir parce que c’est l’honneur de la famille, c’est l’honneur de la patrie donc il y a des raisons plus ou moins patriotiques et sociales qui dominent le choix de ce type de mariage.
7:42 Ginette Lamarche
Ziad critique surtout la récupération politique de cette pratique.
7:47 Ziad Medouk
Il restera toujours un mariage politique pour dire que ces prisonniers qui ont beaucoup souffert dans les prisons israéliennes, ils ont le droit de mener une nouvelle vie et la première chose c’est le mariage, c’est construire une nouvelle famille dans la bande de Gaza. Une région d’ensemble (incompréhensible), une région plus ou moins autonome. Donc, pour les familles palestiniennes c’est un honneur. Pour le gouvernement de Gaza, c’est une manipulation politique donc c’est une occasion de gagner du terrain et pour les prisonniers c’est une occasion de mener une nouvelle vie.
8:22 Ginette Lamarche
Ce qui inquiète le plus Marvette Arayesse c’est que ces mariages collectifs s’imposent de plus en plus.
8:27 Marvette Arayesse
J’ai bien peur que ça sera une coutume. Parce que ce n’était pas la coutume. La coutume… Le mariage c’est faire la fête. C’est la joie, c’est un moment de détente. C’est un moment de se défouler et si on va faire ça et on va mettre dans la conscience des gens que c’est ça le bon chemin, c’est ça le bon modèle, c’est ça l’exemple, moi j’ai bien peur qu’on va changer de coutume petit à petit et ce sera un recul. C’est sûr… C’est sûr.
8:57 Ginette Lamarche
Anoud et Fatma sont très reconnaissant aux groupes islamistes d’avoir organisé, financé leur mariage dans l’esprit de l’islam.
9:06 Anoud
Dans notre tradition, dans l’islam on s’appuie à tout ce qui est collectivité. Que ce soit le mariage, que ce soit la prière, que ce soit en famille cette tradition ou bien cette notion a bien dispar(u) dans les années 1980 et là ça reprend parce qu’il y a le développement des mouvements islamistes qui commencent à avoir le pouvoir et c’est pour ça qu’on reprend ces traditions-là de faire tout en commun
9:45 Michel Désautels
C’était un reportage de Ginette Lamarche à Gaza.
Référence supplémentaire
RIA Novosti (25 décembre 2010) : Cent couples s’unissent dans un mariage collectif à Gaza (100 couples tie knot at mass wedding in Gaza)