ORIGINAL ENGLISH VERSION ON THE TORONTO SUN / ARCHIVE.TODAY
Tarek Fatah et Taslima Nasreen
«Viens au Canada», suggère Tarek Fatah à Taslima Nasreen. «Vraiment?», qu’elle répond, pleine de sarcasme. «Je n’oublierai jamais la foule d’étudiants musulmans à l’Université Concordia à Montréal qui avaient réussi à interrompre mon discours avant que la police ne vienne à ma rescousse.»
Auteur : Tarek Fatah
Référence : Toronto Sun, 19 mai 2015 (Version internet)
Traduction française de Point de Bascule
Titre original anglais : May God protect the bravest woman I know
Dimanche dernier, en route vers l’aéroport Indira-Gandhi de Delhi pour mon vol de retour vers le Canada, j’ai fait un détour pour aller saluer celle que je considère être, aujourd’hui, la femme vivante la plus brave au monde : Taslima Nasreen, l’auteure exilée originaire du Bangladesh.
Elle et son chat Minou vivent seuls au dernier des quatre étages d’un immeuble situé dans une banlieue de la capitale de l’Inde.
Des millions d’Indiens vivent dans de tels complexes.
Sauf que dans cet édifice, elle est la seule résidente.
L’ascenseur a été désactivé pour des raisons de sécurité.
Les lumières dans l’escalier qui mène à son modeste appartement sont aussi sombres que celles d’une mine de charbon.
Des agents de sécurité armés indiens montent la garde autour de l’immeuble vingt-quatre heures par jour.
Juste à l’extérieur de la porte de son appartement se trouve un grand soldat qui porte une arme automatique.
Malgré la sécurité, cette femme d’acier qui a fait face autant à des assauts verbaux que physiques au cours des vingt dernières années semble abattue.
Elle me dit : «Les escadrons de la mort jihadistes du Bangladesh, qui ont tué trois écrivains qui ne pratiquaient plus l’islam en trois mois, viennent d’ajouter mon nom à leur liste».
Elle me montre la menace sur son iPad par une personne qui s’identifie comme @JihadForKhilafa, un appel à mener le jihad pour établir le califat islamique.
«@TaslimaNasreen vous êtes sur la liste des 84 personnes à abattre. Comptez les jours qui vous restent» (‘@TaslimaNasreen u r also among the 84 who r on the hitlist. Count ur days’), dit le message.
Nasreen répète un passage du film Nirbashito en bangla consacré à la liberté d’expression et qui est basé sur sa vie : «Entre la plume et l’épée, c’est toujours l’épée qui gagne».
Nasreen sourit, comme elle le fait souvent avec ses yeux taquins. Mais elle me semble abattue malgré tout.
«Nous allons gagner», que je lui dis en essayant de l’encourager.
«Kaisa jeeta ga, tumm bhi tho bhag gaya?» qu’elle me répond en plaisantant.
(«Comment pouvons-nous gagner quand, même toi, tu t’enfuis?»)
Ele parle avec un accent ourdou chantonnant qui me rappelle les années ’70 quand tous les deux nous étions des citoyens du Pakistan.
Je proteste que je ne m’enfuie pas. «Je vais combattre ce cancer qu’est l’islamofascisme jusqu’à ce qu’il soit défait.»
Mais elle n’est pas convaincue.
«Ça, c’est ton problème Tarek», qu’elle me dit. «Arrête de t’en faire accroire. (Le problème c’est) l’islam, pas l’islamofascisme.»
«Moi aussi j’ai la citoyenneté européenne», qu’elle me dit en me faisant la leçon. «Moi aussi je pourrais aller vivre en Europe mais je choisis de combattre ces extrémistes ici, en Inde. C’est ici que la campagne ‘Ghazwa-e-Hind’ (va se produire).»
Cela réfère à la bataille de la fin des temps qu’on allègue que le prophète Mohammed a prédite et qui mènera à la domination des non-musulmans par l’islam et à l’Armageddon islamique tant attendu.
Nasreen me provoque en me disant que cette guerre ne sera pas menée par les jihadistes qui bénéficient de l’air climatisé au Canada.
«Viens au Canada», que je lui suggère.
«Vraiment?», qu’elle répond, pleine de sarcasme. «Je n’oublierai jamais la foule d’étudiants musulmans à l’Université Concordia à Montréal qui avaient réussi à interrompre mon discours avant que la police ne vienne à ma rescousse.»
«Même si j’allais vivre en sécurité quelque part en Occident, qui va s’occuper de mon chat?», ajoute-t-elle.
Pendant qu’elle parle, son chat Minou ronronne et gratte le sari de Nasreen.
Nous nous disons ‘au revoir’ tout en sachant fort bien que peut-être nous ne nous reverrons jamais.
La femme que je considère comme la féministe la plus brave au monde n’a ni famille, ni parents, ni enfants, mais seulement sa conviction et son intégrité. Elle me sourit.
J’ai les larmes aux yeux quand je lui dit «Khuda Hafiz» («Que Dieu te protège»), un vœu que les gens s’échangent au moment des départs mais que les islamistes ont interdit au Bangladesh et au Pakistan mais pas encore en Inde.
Référence supplémentaire
Des intellectuels en appellent à McGill et à l’Université de Montréal pour qu’elles appuient la liberté d’expression / 6 septembre 2011 (Quatorze personnalités dont Taslima Nasreen et Tarek Fatak signèrent une pétition pour demander à l’Université de Montréal et à McGill de se dissocier d’une résolution demandant d’interdire la critique des religions qui était proposée dans une conférence commanditée par les deux universités.)