Avant toute chose, dans la vie, dit Tariq Ramadan, il faut ouvrir ses oreilles, fermer sa bouche et suspendre son jugement. Sachant cela, Tariq sera sans doute heureux d’apprendre que j’ai suivi ses conseils à la lettre vendredi dernier. Oui, parfaitement. J’ai tendu l’oreille, fermé ma gueule et suspendu temporairement mon jugement dans l’amphithéâtre de l’Université de Montréal où plus de 500 fidèles, jeunes et moins jeunes, filles voilées ou tête nue, étaient venus entendre ce que cette rock star de la cause musulmane avait à dire.
Le matin même dans Le Devoir, deux organismes qui s’opposent violemment à lui – le Congrès musulman canadien et le site web Point de bascule – avaient acheté une pleine page de pub pour dénoncer sa venue à l’Université de Montréal. Mais à en juger tant par la foule massée dans l’amphithéâtre que par les quelques centaines de personnes refoulées aux portes, disons que cette stratégie publicitaire semble avoir eu l’effet contraire de celui qu’elle visait.
Pour ma part, à force d’entendre que Tariq le terrible, l’islamiste le plus médiatisé de l’histoire moderne, petit-fils du fondateur des Frères musulmans, intellectuel vivant en Suisse, prof à Oxford et auteur de 27 livres, est aussi un intégriste écumant de bave, un fou de Dieu qui ne semble pas avoir d’objection à ce que les femmes impures se fassent lapider, j’ai décidé d’aller vérifier par moi-même si l’homme est à la hauteur de sa réputation.
Quête spirituelle
Je n’avais aucune idée du sujet de sa conférence. Mais en apprenant qu’il allait causer de quête spirituelle, j’ai réprimé un soupir d’ennui. Comme la plupart des Québécois, j’ai grandi dans la religion catholique. Et comme la plupart de mes congénères, j’ai envoyé paître joyeusement la religion, son eau bénite, son catéchisme et son endoctrinement. Y revenir un vendredi soir de 2009 n’était pas mon idée de l’enrichissement intellectuel.
Mais puisque l’heure était à l’écoute, j’ai bouché mon nez, ouvert mes oreilles et constaté dans un premier temps que, ma foi, Tariq Ramadan est un type intelligent. C’est aussi un type cultivé, doté d’un bon sens de l’humour, qui s’exprime dans une langue élégante, vivante et jamais désincarnée. Bref, un intellectuel sensible et moderne comme on les aime.
Pendant les 30 premières minutes de son discours, où il a cité Baudelaire, Rimbaud et même Léo Ferré, j’étais d’accord avec tout ce qu’il disait. Cent pour cent d’accord. Sur le fait qu’il n’y a pas de liberté sans engagement à rester libre. Sur la nécessité de développer une pensée critique pour empêcher les autres de penser à notre place. Sur le délicat équilibre entre le coeur et la raison, entre nos besoins, notre part d’ombre, nos instincts grégaires, nos imperfections. Yes!
Intégrisme
Et puis, au détour d’une phrase sur les McDonald’s qui servent de la viande hallal aux abords de La Mecque, mon adhésion à ses propos s’est mise à ramollir, à hoqueter, à se poser des questions et à comprendre que Tariq Ramadan venait de quitter l’autoroute de la modernité pour nous entraîner, mine de rien, sur le chemin cahoteux de l’intégrisme religieux.
Le point de bascule pour moi est arrivé avec la question du jeûne des musulmans pendant le ramadan, période où la nourriture n’est permise qu’après le coucher du soleil. Selon des statistiques, les musulmans consommeraient deux fois plus pendant cette période. Tariq s’en est offusqué. C’est quoi cette idée de se gaver dès que le jour est tombé? Sous-entendu: bande de goinfres!
Le ton a commencé à monter, lentement mais sûrement. Pourquoi faut-il prier cinq fois par jour? a-t-il demandé avant de mitrailler la réponse: «Parce que c’est un rite et un entraînement spirituel.» Sous-entendu: bande de paresseux!
Puis, haussant le volume de sa voix et adoptant un ton fiévreux, Tariq Ramadan s’est transformé en prédicateur sous mes yeux. Il a vanté les vertus de la pudeur vestimentaire pour mieux dénoncer la vulgarité des sociétés occidentales avec leur consommation à outrance et leur sexe à gogo.
On doit réformer la société dans laquelle on vit, a-t-il martelé avant d’exhorter ses auditeurs à ne jamais, jamais devenir des musulmans invisibles mais au contraire à s’assumer ouvertement avec leurs femmes voilées et leurs pauses prières à tout bout de champ.
Les Québécois
Pendant son laïus, Tariq Ramadan a souvent fait référence aux Canadiens, mais jamais aux Québécois. Quelqu’un lui a demandé s’il était au courant de la quête d’identité des Québécois et du fait que cette quête laïque et égalitaire n’est pas vraiment compatible avec l’intégrisme qu’il prêche. Bien sûr qu’il était au courant, mais il avait choisi son camp, et ce n’était pas le nôtre. «Le problème du Québec, c’est que vous êtes colonisés par la France et que vous ne résistez pas assez aux idées des salons parisiens!»
Tariq Ramadan m’avait déjà perdue, mais quand il a ressorti le vieux cliché des colonisés, il m’a perdue à jamais.
Je ne sais pas si Tariq Ramadan est dangereux. Chose certaine, en jugeant aussi superficiellement une société laïque qui croit plus à l’égalité qu’à l’oppression des femmes, il fait tout le contraire de ce qu’il prêche.
Lire aussi:
Salut à toi ô mon Frère! Salut à toi Tariq Ramadan! (PdeB, 5 novembre 2009)
Mensonges et dérobades de Tariq Ramadan (par Caroline Fourest / Prochoix) (PdeB, novembre 2009)
Frère Tariq Extraits exclusifs. Par Un livre de Caroline Fourest , L’EXPRESS le 18/10/2004
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